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samedi 29 mars 2014

Sous-estimons nous les élèves ?

Voilà le titre d’un article récent de Daniel Willingham, dans lequel il s’appuie sur une expérience récemment menée pour répondre oui.

Par-delà cette étude, la question mérite d’être posée plus largement dans la perspective de ce qui se passe dans les écoles et au regard de la méthode pédagogique dominante, le constructivisme.

Oui, le constructivisme sous-estime les élèves en considérant systématiquement que les programmes sont trop ardus et en allégeant tout ce qui exige un travail et une pratique assidus. Lorsqu’un élève ne réussit pas, il médicalise immédiatement le problème : d’où l’apparition de toute une palette de troubles dys. Une fois que les élèves sont étiquetés dys, ils intègrent l’idée qu’ils sont différents (ils ont d’ailleurs des traitements à part au sein de la classe) et ne font que ce que l’on attend d’eux, c’est-à-dire moins que les autres. Je ne suis pas en train de dire que les troubles dys n’existent pas, je dis simplement que certains élèves sont abusivement reconnus comme tels.

Mais il faut aussi considérer la méthode pédagogique : nous savons maintenant que toutes les méthodes ne se valent pas en termes d’efficacité et de réussite dans les apprentissages. Le constructivisme, bien qu’il soit encore officiellement encouragé, ne fait pas partie des méthodes efficaces : l’expérience le montre (il est utilisé dans la majorité des classes depuis des décennies avec le succès que l’on connaît - voir dernier classement PISA), l’a montré, et la recherche l’a prouvé (voir les travaux en sciences cognitives). Le constructivisme n’est qu’une méthode pédagogique c’est-à-dire qu’il se centre sur le « comment faire ». Or, il se trouve obligé de se positionner sur les contenus car quels que soient les programmes, il ne parvient pas à les faire maîtriser par les élèves. C’est pourquoi dans le milieu constructiviste, on accuse les programmes de tous les maux : trop chargés, trop arides ou inutiles. Mais à aucun moment ne survient un questionnement du type : si nous n’arrivons pas à enseigner tel ou tel programme, c’est peut-être car nous nous y prenons mal. Non, on persiste à soutenir que les programmes sont trop difficiles pour les élèves, ce faisant on sous-estime les élèves. Par contre à aucun moment on ne remet en cause par exemple, le principe selon lequel il faut entrer dans les apprentissages par la complexité.  Ou que l’enfant apprend mieux en tâtonnant, grâce aux autres etc… Le constructivisme sous-estime les élèves, n’a pas pour eux de hautes ambitions préférant les laisser tâtonner dans leur univers, ne leur donnant pas les moyens ni les attitudes pour comprendre le monde qui les entoure et faisant d’eux des êtres démunis des connaissances nécessaires à la constitution d’une pensée et d’un raisonnement.

À côté de cela  et plus largement, il y a dans la société une mentalité éducative qui considère l’enfant comme un petit prince à qui doivent être épargnés tous les efforts et dont les besoins et désirs immédiats doivent être assouvis immédiatement, y compris à l’école. Non, je n’exagère pas. Tout enseignant a connu ce parent d’élève qui vous reproche de lui en demander trop, d’être trop exigeant, d’exiger des efforts que l’enfant n’est pas supposé fournir. Ce parent d’élève qui prend sa plume pour vous demander d’excuser l’élève qui n’a pas appris sa leçon, ou pour vous demander pourquoi il n’a pas su sa leçon en classe alors qu’à la maison il la connaissait…Tout cela contribue à empêcher l’enfant d’aller plus loin, de fournir  des efforts, de se surpasser et le maintient dans ce que Carol Dweck appelle un état d’esprit statique.  

On serait surpris de constater ce à quoi les élèves (tous les élèves) peuvent parvenir quand ils sont enseignés via des méthodes pédagogiques efficaces. Pour n’en citer qu’une, l’enseignement explicite, qui a cette particularité d’avoir de hautes ambitions pour tous les élèves. Qu’est-ce que cela veut dire ? Non, cela ne veut pas dire enseigner le programme de 6ème à des élèves de CP. Avoir de hautes ambitions c’est d’abord considérer que tous les élèves peuvent apprendre, et ce quel que soit leur niveau de départ. C’est ensuite effectivement partir du niveau où ils se trouvent et non pas d’un hypothétique niveau où ils seraient censés se trouver. C’est utiliser tous les moyens pédagogiques efficaces que la recherche met à notre disposition pour favoriser la compréhension, la mémorisation. C’est prouver aux élèves qu’ils sont capables de réussir s’ils ont les stratégies (fournies par l’enseignant) et s’ils fournissent les efforts nécessaires. L’élève qui réussit (et la plupart le font en enseignement explicite) acquiert une meilleure estime de soi, a envie d’aller plus loin. Avoir de hautes ambitions, c’est permettre à l’élève d’aller plus loin vers un but que l’enseignant sait atteignable.

