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mercredi 8 février 2012

A quoi rêvent les enseignants


Être efficace dans son enseignement  – Savoir expliquer – Éviter l’oubli chez les élèves - Communiquer le sens de l’effort - Obtenir de bons comportements



Ce n’est plus un scoop, les enseignants sont formés de manière très inefficace et les jeunes se trouvent désemparés quand ils tentent de mettre en œuvre dans de vraies classes les vérités qu’on leur a inculquées. Et que dire de tous ceux qui se trouvent chargés de classe sans avoir eu de formation, aussi piètre soit-elle ? Si la formation initiale est défaillante, il en est de même pour la formation continue qui distille toujours, au gré des moyens locaux, la même doxa constructiviste, et se garde bien de tenir les enseignants informés des avancées de la recherche en éducation, surtout quand celles-ci sortent des sentiers battus. Cela contribue au malaise enseignant, qui survient lorsque l’on ne possède pas l’outil nécessaire pour l’accomplissement de l’objectif imposé, lorsque l’on se voit obligé d’utiliser une façon de faire inopérante. Preuve en est la multiplication sur Internet des espaces d’échanges et de discussion entre enseignants afin de glaner par-ci par-là quelques recettes. Si l’on regarde les sujets les plus fréquemment abordés, on remarquera que certains sont récurrents. Ils portent sur les pratiques de l’enseignant lui-même et sur les résultats obtenus.

D’une manière générale, l’efficacité revient très souvent. Nombre d’enseignants constatent avec désarroi qu’ils ne parviennent pas au but fixé, que leurs élèves n’apprennent pas ou apprennent mal. Ils cherchent comment faire pour changer cela. De là, découle l’interrogation sur la manière de faire pour mieux expliquer les notions et concepts au programme. Cela révèle que les situations de découverte par les élèves ne donnent pas satisfaction à ceux qui ont pour ambition des apprentissages réussis. Le comportement des élèves est également une question cruciale, tout  enseignant sait par expérience qu’il est le préalable aux apprentissages; mais comment faire pour que les élèves se comportent bien quand on a tout essayé : la discussion, la négociation, les assemblées d’élèves et autres simulacres démocratiques, quand on a demandé aux élèves eux-mêmes de créer leurs propres règles, pensant qu'ainsi  ils les respecteraient mieux. Par ailleurs, les élèves ont du mal à fournir des efforts et abandonnent à la moindre difficulté. Les enseignants sont démunis face à cette absence de persévérance et pourtant ce n’est pas faute de se creuser la tête pour transformer les activités scolaires en occupations ludiques. Ils ne savent plus que faire pour communiquer ce sens de l’effort ; d’un autre côté, ils ont quelque difficulté avec cette notion, tant l’effort a été honni dans le milieu éducatif et dissocié de la réussite. Sur le plan des apprentissages, les enseignants se désolent enfin que les élèves, même ceux qui semblent comprendre, ne retiennent pas. L’oubli est un souci majeur, à court et à long terme.

