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mercredi 23 janvier 2013

Dans l'intérêt des enfants



Une fois de plus la formule magique est lâchée, celle à laquelle on ne peut rétorquer, celle qui excuse tout, qui permet tout. La morale interdit de critiquer tout ce qui est brandi au nom de l’intérêt des enfants.  Sinon, vous passez pour le croquemitaine de service.

Pour commencer, on remarquera qu’on parle d’enfants et non d’élèves, ce qui n’est absolument pas la même chose. L’enseignant a devant lui des élèves, c’est-à-dire des enfants qui se trouvent en sa présence dans le but d’apprendre quelque chose. Que les parents parlent d’enfants est normal, mais que le ministère et les textes officiels le fassent aussi pose la question du véritable rôle qui est attribué à l’enseignant et plus largement celui de l’école.

Il n’en reste pas moins que cette formule choc, brandie depuis des décennies, permet de justifier tout et son contraire. Ainsi :
Dans l’intérêt des enfants, la semaine de 4 jours, la semaine de 4 jours et demi, les méthodes de découverte, l’intégration et l’inclusion des handicapés, la  suppression du redoublement, la territorialisation de l’enseignement, les cycles à l’école, les études dirigées, les projets d’école, les parents dans l’école, l’ORL, les évaluations nationales, la méthode syllabique en lecture, la méthode semi-globale, la suppression des notes … Ce fourre-tout n’est pas exhaustif, loin de là ; chacun y rajoutera à sa guise ce qui manque.

D’une manière générale, si l’on met un bémol sur ce prétendu intérêt de l’enfant, on se fait traiter de corporatiste, voire d’ennemi de l’Enfant. L’enseignement serait bien le seul métier dans lequel il serait indécent d’être corporatiste. Dans ce cas, ce n’est plus  un métier mais une vocation, comme celle de religieux par exemple, ou de bénévole associatif.  Il est complètement tabou d’oser évoquer l’intérêt de l’enseignant, ou son bien-être, ou son estime de soi. Car on le met tout de suite en opposition avec celui de l’élève. Cette incohérence révèle une méconnaissance complète et gravissime de ce métier ; prenons un pays imaginaire dans lequel l’enseignant exercerait un métier  estimé, reconnu, aurait les  moyens matériels de le faire efficacement, gagnerait correctement sa vie, serait autonome dans sa pratique. Ce bien-être et cette estime de soi professionnels ne rejailliraient-ils pas positivement sur les élèves ? Un enseignant bien dans son métier, arrivant en classe le matin avec dans sa tête tout ce qu’il va pouvoir enseigner à ses élèves passe une bonne journée et ses élèves aussi. Mais il n’en est rien dans la vraie vie : l’enseignant qui arrive en classe en pensant : que va-t-il m’arriver  aujourd’hui ? (parent hargneux, hiérarchie tatillonne, méthode pédagogique ne me convenant pas mais que je suis obligé d’utiliser, élèves difficiles et moi incapable de m’en sortir …).

De plus en plus d’entreprises privées ont compris cela et ont remarqué que les employés étaient plus efficaces s’ils se sentaient bien dans leurs jobs. L’Éducation Nationale ne l’a toujours pas compris et notre ministre actuel, ne fait pas exception, lui qui se dit guidé par le seul intérêt des enfants. Pourtant, n’est-ce pas lui qui, il y a quelques mois affirmait vouloir raccourcir les grandes vacances dans le seul intérêt des enfants ? Il a pourtant suffi que le puissant le lobby touristique se signale à lui et soudain c’était à nouveau l’intérêt des enfants de garder les grandes vacances en l’état …

Ce que j’aimerais, au moins une fois dans ma vie, c’est un décideur qui aurait le courage de ses choix et dirait par exemple : le redoublement coûte trop cher, on le supprime, les élèves ont de mauvais résultats, on casse les thermomètres, les hôteliers râlent, on maintient les grandes vacances,  etc.

En juin 2012, Vincent Peillon, dans sa lettre aux personnels de l’Éducation Nationale écrivait : « … nous souhaitons manifester à tous les personnels de l'éducation nationale l'estime et la confiance que nous vous portons… ». Effectivement, tout ce qui se profile témoigne bien de l’estime en laquelle il tient les enseignants. Il faudrait peut-être revoir la définition du mot estime…

Enfin, pour terminer, je voudrais claironner moi aussi ce que je souhaiterais dans l’intérêt des élèves. J’aimerais qu’ils bénéficient de méthodes pédagogiques efficaces qui les conduiraient à : mieux apprendre, apprendre plus, y prendre plaisir et regagner ainsi l’estime de soi qu’ils ont perdue en raison d’années de réformes éducatives inefficaces, toutes au nom de « l’intérêt des enfants ». Ce n’est pas incompatible avec l’intérêt des enseignants, bien au contraire, car un enseignant qui réussit avec ses élèves fait un grand pas vers le mieux - être. 



vendredi 18 janvier 2013

La "finlandisation des esprits"



Je n’ai pas trouvé d’autre expression que celle-ci pour décrire ce qui est le fruit d’une campagne de presse intensive depuis nombre d’années : la Finlande est devenue en matière éducative, l’inaccessible mythe, le pays où coulent le lait et le miel de la pédagogie constructiviste, le rêve devenu réalité. Cela fait partie des idées reçues, des évidences que l’on ne discute même plus. J’ai regroupé ci-dessous quelques éléments donnant à voir de quoi est composé cet « Eden pédagogique » et quelques pistes de réflexion. Ce modèle idéal a été diffusé par les tenants du modèle constructiviste, ce qui est logique, étant donné que la Finlande
fait partie de ce courant pédagogique.


