Vincent Peillon aura au moins accompli l’exploit de faire
l’unanimité… contre lui, via son projet de refondation, annoncé comme
une véritable révolution. Reconnaissons-lui au moins ce “mérite”.
Même les partisans de la doxa constructiviste y sont hostiles. Philippe Meirieu s’est exprimé dans le Café pédagogique
pour dire à quel point il regrette que cette idée, pleine de bonnes
intentions, ne soit pas à ses yeux un projet abouti, comme le fut la loi
Jospin de 1989. Dans un autre article, il évoquait avec nostalgie
cette loi qui fut selon lui un texte mal lu et peu appliqué. La loi de
89 a échoué car personne ne l’a comprise et on ne l’a pas vraiment mise
en place. Curieuse façon d’analyser l’échec.
C’est le même type de raisonnement qui le conduit à penser que
l’actuel projet de loi ne va pas assez loin et se contente de réparer au
lieu de refonder véritablement ; il lui reconnaît seulement la vertu
d’une bouffée d’oxygène. Il reproche à ce projet de réduire l’éducation à
la scolarisation et de se donner comme objectif la réussite scolaire.
Autrement dit, l’école se ferme sur elle-même ne s’ouvre pas assez sur
la société. Pour lui, la mission des enseignants étant d’éduquer (et non
pas d’enseigner) il est logique de soutenir que cette mission doive
s’associer d’autres partenaires, extérieurs à l’école.
Voici quelques points de critique qui ont retenu mon attention :
- Entre autres choses, il critique l’absence de mesures relatives à la formation continue et propose un programme de formation volontaire en dehors des temps de cours. Ce n’est qu’un exemple montrant à quel point P. Meirieu vit hors des réalités du métier.
- Les mesures relatives à la passerelle école / collège sont jugées trop timorées ; on ne comprend pas très bien ce qu'il souhaiterait à la place mais cela ressemble fort à une fusion des deux instances : « Certes, on ne peut pas, du jour au lendemain, fusionner les deux instances, modifier brutalement les statuts et obligations de service des enseignants du premier ou du second degré… mais, compte tenu de la convergence des travaux des chercheurs dans ce domaine comme du caractère particulièrement éclairant des comparaisons internationales, un droit à des expérimentations plus poussées s’imposait. Il est sans doute encore temps de l’introduire. » J’aimerais beaucoup avoir accès à ces recherches et savoir exactement de quoi il s’agit. Comme à l’habitude P. Meirieu, néglige de développer.
- Les propositions relatives au numérique (mutualisation, meilleur accès aux ressources) sont interprétées comme insignifiantes et superficielles : « Il faut inventer de nouvelles pratiques pédagogiques quotidiennes où l’horizontalité des échanges s’articule avec la verticalité de l’exigence de vérité, où la mise en réseau permet de construire des connaissances de manière exigeante. Or nous ne savons pas vraiment encore faire cela… et il serait temps de développer des recherches fortes dans ce domaine. » Il évoque des pratiques pédagogiques ayant pour but la construction des connaissances, tout en affirmant qu'elles n’existent pas encore. N’a-t-il jamais entendu parler des pratiques efficaces et de l’intérêt du numérique dans l’accomplissement de ces pratiques ?
Philippe Meirieu aime les mots et les formules choc ; cette fois-ci c’est « on ne refonde pas sans fondement. »
Selon lui, le projet actuel n’a pas véritablement de fondement,
c’est-à-dire de finalité partagée qui sous-tendrait toutes les actions
refondatrices. Mais lui par contre, peut parler des fondements de
l’École, il cite par exemple Ferdinand Buisson [1] et sa “foi laïque” ; s’ensuit une envolée lyrique qu’il résume lui-même comme un « humanisme pour la modernité
». Voilà ce qui, selon lui, manque dans le volet Fondement de ce
projet. Si je suis d’accord avec lui pour dire que ce projet n’est rien
d’autre qu’un ensemble de mesurettes destinées à colmater un navire qui
fait eau de toutes parts, je ne partage pas l’idée de l’École sur
laquelle il s’appuie et persiste à penser que l’École, par l’instruction
efficace, doit rendre les élèves autonomes pour en faire par la suite
des citoyens éclairés.
P. Meirieu évoque trois points essentiels pour lui :
- La culture, dont la place est jugée insuffisante.
Mais, inquiet que l’on puisse penser qu'il s’agirait d’une transmission
de la culture (ce qu’il appelle avec une ironie mal placée « morceaux de connaissances fossilisées »), il propose à la place de transmettre les « tressaillements
d’une intelligence qui s’exhausse au-dessus de la fatalité et de la
facilité, se découvre en découvrant son pouvoir d’agir ».