Au fond, tout cela n’est guère surprenant et Internet a cet avantage de présenter une vitrine du vécu des enseignants et de leur malaise professionnel, car c’est bien de cela qu'il s’agit. Des années de méthodes pédagogiques inefficaces sont à l’origine de cet état de fait. Dans l’idéologie constructiviste, l’efficacité n’a pas sa place ou plutôt ne se situe pas en termes d’apprentissages réussis. Elle se place dans des notions comme l’estime de soi, le bonheur d’être à l’école. Pour les problèmes de comportement (et ils sont inévitables quand l’enfant s’ennuie à l’école et c’est souvent le cas dans les modèles constructivistes) on a préconisé la discussion, la négociation, des semblants d’assemblées démocratiques d’élèves, la rédaction de règles scolaires par les élèves eux-mêmes. On n’a plus osé prononcer le mot de punition, ni même sanction et encore moins celui d’autorité de l’enseignant. Ce faisant,les règles de classe sont devenues floues, fragiles, négociables ; si l’on ajoute à cela la frilosité des enseignants à les appliquer, ainsi que le manque d’harmonie au sein des écoles, on comprend mieux l’engrenage des problèmes comportementaux. Le sens de l’effort lui, ne peut se développer quand on se refuse à évaluer les travaux des élèves et à faire croire que finalement tous se valent. Pourquoi donc se donner de la peine à fournir des efforts quand de toute façon on aura sur sa feuille un magnifique bonhomme souriant, ou un grand Bravo ! L’explication par le maître des notions et concepts n’a pas sa place dans les méthodes constructivistes : en effet, il ne s’agit pas d’une transmission directe et l’on croit que l’enfant, en découvrant la notion par une situation problème appropriée, assimilera mieux la notion. De fait, cela fonctionne pour une minorité d’enfants privilégiés et cultivés. Pour la grande majorité, la notion ne s’acquiert pas, ou alors elle s’intègre de manière erronée ; l’enseignant se voit alors obligé d’apporter rapidement une explication directe, plus ou moins réussie et improvisée, elle vient trop tard, après que des erreurs aient eu le temps de cristalliser dans l’esprit des élèves qui se trouvent déjà en surcharge cognitive. Enfin, l’oubli est le résultat de la mise au ban de la mémorisation et de l’entraînement. Rien de surprenant quand, pendant des années, on a jeté l’anathème sur la mémoire, faisant croire que celle-ci était la pire ennemie de la compréhension, voire de l’intelligence. Il n’en reste pas moins qu’un enfant qui n’a rien retenu n’a pas appris. Pourtant, la mission de l’enseignant, sur le plan cognitif, n’est autre que faire passer en mémoire à long terme un certain nombre d’habiletés et connaissances. Nous savons maintenant que pour éviter l’oubli, il faut une pratique intensive et régulière ainsi que des notions à mémoriser. Toutes choses qui ont été oubliées dans les pratiques constructivistes : entraînement insuffisant, mémorisation absente.

Si l’enseignement explicite avait pignon sur rue parmi les décideurs éducatifs français, il en serait sans doute autrement. Prenons chacun des points évoqués par les enseignants.

Efficacité : c’est le but même de l’enseignement explicite. Toutes les études dont il est issu ont eu et ont toujours pour mission de dessiner le portrait des pratiques pédagogiques efficaces pour tous les élèves, en termes d’apprentissages.

Mieux expliquer les notions : la procédure explicite définie par Barak Rosenshine donne d’excellents résultats en matière d’apprentissage. Il s’agit de la structure d’une leçon (Mise en situation, Modelage, Pratique guidée, Pratique autonome, Révisions). Pour les explications à proprement parler (pendant la phase de modelage) l’enseignement explicite suit un certain nombre de principes destinés à éviter la surcharge cognitive des élèves : on se réfèrera aux travaux de Sweller sur la question. Principes qui rejoignent ceux de la théorie de l’instruction, du Direct Instruction. En voici quelques-uns : introduire peu de nouvelles notions en même temps (fractionner les notions complexes), partir du simple pour aller vers le complexe, viser le surapprentissage, s’assurer de la maîtrise des connaissances préalables, éliminer tout ce qui est superflu ou ambigu, éviter les digressions et les redondances, choisir soigneusement exemples et contre-exemples…

Le comportement : en enseignement explicite, la gestion de classe est l’indispensable fondement à une bonne gestion de la matière, c’est ce par quoi l’on doit commencer. Il s’agit d’installer des conditions optimales pour des apprentissages réussis. Parmi les différents aspects, il y a les règles de classe instaurées par l’enseignant et lui seul, qui est le garant du respect de ces règles. Elles sont expliquées aux élèves, ainsi que les sanctions qui vont avec et les recadrages quand nécessaire. À cela s’ajoutent tous les comportements d’élèves attendus dans telle ou telle situation d’apprentissage. Ces comportements sont expliqués et modelés. Voici un aperçu de ce que contient la gestion de classe : les règles de classe, la gestion des problèmes (anticipation, recadrage), les interactions avec les élèves (soutien au comportement positif, encouragements, autorité, maintien de l’attention et de l’activité, routines).