* Principe de base : l'élève ne doit pas s'adapter à l'école mais l'école doit s'adapter à l'élève.
* Un système très décentralisé : le programme d'enseignement est défini par la Direction nationale de l'enseignement (objectifs, critères d'évaluation). Dans le respect de ce cadre, les écoles et les communes déterminent leurs propres programmes. Les communes et les directeurs recrutent les enseignants. 
* La taille des écoles est raisonnable : pas de collège de plus de 400 élèves, pas de lycée de plus de 500 élèves.
* Le principe du chèque - éducation est utilisé.
* L’école obligatoire à 7 ans
*L’encadrement des élèves révèle de gros moyens : nombreuses assistantes maternelles dans les jardins d’enfants et à partir de la scolarité primaire, un enseignant et un assistant d'éducation pour 20 élèves. Des professeurs supplémentaires sont disponibles pour aider les élèves en difficulté.
* L’enseignement spécialisé : le dépistage est précoce (dès le jardin d'enfants) et les classes spécialisées sont limitées à 5 élèves. Chaque école possède un maître spécialisé.
* Le statut de l’école et de l’enseignant dans la société : l’école est encensée, et les enseignants ont un statut bien plus prestigieux qu'en France, ils sont respectés.
* Les salaires des enseignants[1]

Première colonne : salaire initial; deuxième colonne : après 15 ans ;troisième colonne :salaire maximal

Les enseignants bénéficient de primes lorsque les objectifs sont atteints [2]
* La pédagogie :

  •     La pédagogie est de type constructiviste.
  •    Il n’y a de notation chiffrée en primaire ; l’autoévaluation est pratiquée dès la petite enfance.
  •     L’enseignement de la lecture commence à 7 ans, par une méthode syllabique.
  •     Les redoublements pratiquement inexistants.
  •     Les élèves en difficulté ont à leur disposition un maître spécialisé supplémentaire ; celui-ci prend en charge des groupes de 5 élèves maximum.
  •     Les élèves primo arrivants (principalement russes) suivent un cours intensif de finnois et sont partiellement intégrés avec 1 assistant bilingue pour 5 élèves.
  •     Il n’y a pratiquement pas de devoirs à la maison.
* Les rythmes scolaires : 190 jours sur l’année, 19 semaines de vacances.
CP (classe 1 âge 7 ans) et CE1 : 19 heures hebdomadaires.
CE2 et CM1 : 23 heures hebdomadaires.
CM2 : 24 heures hebdomadaires.
Du CP au CM2 : 45 min de classe + 15 minutes de récréation.
* L’évaluation des enseignants. Il n'existe pas de système d'inspection d’état ni de corps des inspecteurs. Les établissements sont dans l'obligation annuelle de rendre publics leurs résultats et leurs principes de fonctionnement. Des primes sont accordées aux enseignants quand les objectifs sont atteints.

Les évaluations internationales regroupent TIMSS/PIRLS et PISA, tests qui ne mesurent pas les mêmes choses. TIMSS/PIRLS sont fondés sur les connaissances disciplinaires (élèves de CM1 et 4ème). PISA (élèves de 15 ans) évalue comment les élèves mettent en application ce qu’ils ont appris dans le cadre de situations problèmes. Les écoles finlandaises préparent au PISA, auquel elles participent régulièrement. Par contre, elles ne participaient plus au TIMSS depuis 1999 et y ont à nouveau participé en 2011.

Pour une lecture approfondie de l’analyse des résultats de la Finlande, on se reportera à au texte de Pedro Cordoba qui conclut que la Finlande n’a pas autant chuté que certains commentateurs veulent le faire croire, tout en soulignant la faiblesse de l’enseignement des mathématiques dans ce pays, révélée par TIMSS. Peu de personnes savent qu'en 2005, une pétition de 200 mathématiciens universitaires finlandais a exprimé son inquiétude quant au piètre niveau des étudiants, ne possédant pas les compétences nécessaires à leurs études, dans des domaines comme par exemple la manipulation des fractions.

Mais on sait aussi qu'en 2011, les élèves finlandais, sont seulement 15 % à déclarer aimer beaucoup l’école [3]; en 2003, 25% seulement déclaraient faire des mathématiques car cela leur plaisait et 45% car ils apprenaient quelque chose.

Quand on creuse un peu, on constate donc que la réalité n’est pas aussi idyllique qu'on le laisse croire.  La réputation du modèle finlandais a été surfaite  par le courant constructiviste afin de promouvoir cette façon de d’enseigner. Et les facteurs non pédagogiques, qui sont très nombreux, contribuant à l’explication de cette réussite sont soit occultés, soient minorés alors que rien ne permet de le faire. En corollaire, on notera également que la montée des pays asiatiques qui dépassent la Finlande ne fait l’objet d’aucun enthousiasme, d’aucune curiosité qui consisterait à considérer les facteurs permettant cette réussite, y compris pédagogiques. Tout au mieux se contente-t-on de déplorer à l’aveuglette leurs méthodes coercitives et de railler leurs « mamans tigres ».










[1] http://www.formapex.com/comparaisons-internationales/636-salaires-des-enseignants-du-primaire-ocde


lundi 24 décembre 2012

Le dur métier d'enseignant




Les conditions de travail ainsi que l’épuisement professionnel des enseignants sont bien décrits par Brigitte Gonthier Maurin, paru dans son rapport sur le métier d’enseignant. Elle y évoque tour à tour le sentiment d’impuissance face à la classe, l’impression que de multiples obstacles empêchent le bon exercice du métier, l’augmentation des conflits (avec les élèves, leurs parents, la hiérarchie), l’isolement, la frustration née du décalage entre le métier tel qu'on aimerait l’exercer et le métier tel qu’on doit l’exercer, une formation non professionnalisante. Tout y est...