Traduction : il ne faut pas faire des leçons d’histoire ou de géographie
de manière transmissive car c’est mal. Que faire à la place,
concrètement ? Repenser les programmes autour du sens. Dans un monde
imaginaire, Monsieur Meirieu viendrait nous expliquer pourquoi il ne
faut pas transmettre directement la culture par des méthodes
rationnelles, il nous montrerait les données probantes pour nous
persuader de l’inefficacité de la méthode. Mais il nous donnerait aussi
des exemples montrant comment transmettre efficacement les « tressaillements d’une intelligence… »
Le verbiage pompeux de P. Meirieu est sa marque de fabrique, mais à
trop vouloir en faire il risque de s’y perdre. D’autant plus, qu'il se
permet, dans ce même texte, un peu plus loin, de railler le jargon.
Cette logorrhée pseudo-pédagogique, même si elle est utilisée avec les
meilleures intentions du monde, ne parvient pas à cacher la vacuité de
la réflexion ni l’absence d’argumentaire sérieux pour convaincre,
autrement que par de belles intentions humanistes.
- Les évaluations. L’école actuelle, selon lui, ne
fait que transmettre des compétences techniques et il est sous-entendu
que c’est une mauvaise chose. L’école qu'il appelle de ses vœux serait
celle de la culture, qui impliquerait des modes d’évaluation
différents : il s’agirait alors d’évaluer des projets, des chefs
d’œuvre. Sa critique des évaluations révèle la phobie de la mise en
concurrence mais aussi plus largement la croyance en une formation qui
permettrait aux élèves de parvenir à réaliser des chefs d’œuvre sans
qu’ils aient bénéficié auparavant de l’enseignement des connaissances et
habiletés de base nécessaires à cela (que l’on acquiert par la
pratique, par les connaissances techniques, par la transmission de la
culture et autres savoirs). L’utopie de Meirieu consiste à croire qu'en mettant les enfants au contact d’œuvres culturelles, sans leur avoir
enseigné aucune base ni leur avoir fait pratiqué les rudiments, ils
deviendront des artistes, des auteurs, des chercheurs. C’est dire si le mythe sur la créativité a encore de beaux jours devant lui.
- Enfin une petite envolée contre le pilotage du système
à qui il reproche son esprit managérial et sa logorrhée, ce qui est un
comble venant de lui. La technocratie en éducation paralyse toute
initiative selon lui. Cela est évident mais est-ce en remplaçant une
technocratie par une autre que cela changera ?
Il revendique enfin plus de liberté au niveau local tout en admettant
des passages obligés pour tous. Espaces de liberté relatifs, par
exemple, aux livrets de compétence, à l’enseignement de la morale
laïque. On apprend au passage que l’efficacité (mot rare sous la plume
de Meirieu) des ateliers philo et des conseils de classe d’élèves a été
attestée. Dans un monde imaginaire, M. Meirieu viendrait nous montrer
les données probantes illustrant cette affirmation ; il nous décrirait
la démarche expérimentale dans son ensemble, les 3 niveaux de recherche
selon la taxonomie Ellis et Fouts.
Il serait temps tout de même que les donneurs de leçon, qui imposent
ou, tout au moins, influencent fortement les pratiques enseignantes sans
apporter de véritables preuves, en s’appuyant simplement sur le poids
de leur notoriété aient des comptes à rendre. Pendant trop longtemps on a
diffusé auprès des enseignants des contre-vérités et des principes
erronés sous couvert de “recherche”, on les a engagés dans des pratiques
pédagogiques inefficaces dans lesquelles ils se sont perdus et ont
entraîné avec eux leurs élèves. Il serait grand temps que cette
imposture cesse et que l’on ne conduise plus les praticiens sur des
voies dont l’efficacité n’a pas été démontrée de manière réelle et à
grande échelle.
Beaucoup de personnes sont hostiles au projet de loi de Refondation
de l’École, ce qui donne une apparence d’unité. En s’attardant un peu
sur les raisons de ce rejet, apparaissent alors de multiples divergences
sur la conception même de l’École, sur le modèle choisi, sur les
principes, bref sur ce que P. Meirieu appelle les fondements. Alors,
avant de discuter sur les moyens, peut-être faudrait-il réfléchir sur la
fin. Vaste sujet qui mettrait au jour l’aspect politique et social de
l’École, que l’on tente plus ou moins adroitement d’occulter
scrupuleusement dans les débats.
[1] . Ferdinand Buisson, pédagogue du début du XXe
siècle, dont les idées pédagogiques sont soutenues à la fois par les
constructivistes et par le courant traditionaliste en éducation.
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