Sous-estimer les élèves part peut-être d’une bonne intention mais au total, cela obtient un effet pervers. Car l’enfant comprend très vite ce que l’adulte attend de lui et y répond. Si l’on dit à un enfant : ceci est trop difficile pour toi, tu n’y parviendras pas, l’enfant intègre immédiatement la donnée et se comportera de manière adéquate à cette attente. Il n’apprendra jamais à persévérer, à aller plus loin et s’imaginera au fond, que ses moyens d’agir sur le monde sont limités.

Il est donc urgent que les adultes, qu’ils soient parents ou enseignants considèrent les enfants comme potentiellement capables de réussir des tâches à leur niveau. Il faut bien entendu, en tout cas pour les enseignants, qu’ils utilisent les bons outils pour enseigner, à savoir des méthodes dont l’efficacité est avérée  et qu’ils introduisent dans leurs pratiques le mot effort, sans lequel tout progrès est impossible. 




jeudi 27 mars 2014

Franck Ramus favorable aux données probantes

Que se passe t-il ? Le Café Pédagogique publie un coup de gueule de Franck Ramus qui s’insurge contre le mépris des données probantes dans l’enseignement. Il s’agit d’une réponse à Rémi Brissiaud lequel mettait en doute le lien entre sciences cognitives et pédagogie tel que l’avait présenté Stanislas Dehaene. L’événement est de taille pour un site qui depuis des lustres se fait le chantre du constructivisme et le détracteur des données probantes.
Mais ne boudons pas notre plaisir. Je vous conseille cette saine lecture qui dit par exemple  :

"Mais quelle légitimité peut-il encore y avoir à défendre des méthodes que l'on s'abstient obstinément, année après année, d'évaluer et de comparer rigoureusement avec d'autres méthodes ?"

"Combien d’années de plus faudra-t-il attendre pour que la méthode Freinet (et les principales autres utilisées en France) soient évaluées ?"

"A ne pas vouloir mener les recherches expérimentales permettant de tester rigoureusement l'efficacité des pratiques, on laisse les enseignants démunis, à la merci des modes, des idéologies et des arguments d'autorité, avec pour seul recours de tâtonner… "

Une voix française se fait enfin entendre pour revendiquer une place aux données permettant d’attester de l’efficacité ou de la non efficacité de telle ou telle méthode.

Alors que dans le vaste monde de l’éducation, c’est-à-dire hors de nos frontières gauloises, ces données existent et que des centaines d’études ont déjà été menées depuis les années 60. Nous n’avons même pas l’excuse de la langue puisque nos cousins canadiens chercheurs en éducation clament eux aussi depuis fort longtemps l’urgente nécessité de recourir aux données probantes afin que ne sévissent plus dans les classes des méthodes pédagogiques inefficaces. Bref, si le rapport à l’efficacité à partir de données tangibles ne parvient pas à franchir les frontières de notre pays, cela est forcément voulu et je rejoins Franck Ramus quand il déplore que « cette attitude soit soutenue au plus haut niveau de l’Éducation Nationale ».

Il faut absolument faire entrer les données probantes en enseignement et en pédagogie ; on ne pourra pas faire l’autruche indéfiniment et le réel est en train de nous rattraper à grande vitesse. Les méthodes « freinetisantes » n’ont aucune légitimité sur le plan des résultats ; on sait maintenant qu’un enseignement guidé et explicite est plus efficace que les pratiques de découverte mais on sait aussi pourquoi. Malgré tout, cela n’empêche pas les autorités de conseiller ce genre de pratique.  

Il y a en France dans les milieux autorisés, un conservatisme pathologique empêchant toute remise en question et freinant des quatre fers quand l’approche idéologique de la pédagogie se voit menacée par une approche scientifique et rationnelle. Ce sera une tâche énorme de faire changer ce type de mentalités mais c’est un passage obligé si l’on veut se situer dans une approche centrée sur l’efficacité. Espérons que la voix de Frank Ramus y contribuera.