Par contre, au niveau des solutions proposées, on reste dans une espèce de flou artistique auquel nous sommes maintenant habitués. Sous couvert de véritables changements on nous annonce de grandes et nobles intentions dont on ne voit absolument pas par quels moyens réels elles pourraient être mises en œuvre. Ainsi pour remédier au malaise enseignant, il faudrait redonner du sens à l’école, restaurer la confiance de l’enseignant, convaincre les enseignants de la capacité de tous les élèves à apprendre, revoir la formation, et enfin créer des réunions de collectifs d’enseignants. Une fois de plus, on ne se rend pas compte que le malaise enseignant n’est que la partie émergée de l’iceberg et qu’il est le symptôme d’une maladie bien plus grave de tout le système éducatif.

Redonner du sens à l’école pourrait se faire en lui redonnant des objectifs spécifiquement scolaires et clairement définis, restaurer la confiance de l’enseignant en rétablissant son autorité. On pourrait commencer par l’autorité de statut (revalorisation financière du métier par exemple, une restitution du pouvoir pédagogique décisionnel). Depuis quelques temps circule aussi l’idée que l’on ne croit pas à la capacité d’apprendre de tous les élèves. Je serais curieuse de savoir qui est visé dans cette affirmation et quels sont les éléments qui permettent de l’affirmer. Peut-être est-ce en rapport avec le système de notation actuel qui révèle trop d’échecs. Enfin la création de collectifs d’enseignants hors de tout circuit hiérarchique, révèle le manque de volonté patent de prendre le problème à la racine. Bien sûr, il est bon de parler avec des pairs quand on a un problème, une « souffrance ordinaire ». Mais peut-être que les enseignants attendent plus de leur hiérarchie pour résoudre leur mal être.

Le ministère et son proche entourage regorgent de brillants “experts”. Et parmi eux, aucun n’a eu le courage de poser les questions suivantes :
1. Pourquoi les enseignants se sentent-ils isolés ?
2. Pourquoi n’ont-ils plus d’autorité ?
3. Pourquoi ne savent-ils pas gérer les classes à problèmes ?
4. Pourquoi sont-ils frustrés de ne pas pouvoir exercer leur métier correctement ?
5. Pourquoi rencontrent-ils des conflits quasi-quotidiennement avec les élèves, les parents, la hiérarchie?

Une réponse honnête de nos “éducrates” les obligerait à se renier eux-mêmes et à remettre en question l’ensemble de leur idéologie éducative car c’est bien de cela qu'il s’agit.

Qu'en est-il dans le monde réel ?

1/ Les enseignants se retrouvent seuls face à un problème qu'il soit pédagogique, ou administratif. Qui consulter dans ce cas ? Un conseiller pédagogique, qui la plupart du temps va les culpabiliser et leur faire comprendre qu’ils sont seuls responsables de la situation. Un autre pourra leur donner des conseils pratiques, la plupart du temps ce sera un recueil de recettes pédagogiquement correctes, qui au bout du compte compliqueront et alourdiront la tâche sans apporter plus d’efficacité. Voilà pourquoi, plus aucun enseignant n’appelle un conseiller pédagogique dès qu'il n’est plus tenu de le faire.

2/ Les enseignants ont perdu leur autorité car le métier a été dévalorisé dans la société, et ce pour plusieurs raisons. Leur autorité pédagogique a été mise à mal lorsqu'ils ont été dépossédés de leur pouvoir décisionnel en matière pédagogique et lorsque les parents d’élèves ont obtenu d’entrer dans les écoles et d’y avoir un rôle décisionnel. A l’heure actuelle, les pratiques pédagogiques sont remises en cause par certains parents d’élèves que ce soit via les systèmes d’évaluation, les méthodes, l’organisation pédagogique, les exigences de l’enseignant… D’où la multiplication des conflits parents/enseignants, qui parfois mêmes en viennent à la violence physique. À tel point que certains enseignants n’osent même plus réprimander certains élèves. En effet, en cas de conflit, verbal ou physique, l’enseignant sait très bien qu’il se trouvera tout seul, souvent accusé d’être lui-même à l’origine du problème. Les exemples sont légions.

3/ La gestion des comportements et des classes difficiles ne fait pas l’objet d’un apprentissage lors de la formation initiale ou continue. Pendant des années, on s’est imaginé que la gestion de classe ne s’apprenait pas, qu'il suffisait de créer par sa personnalité une atmosphère propice, et puis de faire inventer quelques règles de classe par les élèves. C’était une erreur car non seulement la gestion de classe s’apprend mais de plus, elle constitue la base de tout enseignement. Sans une bonne gestion de classe aucun enseignement ne peut réussir. Pourtant, il existe des travaux montrant toute l’efficacité d’une bonne gestion y compris dans le cas de classes difficiles. Pourquoi ces travaux ne sont-ils pas connus et diffusés ? Parce qu'ils vont à l’encontre de la doxa.

4/ Les enseignants et en particulier les jeunes sont frustrés car ils ne parviennent pas à être efficaces dans leur métier. Ils sont supposés avoir été formés et dès qu'ils se trouvent seuls dans une vraie classe, ils réalisent que ce qu'ils n’ont pas les outils pour enseigner. Dans quel autre métier voit-on ce genre de phénomène ?

5/ Pourquoi les conflits sont-ils leurs lots quotidiens ? Parce qu'il y a une recrudescence de parents et d’élèves sources de conflits. Pourquoi ? Parce qu'au nom des grandes idées, on les a tolérés depuis trop longtemps.