Le sens de l’effort : des études récentes en psychologie, en particulier les travaux de Carol Dweck nous disent  qu’il existe deux états d’esprit (mindset), l’un statique, qui pense que son intelligence est définitive et acquise pour toujours, qui n’a pour seul but que de paraître intelligent et dénigre les efforts, réservés à ceux qui n’ont pas cette intelligence naturelle. L’autre, dynamique, considère qu’il peut s’améliorer en fournissant des efforts et sera capable de rebondir sur un échec pour parvenir à un résultat. Les premiers réussissent  peu à l’école ; les autres réussissent mieux.  Il faut donc développer l’esprit dynamique chez les élèves. Une façon d’y parvenir est de mettre au centre la notion d’effort, en la liant à la réussite ; il est conseillé d’encourager les élèves en les félicitant sur les efforts et les résultats alors qu’il est contre-productif de complimenter les talents personnels et innés. En enseignement explicite, on travaille sur l’équation :
Réussite = Efforts x Stratégies. 
Associé au soutien au comportement positif, cela donne de bons résultats, en matière d’apprentissages mais aussi d’estime de soi. En effet, l’estime de soi doit s’appuyer sur des résultats : ce n’est pas en ressassant à un enfant qu’il a une grande valeur personnelle [1], qu’il aura une meilleure opinion de lui-même, c’est en lui donnant les outils pour réussir ce qu’il doit faire à l’école (stratégies données par l’enseignant et efforts fournis par lui).

L’oubli : les raisons principales de l’oubli à l’école sont une pratique insuffisante et un manque de mémorisation systématique de certains éléments. Tout cela ne permet pas le surapprentissage. En enseignement explicite, la gestion de la matière est spécifiquement conçue pour parvenir au surapprentissage. Le psychologue Daniel W. Willingham a montré que l’oubli peut être évité par une pratique intensive continuant bien au-delà de l’évaluation. Il dit qu’il faut étudier « au long cours ». C’est pourquoi les séances de pratique (guidée puis autonome) occupent une place importante. Ainsi que les séances de révision, d’une année sur l’autre et même très régulièrement (hebdomadaires, mensuelles), une fois que la notion a déjà été évaluée. Les habiletés que l’on enseigne reposent sur la mémoire de travail qui a une capacité limitée, les cognitivistes l’appellent d’ailleurs le goulot de l’esprit. C’est l’automatisation qui va permettre de dépasser cette étroite limitation. Lorsque les processus cognitifs sont automatisés (ex : décodage en lecture, lecture d’une carte, utilisation d’algorithmes mathématiques…), ils interviennent alors rapidement sans effort conscient tout en libérant de l’espace pour passer à un niveau supérieur de compétence. La pratique intensive et la mémorisation nécessitent des efforts : Willingham résume cela en disant que le « génie » équivaut à 1 % d’inspiration et 99 % de transpiration. Même si l’école ne prétend pas être une pépinière de génies, il est bon de sensibiliser les élèves à cela afin qu’ils sachent à quoi sert la pratique et qu’ils puissent apprécier à leur tour, l’excellence. En enseignement explicite, on associe toujours l’élève au fonctionnement de son cerveau, ce qui en fait un acteur plus impliqué.

L’enseignement explicite répond au type d’attentes fréquemment évoquées par les enseignants. Il fait partie des méthodes dont l’efficacité a été prouvée non seulement par la recherche évoquée ci-dessus, mais aussi dans les classes. Il est regrettable qu'il ne soit toujours pas au programme dans la formation des enseignants et que même ses assises scientifiques soient impropres à lui donner une légitimité méritée dans les « sciences de l’éducation » françaises. Si malgré tout, des enseignants commencent à le connaître et à le mettre en place dans les classes, on ne le doit qu'à leur  conscience professionnelle et à la magie d’Internet, qui permet d’accéder à d’autres modes que le pédagogiquement correct.

  
[1] Cela peut même au contraire aboutir à des problèmes narcissiques comme l’ont parfaitement montré Jean M.Twenge et W. Keith Campbell dans un ouvrage intitulé The Narcissism Epidemic – The age of entitlement.