Pour en savoir plus sur la question voici une liste de liens :



samedi 15 mars 2014

Un mythe parmi d’autres : un enseignement direct rend les élèves passifs

La rhétorique de l’enfant cruche est maintenant bien connue, elle prétend que les pratiques transmissives n’ont d’autre but que de remplir la tête des élèves, comparés à des cruches. Ceux-ci attendraient benoîtement et passivement qu’on les emplisse de savoirs dont ils ne seraient pas demandeurs.En corollaire, les classes dans lesquelles on pratique les méthodes par découverte seraient des classes actives. 

Cela est faux. Bien entendu, le terme actif est à entendre sur un plan cognitif. Il existe de nombreux moyens pour susciter l’activité cognitive de tous les élèves, quel que soit leur niveau scolaire et même sur des sujets qui a priori ne les questionnent pas. C’est l’une des préoccupations de base de l’enseignement explicite.  Voici quelques éléments clés qui y contribuent :

L’importance du temps scolaire
Du temps passé à l’école, l’élève utilise seulement une infime partie pour des tâches cognitives. L’enseignement explicite a pour but d’augmenter le TAS (temps d’apprentissage scolaire ou durée pendant laquelle les élèves sont engagés avec succès dans des tâches scolaires de leur niveau.) Le TAS occupe environ 20 % du temps total alloué. Le TAS et la réussite étant intimement liés, il convient par conséquent d’augmenter ce dernier; cette optimisation se fait par une bonne gestion de classe et de matière. Quelques exemples : vérifier la maîtrise des connaissances pré-requises, aligner l’enseignement sur le niveau réel des élèves, commencer les leçons en temps voulu, se tenir à l’emploi du temps, avoir une bonne organisation matérielle, éviter les interruptions, les digressions, diminuer le temps des transitions, utiliser les routines.

Des objectifs clairement définis
L’élève doit savoir exactement ce que l’on attend de lui et comment cette attente devra se traduire. Autrement dit, il s’agit d’annoncer le but de la leçon, (ex : dans cette leçon, vous allez apprendre à reconnaître le sujet du verbe). Mais il faut plus de précision encore ; l’élève doit savoir de quelle manière cela va se manifester, il faut donc traduire l’objectif d’apprentissage en tâche à accomplir (ex : à la fin de la leçon quand je vous donnerai des phrases, vous serez capable de souligner tous les sujets du verbe). L’élève qui ignore ce que l’on attend de lui risque de se perdre en chemin et la confusion est source de décrochage.

Des objectifs atteignables par tous
L’objectif d’apprentissage doit être en rapport avec le niveau des élèves. Cela signifie que l’enseignant doit s’assurer que les connaissances pré-requises sont bien installées. De nombreuses attitudes de passivité proviennent du fait que les élèves, n’ayant pas ces connaissances préalables, ne sont pas capables de comprendre et par conséquent décrochent. De la même manière, il faut partir d’éléments simples et procéder de manière progressive afin que les situations complexes n’apparaissent qu’au moment où l’on est sûr que les élèves ont les outils pour les résoudre.

Des connaissances pré-requises maîtrisées
La plupart des échecs viennent du fait que la connaissance (ou habileté) indispensable à la nouvelle acquisition n’était pas en place chez l’élève. Il est donc essentiel que l’enseignant s’assure de sa maîtrise. Le modelage de l’enseignant, même de qualité est vain si l’élève ne possède pas les bases fondamentales. Par exemple, si un élève ne sait pas comment reconnaître un verbe conjugué dans une phrase, alors il sera incapable d’assimiler la leçon sur la reconnaissance du sujet. Il est essentiel de s’assurer de la maîtrise des connaissances pré-requises chez tous les élèves et ne pas hésiter à revenir en arrière, si besoin.