Une fois de plus, les solutions envisagées ne sont pas à la mesure des problèmes. Pour reprendre l’exemple cité plus haut, on constate que les enseignants sont frustrés de ne pas enseigner correctement. Il n’est qu'à se promener sur les blogs d’enseignants pour s’en persuader. Notons au passage qu’aujourd’hui, cela peut se dire, c’est un grand progrès. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que s’ils ne savent pas enseigner efficacement, c’est parce qu'on ne le leur a pas appris. Il serait peut-être temps que la formation se remette sérieusement en question et commence à proposer aux futurs enseignants des méthodes efficaces puisqu’elles existent. Pourquoi la France qui, en matière pédagogique, est si prompte à aller chercher ailleurs des méthodes pédagogiques (La Main à la pâte par exemple), ne s’intéresse-t-elle pas à celles qui venant du même pays ont un rapport favorable à l’efficacité ?  La solution n’est pas pour demain.


mercredi 12 décembre 2012

Haro sur le redoublement



Le projet de refondation de l’École a annoncé sa volonté d’éradiquer le redoublement, inefficace et surtout très coûteux.

On nous dit que des travaux ont montré son inefficacité pédagogique. Même si ces travaux n’ont pas encore pignon sur rue, cela est sans doute vrai. Mon expérience de terrain me dit qu’à de très rares exceptions près, le redoublement est peu rentable en termes de réussite scolaire.

Néanmoins, quelque chose me gêne dans le discours dominant. C’est le raisonnement qui conduit à penser que, puisque les élèves ayant redoublé restent très faibles tout au long de leur scolarité (ce qui est vrai), en supprimant le redoublement, ils ne seront plus en échec (ce qui n’est pas prouvé). Nombre d’enseignants laissent passer en classe supérieure des élèves n’ayant pas le niveau requis (pour des raisons diverses, soit car ils sont hostiles au redoublement, soit car les parents y sont hostiles) ; ces élèves-là continuent à être en échec. Alors, puisque les études savent mesurer l’efficacité du redoublement, pourquoi ne mène-t-on pas des études similaires pour évaluer l’efficacité du non-redoublement en termes de performances scolaires ?
Le Café Pédagogique publie un article sur la question, rapportant sous la plume de François Jarraud les travaux d’un chercheur belge, Hugues Draelant.

On y lit par exemple deux raisons qui conduisent les enseignants à s’opposer au redoublement : celui-ci aurait « une fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe et une fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants ».
Autrement dit, la menace du redoublement ne serait qu’un moyen de pression utilisé par les enseignants pour obtenir de l’ordre en classe. C’est mal connaître la réalité des classes (mais l’auteur est belge et peut-être que la réalité belge est autre que la nôtre). Il y a bien longtemps que le redoublement n’est plus une menace pour qui que ce soit, étant donné que l’enseignant a perdu tout pouvoir décisionnel en la matière. Tout au plus peut-il le suggérer aux parents d’élèves, mais en aucun cas l’imposer. Les parents seuls portent la responsabilité du redoublement.
L’auteur évoque aussi le redoublement comme outil de motivation pour faire travailler les élèves. À ma connaissance et après de nombreuses années d’enseignement je n’ai jamais rencontré d’enseignant utilisant ce “moteur” là. C’était peut-être vrai dans les années 50 mais ce temps est bien révolu. Il existe d’autres méthodes pour susciter l’intérêt et la motivation des élèves. Ce serait d’autant plus vain que les élèves eux-mêmes ont assimilé l’idée que l’enseignant n’a aucun pouvoir mais que, par contre, leurs parents en ont beaucoup.

Enfin l’auteur situe cette “supposée” résistance au redoublement dans le cadre plus général d’une opposition systématique à toute réforme, un certain immobilisme, dans le seul désir du maintien de l’autonomie professionnelle. Autrement dit, les enseignants seraient des personnes un peu étroites d’esprit, peu soucieuses de la réussite de leurs élèves, obsédées par l’ordre et leur pouvoir personnel dans la classe, fermées à la nouveauté et figées sur leur indépendance professionnelle.
Cela fait bien longtemps que l’autonomie professionnelle des enseignants n’est plus. Et ce n’est pas en s’accrochant au redoublement qu’on la récupèrera. Mais ce n’est ni honteux ni mal de la revendiquer. Les enseignants l’ont perdue le jour où on l’on a décidé qu’ils ne seraient plus à eux seuls les garants des apprentissages scolaires, mais qu’ils seraient associés aux parents, aux collectivités locales… et que leurs avis professionnels (= sur les apprentissages) vaudraient ceux des parents d’élèves ou autres membres de la communauté éducative (non spécialistes des apprentissages).

La “déprofessionnalisation” du métier d’enseignant a commencé il y a plusieurs décennies. Oui, les enseignants sont attachés à leur professionnalisme mais ce n’est pas dans le but d’exercer un quelconque pouvoir sur les élèves. Leur professionnalisme leur a été retiré depuis plusieurs décennies par une formation déplorable, par le manque de confiance généralisé, de la part des parents mais aussi de la hiérarchie, par le peu de poids accordé à leur parole professionnelle, par l’absence de moyens pour assurer leur autorité, par une rémunération insuffisante… Tout a été fait pour que ce métier soit dévalorisé. L’enseignant est devenu un pantin entre les mains de la hiérarchie, des parents d’élèves et bientôt des collectivités locales. Car c’est vers cela que nous nous acheminons.

Pour la question particulière du redoublement, je suis par expérience persuadée de son inefficacité. Que faire alors ?

Tout d’abord s’interroger sur le grand nombre d’élèves en échec et peut-être sur l’efficacité des méthodes pédagogiques avec lesquelles ils ont été enseignés. Est-ce normal d’avoir encore 15 % des élèves ayant des acquis insuffisants ou fragiles (25 %) en fin de scolarité primaire ? Et d’envisager pour toute solution de recommencer avec les mêmes recettes qui n’ont jamais fonctionné ?

Enfin, il faut rester réaliste, on ne peut ambitionner 0 % d’échec. Que faire avec ces élèves qui échouent dès le CP ? Pourquoi ne pas, le plus tôt possible, les intégrer dans des structures de soutien spécifiques parallèlement à la classe où l’on utiliserait avec eux des méthodes ayant fait leurs preuves ? Cela nécessiterait du personnel car l’enseignant, ne peut être l’homme orchestre que le ministère voudrait faire de lui.  Donc cela aurait un coût dont on ne peut dire s’il représenterait une économie par rapport à celui du redoublement.
Le projet de loi nous annonce « un accompagnement des élèves en difficulté tout au long de l’année et des possibilités d’aménagement de la scolarité d’une année sur l’autre ». Sur le papier, c’est effectivement merveilleux, mais comme il est de notoriété publique que l’État ne déboursera pas un centime pour cela, personnellement je n’attends rien de cet engagement. Ce ne sera qu’un effet d’annonce, parmi d’autres.

Les enseignants sont dévalorisés, sous-payés, mal vus de l’opinion qui les pense nantis et autoritaires. Et on vient encore leur reprocher d’être hostiles aux réformes ! Que l’on arrête de tirer sur l’ambulance !


vendredi 7 décembre 2012

Haut Conseil de l'Education: rapport 2012



Doc

Le HCE vient de publier son rapport 2012. Rien de bien nouveau sous le soleil, si ce n’est une confirmation de l’orientation du projet de loi de Vincent Peillon. Quelques points ont retenu mon attention.


Constat d’échec : « L’échec scolaire est trop important en France. » Voilà qui commence plutôt bien. Il faut dire qu’il serait difficile de nier tant cet échec est massif et visible par tous, même par ceux qui ne sont pas concernés directement par les questions éducatives.

Redoublement : « La France est l’un des pays qui pratiquent le plus le redoublement, même si celui-ci est nettement moins fréquent que dans le passé. Or, outre le coût qu’il représente pour la collectivité, il ne constitue pas un moyen de remédiation efficace dans la majorité des cas. Il tend en effet à ancrer un sentiment d’échec chez l’élève et ne tient pas compte de la diversité de ses acquis. » Certes, l’efficacité du redoublement n’est pas prouvée et ne saute pas aux yeux. Mais un élève qui passe malgré son faible niveau, ne va pas pour autant avoir une meilleure estime de soi. Il est conscient de ses difficultés et lui faire croire qu’il n’en a pas s’appelle de la démagogie. Ce qui l’aiderait par contre, serait de lui montrer qu’il est capable de s’améliorer ; l’estime de soi ne se décrète pas, elle vient avec la réussite véritable. Le grand mouvement pour l’estime de soi qui a eu lieu il y a quelques années aux États-Unis a cru bien faire en inculquant aux élèves que chacun avait une valeur personnelle hors du commun. Les résultats ont été contre-productifs. Par contre, les élèves qui parviennent à améliorer leurs performances véritablement, voient leur estime de soi augmentée. Le HCE suggère que les élèves en difficulté soient mieux pris en charge mais pour cela il faudrait de véritables moyens, forcément coûteux…

Programmes : « Il importe également de renforcer, tout au long de la scolarité à l’école primaire, les horaires consacrés aux apprentissages fondamentaux, qui ont diminué au cours des dernières décennies. » Cela serait une bonne idée, espérons que les auteurs des nouveaux programmes s’en souviendront.

Malaise enseignant : « Leurs pratiques ne leur permettent pas d’être toujours aussi efficaces qu’ils le souhaiteraient, ce qui ne peut qu’accroître leur « malaise » et contribuer à une certaine désaffection pour la profession. » Le HCE est lucide, il est vrai que nombre d’enseignants n’en peuvent plus de mettre en place les seules pratiques qu’ils connaissent et qui ne permettent pas à leurs élèves d’apprendre. Il suffit pour s’en persuader de surfer sur Internet et de visiter les sites, blogs ou listes de discussion dans lesquels les enseignants disent leur malaise, mais aussi essaient de trouver des recettes, des remèdes, fussent-il de bonne femme, pour améliorer leur pratique ? Dans quel autre métier a-t-on recours à ce genre d’échange pour tenter de réussir ce pour quoi l’on est supposé être formé et payé ?  Mais au fait, qui leur a enseigné ces pratiques non efficaces ? Cela fait des décennies que l’on inculque aux enseignants des pratiques pédagogiques constructivistes dont l’inefficacité est maintenant connue. Et l’on s’étonne maintenant qu’il y ait un malaise dans la profession…

Malaise (suite) : Cette phrase vient juste après le couplet sur le vœu pieux de revaloriser la profession. « Compte tenu des contraintes budgétaires, l’amélioration générale des rémunérations n’est pas d’actualité. La possibilité d’une revalorisation des débuts de carrière devrait toutefois être prise en considération. » Les enseignants ont tellement eu l’habitude d’être payés de bonnes paroles, pourquoi changer ?

Formation : « … on n’assurera pas un bon niveau de formation générale à tous sans  développer des pratiques éducatives reposant sur la conviction que tout élève peut réussir et intégrant la diversité naturelle des modes d’apprentissage. » Comme si les enseignants avaient pour habitude de ne pas croire au potentiel de chaque élève. Si ce n’était pas le cas, ils ne seraient pas aussi nombreux à vivre le malaise évoqué précédemment. Enfin, plutôt que d’évoquer l’hypothétique diversité naturelle des modes d’apprentissage des élèves, ils feraient mieux d’évoquer la diversité des modes d’enseignement et de songer à la proposer dans la formation, accompagnée d’un rapport aux résultats de chacune des méthodes.