Une sollicitation de tous
Pour éviter la passivité cognitive, il faut que tous les élèves aient des tâches à accomplir et se sentent sollicités personnellement. L’enseignant doit donc veiller à ce que tous participent et ne pas se contenter de dialoguer avec ceux qui lèvent le doigt. Les questions pour vérifier la compréhension seront nombreuses, variées dans leurs formes. Les manières de répondre seront également diverses : orales (individuelles, chorales, à un partenaire), écrites (individuelles, sur cahier, sur ardoise, cartes de réponse…) par action (en particulier dans les petites classes). Les tours seront parfois organisés, parfois aléatoires. En prenant l’habitude d’être sollicités très souvent, et de devoir argumenter leurs réponses, les élèves acquièrent une habitude active par rapport à la tâche requise.

Du renforcement positif
Comment espérer que les élèves s’intéressent et soient actifs si le renforcement négatif l’emporte sur le renforcement positif ? Or, c’est bien ce qui se passe dans de nombreuses classes. Les études et expérimentations ont montré que le renforcement positif abondant, portant sur les résultats obtenus au regard des efforts fournis, avaient une influence sur l’estime de soi, sur la participation et sur les résultats. Cela est compréhensible car l’élève qui est encouragé a envie d’aller plus loin, il est rassuré sur ses aptitudes, par conséquent, il est plus attentif, donc plus actif. Alors que dans une pratique de découverte entrant directement dans la complexité, la plupart des élèves n’ayant pas les moyens de réussir, ils décrochent et vivent un échec nuisible sur l’estime de soi et sur l’envie d’aller plus loin.

De hautes ambitions et des défis
Quand on se soucie de la réussite de tous, le danger est de demander des tâches trop faciles. C’est alors que l’ennui risque de s’installer, suivi de la passivité puis de la démotivation. Il faut garder en tête l’objectif de faire progresser chaque élève et avoir pour chacun de hautes ambitions, réalisables. Il ne faut donc pas hésiter à lancer des défis, par exemple lorsque l’on aborde un problème un peu plus difficile (mais dont on sait qu’ils possèdent les moyens pour le résoudre). La façon de présenter les choses est très importante ; on pourra dire par exemple : « Je vois que vous avez bien réussi ce problème ; mais celui-ci est un peu plus difficile. Saurez-vous le résoudre ? » Ou bien : « Ce problème est difficile, je l’ai donné dans une classe de grands. Mais je pense que vous allez parvenir à le résoudre ; vous essayez ? » En enseignement, la façon de communiquer avec les élèves, de proposer les exercices, de présenter les choses, a beaucoup plus d’importance qu’il n’y paraît.

L’esprit dynamique
Les travaux de Carol Dweck ont montré tout l’intérêt de développer à l’école l’esprit dynamique, qu’elle définit comme celui permettant de tirer profit de ses erreurs pour s’améliorer et développer une réelle envie d’apprendre. La recherche a montré que cet état d’esprit était lié à la réussite scolaire. C’est l’idée selon laquelle l’intelligence n’est pas une chose figée et immuable, mais qu’au contraire, elle est en perpétuelle mutation. De là, découle la possibilité que chacun, par ses efforts et sa volonté, peut réussir à l’école. Favoriser cet état d’esprit en classe conduit à complimenter les élèves sur les résultats liés aux efforts fournis, et à leur montrer que les erreurs permettent d’aller plus loin et d’avancer. De quoi renforcer l’estime de soi, prendre goût aux apprentissages et être plus actif en classe.

Le plaisir d’apprendre
Contrairement à la mythologie dominante, le plaisir d’apprendre ne vient pas d’une motivation propre à l’élève ou du choix de sujets supposés l’intéresser (le fameux « partir du vécu de l’enfant »). Il est le fruit de la réussite liée aux efforts déployés. Mais encore faut-il pour cela amener les élèves à prendre conscience du fait qu’ils savent maintenant une nouvelle chose. C’est ce qui se fait lors de l’objectivation ou même lors des fréquentes révisions. Ainsi les élèves développent le désir d’aller plus loin et l’élève qui connaît le plaisir d’apprendre dans le cadre scolaire, ne sera jamais passif.

C'est un procès d’intention que d’accuser l’enseignement explicite de susciter la passivité chez les élèves. Les diktats pédagogiques des dernières décennies ont fait croire que des classes agitées étaient des classes actives. À tel point qu’une classe travaillant dans l’ordre et le calme est à l’heure actuelle considérée comme suspecte. Si l’on considère que l’école doit enseigner et les élèves apprendre, alors l’activité dont nous parlons est bien cognitive. L’activité cognitive est au cœur des préoccupations de l’enseignement explicite et les résultats sont là pour le prouver.