Recherche : « S’appuyer sur des expérimentations à grande échelle. » « Les pratiques des enseignants gagnent également à se fonder sur la recherchePour dépasser les nombreuses rigidités existant dans un système éducatif centralisé comme le nôtre, emporter l’adhésion des acteurs et engager une dynamique du changement, des espaces d’expérimentation et d’innovation sont nécessaires. »… « Pour que de telles expériences soient fructueuses, elles doivent être menées sur une période suffisamment longue et portées par l’ensemble de l’équipe éducative d’un établissement. » Voilà enfin expliquée cette idée mystérieuse évoquée par Vincent Peillon : la recherche. Il ne s’agit pas de s’appuyer sur la recherche internationale récente qui a déjà démontré à échelle bien plus large un certain nombre de choses. Il s’agit simplement de laisser quelques écoles jouer aux chercheurs sur leurs propres classes. Quelque chose me dit que ces expérimentations n’auront pas besoin de la taxonomie d’Ellis & Fouts.

Bla bla bla : « Il est essentiel que l’École développe la capacité des élèves à apprendre tout au long de la vie, qu’elle accroisse leur désir de connaissance et leur autonomie de jugement… Susciter la curiosité, nourrir la créativité, apprendre à s’évaluer, encourager l’esprit d’initiative, voire l’esprit d’entreprise, ainsi que le travail en commun  - indispensables aussi bien pour s’investir dans la société que pour réussir dans le monde du travail. » Tout cela est du domaine du possible en utilisant des méthodes pédagogiques efficaces, à travers lesquelles les élèves constatent eux-mêmes leurs progrès, non par des méthodes qui les bernent en leur faisant croire qu’ils ont progressé.

Évaluation : « La manière d’évaluer les élèves a une incidence directe sur l’estime de soi, et donc sur la motivation pour apprendre. En France, parents et professeurs sont très attachés aux notes chiffrées, alors que ce système de notation constitue souvent plus un moyen de classer les élèves qu’un encouragement à progresser. Or d’autres méthodes d’évaluation, développées en parallèle, permettent de mettre l’accent sur les moyens d’atteindre les objectifs d’apprentissage. » Ce n’est pas l’évaluation qui est à l’origine de l’échec scolaire. Et ce n’est pas en donnant de bonnes notes (chiffrées ou pas) que les élèves auront une meilleure estime de soi, aimeront mieux l’école et les apprentissages. Cela est une croyance qui a la vie dure. L’estime de soi vient des progrès réalisés par le travail et l’effort ; c’est l’enseignant qui doit les provoquer par une méthode efficace. Le projet Follow Through l’a bien montré dans ses mesures de l’estime de soi ; les élèves en ayant le plus étaient ceux qui avaient suivi les méthodes les plus efficaces sur le plan des apprentissages et non ceux qui avaient suivi des méthodes centrées spécifiquement sur l’estime de soi.

En conclusion, compte tenu de l’orientation prise par l’actuelle «refondation de l’École », ce rapport est conforme, prévisible. Que ses auteurs se rassurent, ils ne seront pas poursuivis comme hérétiques ! Absolument rien de neuf sous le soleil, on reprend les mêmes poncifs éculés depuis des décennies, et on recommence sans même prendre la peine de les redorer un peu. On constate les échecs mais on s’entête dans les mêmes voies. Alors qu’on nous serine sur tous les tons que le salut sera dans l’innovation, je trouve que nos têtes pensantes en manquent cruellement.



samedi 10 novembre 2012

L'enseignant curé ou soldat ?



L’enseignement est l’un des rares métiers au monde que l’on se sente toujours obligé de comparer à un autre. Cette particularité pose question et révèle sans doute que ce métier n’en est pas vraiment un, son statut est flou, y compris dans l’esprit de ceux qui le pratiquent.
En France, encore aujourd’hui, la comparaison avec le curé et l’utilisation d’un vocabulaire religieux dominent. Le mot vocation par exemple, est très courant. Il est admis qu’un bon enseignant doit avoir la « vocation ». Aurait-on l’idée de  parler de vocation pour le métier d’ingénieur, celui de boucher ou encore celui de secrétaire ? Avoir la vocation signifie répondre à un mystérieux appel, avoir eu une révélation, celle d’enseigner. Celui qui l’entend n’a pas besoin d’être formé à cela, il prend son bâton de pèlerin, sa foi lui suffisant pour accomplir de grandes choses. Bien sûr, cette comparaison minimise le côté professionnel de l’enseignant, de la formation et en même temps lui donne un côté ésotérique. Dans le même registre, nous trouvons aussi les termes : dévouement, mission, amour (des enfants), engagement, passion [1]. À l’heure actuelle, le ministère a du mal à recruter des enseignants. Qu’à cela ne tienne, on évoque la « crise des vocations » en passant soigneusement sous silence la piètre rémunération, le manque de reconnaissance sociale qui va avec, le manque de moyens pour exercer le métier, les conditions matérielles déplorables et dans des cas de plus en plus fréquents, le danger de la profession (il n’est qu’à consulter les faits divers dans les journaux, auxquels on ajoutera ceux qui ne font pas la une de la presse) tant sur le plan physique que psychologique. Il est inutile d’annoncer à grand son de trompe que le métier d’enseignant sera un jour  revalorisé (on nous l’a fait croire si souvent) tout en distillant cette idée d’un métier qui ne repose sur rien d’autre qu’une vocation. Et pourquoi pas un bénévolat ? Tout cela contribue fortement à la dévalorisation du métier, à sa déprofessionnalisation.
J’ai trouvé un autre type de comparaison qui me semble intéressant de rapporter ci-dessous, il vient d’outre-Atlantique. Le magazine américain en ligne Education Week a récemment publié un article dans lequel il soutient que l’enseignement a plus en commun avec la carrière militaire. Il y a certes des similitudes mais aussi des différences de taille.
L’enseignant, tel un soldat d’aujourd’hui, doit d’abord sécuriser la zone, sa classe, surveiller le bien-être de « ses habitants », ses élèves, et évaluer en permanence les menaces potentielles (comportementales). Il est clair que dans certaines écoles dites « sensibles » le travail de l’enseignant, en particulier dans le Secondaire, se résume à une tâche de pacification pour laquelle il n’est absolument pas formé, contrairement au soldat.
Comme le soldat désamorce une bombe en zone de guerre afin de sauver des vies humaines, l’enseignant tente d’étouffer dans l’œuf les comportements susceptibles de nuire aux autres élèves ; mais là, contrairement au soldat, il ne possède pas la procédure de désamorçage. Il fait ce qu’il peut et en général dans la plus grande solitude ; il n’a pas d’équipe sur laquelle s’appuyer, ce qui n’est pas le cas du soldat.
Le soldat doit suivre les ordres de ses supérieurs, sans les commenter ni les contester, même si ces supérieurs sont fort éloignés de la réalité du terrain. C’est le cas dans l’enseignement pour les injonctions pédagogiques. Quand les programmes, la formation initiale ou continue décident que les méthodes doivent être actives, alors les enseignants sont tenus de les mettre en œuvre sans se préoccuper des résultats. Le soldat obéit, c’est un exécutant. L’enseignant doit également obéir à sa hiérarchie et aux programmes. La différence est qu’on lui laisse croire qu’il est un être pensant et possède une liberté pédagogique. Mais que faire de cette liberté pédagogique quand on est tenu de respecter les programmes et que ceux-ci demandent par exemple d’utiliser des méthodes actives pour telle ou telle discipline ? Liberté pédagogique ou obéissance ? Que faire quand on sait, grâce à des données probantes, que certaines méthodes pédagogiques sont inefficaces et que votre hiérarchie vous demande de les appliquer tout de même ? Un soldat qui n’exécute pas les ordres peut avoir de gros problèmes. Un enseignant qui fait de même pourra aussi avoir à faire avec une hiérarchie pointilleuse et ce, même si on n’a pas encore inventé les tribunaux pédagogiques.
On attend du soldat comme de l’enseignant qu’il mette au second plan ses besoins personnels, pour le bien de la mission qui lui est confiée. De la même manière, on aime à penser que l’enseignant est investi d’une mission, qu’il fait preuve d’humanisme et ne compte ni son temps ni sa peine pour le bien général. Il n’est qu’à voir le vocabulaire qui persiste encore aujourd’hui autour de ce métier : vocation, dévouement, mission, amour des enfants, engagement (voir plus haut). Et considérant les salaires des enseignants, il est clair que la motivation ne peut pas être d’ordre financier.
Enfin, le soldat et l’enseignant ont en commun une absence de reconnaissance sociale. L’armée comme l’éducation sont déconsidérées et ne sont plus véritablement des institutions sociales, même si elles en gardent le titre.
Le jeu des comparaisons pourrait s’étendre bien au-delà de ces deux exemples. Cet exercice, apparemment très prisé, montre simplement que le métier d’enseignant, comme le dit Clermont Gauthier, tarde à se professionnaliser et reste encore aujourd’hui une « profession immature ».




[1] « Mais nous savons aussi la force de votre dévouement, la passion  et la vocation qui vous animent… » (Lettre de Vincent Peillon  à tous les personnels de l’Éducation Nationale, juin 2012).

dimanche 30 août 2009

Les enseignants sont-ils stressés ?

Les enseignants sont-ils stressés ?


Il est très courant d’évoquer le stress des élèves, ou leur phobie de l’école. Par contre, celui des enseignants ne fait jamais la une des journaux, c’est sans doute un sujet politiquement incorrect alors que l’on n’hésite pas à parler du burn out des salariés du privé, par exemple. Il est impossible d’accéder à aucune statistique sur la question. Pourtant, c’est une réalité quotidienne. Et cela commence dès l’école primaire. C’est d’elle qu’il s’agit ici.
Voici un certain nombre d’agents stressants qui peuvent expliquer le mal être des enseignants du primaire.

La tâche d’enseignement en soi
Dans cette rubrique, on peut placer les conditions matérielles d’enseignement :
La taille des classes (c’est un travail différent de mener un CP de 18 élèves et un CP de 29), le niveau (par exemple un cours triple ou une classe unique).
Les conditions pédagogiques comme par exemple l’utilisation d’une méthode pédagogique inefficace. À cela plusieurs raisons possibles :
*L’enseignant n’en connaît pas d’autres.
*L’enseignant croit à ses vertus.
*L’enseignant est plus ou moins obligé d’utiliser une méthode qui ne lui convient pas (pression de l’IEN, projet d’école).
L’hétérogénéité de niveau au sein d’une même classe. Elle peut poser problème, notamment aux débutants. On essaie de nous persuader que les différences de niveau sont une chance pour la classe mais, dans les faits, il n’en est rien : l’enseignant ne peut se partager à l’infini pour donner des cours particuliers à chacun des élèves. Un minimum d’homogénéité est nécessaire.

Les élèves
Le rapport avec les élèves peut aussi poser problème. Il s’agit alors de tous les problèmes de discipline, de comportement, de violence physique ou verbale. Je pense que de loin, ce sont les plus graves. Il n’est pas normal qu’un enseignant parte travailler le matin la peur au ventre. S’il n’est pas serein, son enseignement sera de mauvaise qualité.
D’une part, les jeunes enseignants ne sont absolument pas préparés à la réalité du terrain et se trouvent complètement désarmés quand ils la découvrent. D’autre part, les enseignants ont été dépossédés de l’autorité qu’ils pouvaient avoir dans leur classe, et ce pour plusieurs raisons :
Le statut de l’enfant dans la société (enfant roi à qui tout est permis, qui ne sait pas ce qu’est une règle, défendu par ses parents).
Le statut des parents dans l’école (ont une place reconnue dans l’école, participent aux décisions et sont les avocats de leurs enfants).
Le pouvoir décisionnel pédagogique (ex : les redoublements) qui n’appar­tient plus à l’enseignant.
Le respect de l’enseignant dans la société. Du fait de sa perte d’autorité, de sa perte de pouvoir décisionnel, de son salaire très bas, le statut de l’enseignant dans la société a changé. Il n’est plus qu’un subalterne au service de l’enfant et on lui fera part de son mécontentement, de toutes les manières, y compris violentes, s’il ne sait pas reconnaître le génie de l’enfant qu’on lui confie.
Le respect de l’École en tant qu’institution. A cela plusieurs raisons. D’abord l’école, depuis les années 70 (à la suite des « pédagogies nouvelles »), a été désacralisée, elle se défend alors d’être uniquement un lieu de transmission des savoirs, elle se veut lieu de vie et d’épanouissement de l’enfant, un endroit ouvert sur le monde. Le savoir, plus largement, dans la société, n’a qu’une importance mineure dans les mentalités. Il est dépassé par l’argent et la consommation. De plus, les diplômes ne sont plus un sésame pour une meilleure place dans la société. Tout cela fait que l’École, à l’image des maîtres, n’est plus respectée.
Mais le rapport avec les élèves peut aussi s’inscrire dans une dimension purement scolaire, quand par exemple les élèves n’ont pas le niveau requis ce qui est assez fréquent.

Les parents d’élèves
Les parents d’élèves dans les écoles primaires peuvent être également source de stress.
Violence et agressivité. On n’hésite plus  à aller insulter l’enseignant publiquement, dans l’école, à lui faire des procès d’intention, voire à en venir aux mains. Les prétextes sont divers : une mauvaise note, une supposée réprimande, un geste mal interprété … Comment l’enseignant qui a subi ce genre d’agression peut-il continuer son année d’enseignement ? Dans quel état d’esprit se trouvera-t-il chaque matin en arrivant à l’école ? Comment poursuivra-t-il l’année vis-à-vis de l’enfant dont les parents ont posé problème ? Quelque chose aura changé sans doute. En tout cas, il ne sera sûrement pas dans les meilleures conditions pour enseigner, si toutefois il ne se retrouve pas en congé maladie.
Éducation familiale. Les parents d’élèves sont aussi ceux qui dispensent l’éducation de leurs enfants, dont on sait aujourd’hui à quel point elle est défaillante. Ils sont les parents des enfants rois et, en tant que tels, leurs fervents avocats. Ils vont donc intervenir auprès de l’enseignant, non dans le bien scolaire de l’enfant, mais dans la satisfaction des désirs, plaisirs et exigences de celui-ci. Cela signifie qu’il n’y aura pas forcément adéquation entre l’exigence du parent et la vision de l’enseignant qui elle est proprement scolaire ; d’où possibilité de conflit.
Participation des parents aux décisions de l’école. Par leur appartenance au Conseil d’École et leur participation aux décisions, ils peuvent influencer entre autres les partis pris pédagogiques de l’équipe. Ainsi, un enseignant peut se retrouver en situation de ne pas pouvoir exercer sa liberté pédagogique individuelle comme par exemple le choix de sa méthode d’enseignement, de ses manuels, de sa politique par rapports aux sorties ou classes transplantées, tellement réclamées par les parents d’élèves.

Les rapports à la hiérarchie
L’inspection. Il existe bel et bien un stress occasionné par l’appréhension de l’évaluation et ce, quel que soit l’âge de l’enseignant. En primaire, les rapports avec la hiérarchie prennent la forme d’inspections, faites par les IEN. Hormis le jour de l’inspection, l’enseignant ne voit pratiquement jamais son inspecteur, ne le connaît pratiquement pas ; la réciproque est vraie aussi. L’inspection devient alors un événement exceptionnel qui doit avoir lieu tous les 3 ans mais qui dans les faits est bien plus rare. C’est une situation qui peut être vécue comme infantilisante ou même injuste. L’inspecteur va attribuer une note sur 20 après avoir vu une séance d’une heure de classe.
Les directives pédagogiques. A cela, s’ajoutent parfois les pressions pédagogiques exercées par certains IEN, désirant promouvoir certaines méthodes pédagogiques plutôt que d’autres et montrant plus d’intérêt pour la maîtrise d’un discours « pédagogiquement correct » que pour les résultats dans les classes. ­­­

Le climat dans l’école
L’enseignant fait partie d’une équipe éducative, qui est sensée travailler en harmonie. Il est donc indispensable qu’il y règne un bon climat, d’entraide et d’ouverture. Sans quoi cela risque d’être un nouvel obstacle. Il existe des écoles, nous en avons tous connues, au climat délétère, dans lequel les désaccords peuvent être personnels, ou pire encore, pédagogiques.
Je vous laisse imaginer le pire des cas de figure : des élèves au comportement difficile, un niveau scolaire très bas, des parents d’élèves agressifs, une hiérarchie qui vous met la pression, des collègues avec lesquels vous êtes en désaccord.

Les facteurs de stress sont nombreux et variés ; tant que l’on n’aura pas évalué sérieusement cela, rien ne pourra être mis en œuvre pour y remédier. On préfère cependant faire l’autruche et laisser croire à la population que les enseignants sont des privilégiés avec leurs « 3 mois de vacances ». A l’heure actuelle, la pénibilité d’un travail n’est pas uniquement physique. Les multiples dépressions nerveuses ou autres burn out dont sont victimes les enseignants montrent bien quille faudrait revoir la classification de ce métier, sans parler de sa formation, qui elle non plus n’en tient absolument pas compte.