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vendredi 22 février 2013

Enseigner comme on apprend ?

Apprentissage et enseignement. Voici deux mots qui devraient faire partie du vocabulaire de base de tous les pédagogues, surtout lorsque ceux-ci font partie des décideurs.  Mais c’est loin d’être le cas, et cette méconnaissance est à l’origine de ce que Clermont Gauthier appelle le paradigme de l’apprentissage qui a conduit à imposer le modèle constructiviste comme pratique pédagogique. Que ce modèle soit inefficace n’a rien changé à l’affaire, que les données probantes en aient donné confirmation non plus. A croire que la pédagogie officielle vit dans un monde parallèle.

Les pratiques pédagogiques constructivistes ont été imposées depuis plusieurs années dans de nombreux pays, bien que leur validité repose sur un postulat de départ erroné, lequel est le fruit de la confusion entre apprentissage et enseignement. S’il est bien vrai que l’on apprend en construisant soi-même ses savoirs, on ne peut affirmer a priori qu’en appliquant ce modèle à la pratique d’enseignement, les apprentissages se feront mieux. Calquer le modèle d’enseignement sur celui de l’apprentissage n’était qu’une hypothèse de départ, c’est-à-dire qu’elle aurait dû subir des études conduisant à l’admettre comme correcte ou à l’écarter. Comme dans toute démarche scientifique. Or, il n’en a rien été, elle est passée du stade d’hypothèse à celui de vérité, sans passer par les étapes communément admises en recherche et décrites dans la taxonomie d’Ellis & Fouts. Cela pose une fois de plus la question de la place des données probantes en enseignement.

Néanmoins, il y a un réel consensus sur l’idée que l’élève construit activement ses connaissances et que cette tâche est liée aux connaissances antérieures possédées en mémoire à long terme ; les divergences entre constructivistes et instructionnistes apparaissent quand il s’agit de méthodes d’enseignement. Les constructivistes vont se centrer sur l’apprenant, vont vouloir recréer chez lui les conditions de construction, en proposant des activités complexes et authentiques, en relation avec les expériences propres des élèves. Selon eux, les connaissances ne sont pas supposées pouvoir être transmises directement, elles sont censées être construites par le sujet ; dans ce contexte, le rôle de l’enseignant devient celui d’un facilitateur accompagnant le sujet dans ce travail de construction ; l’enseignant n’enseigne plus, il guide.

Les instructionnistes et tout particulièrement les partisans de l’Enseignement Explicite, considèrent que le modèle d’enseignement n’est pas forcément calqué sur celui de l’apprentissage ; ils s’appuient pour cela sur les travaux relatifs à l’architecture cognitive. Nombre d’études ont montré que les principes explicites (importance des pré requis, explications, cheminement du simple au complexe, pratique, sur-apprentissage…) sont en accord avec ce que l’on sait aujourd’hui du fonctionnement cognitif. C’est ainsi par exemple que l’automatisation des connaissances de base permet de libérer la mémoire de travail pour se tourner vers les aspects plus complexes de la tâche requise. De la même manière, partir du simple pour aller vers le complexe de manière progressive respecte les limites de la mémoire de travail (limitée en temps et en contenu) et évite la surcharge cognitive. Quand on met les élèves directement en situation de complexité, ils n’ont pas les moyens de résoudre le problème, en particulier ceux qui sont en difficulté ; cela les met en échec, leur provoque du déplaisir à la tâche scolaire et nuit à leur estime de soi. 

Par-delà le postulat de départ erroné de la théorie constructiviste, les travaux du psychologue Geary ont montré qu’il existe deux types de connaissances, celles qu’il nomme primaires et celles qu’il nomme secondaires. Les premières relèvent des apprentissages naturels tels qu’apprendre à marcher, à parler, à reconnaître les visages … ; elles sont universelles et se font de la même manière chez tous les peuples, quels que soient leur niveau de développement, leur culture. Elles se font de manière inconsciente et naturelle. Les connaissances secondaires, elles, représentent tous les savoirs culturels, donc artificiels, tels que savoir lire, calculer etc. Tout ce que l’on apprend à l’école. Ces connaissances-là ne peuvent s’acquérir naturellement ; elles doivent être enseignées de manière explicite et structurée. Un enseignement peu guidé ne convient pas à ce type de connaissances.[1]

La théorie constructiviste fait comme si ces travaux n’existaient pas et comme si les connaissances de type secondaire pouvaient s’acquérir naturellement au même titre que les connaissances primaires.
Bien sûr, l’idée est séduisante ; qui ne rêverait pas d’apprendre naturellement, sans s’en apercevoir, sans effort, sans douleur, sans travail ? Mais ce n’est qu’une belle idée et elle le restera tant que personne n’en aura montré la validité. Cela sera très difficile étant donné que nombre de travaux ont déjà prouvé la validité d’autres hypothèses comme par exemple celle de l’efficacité d’un enseignement guidé, explicite et structuré. Cela fait très longtemps que l’on demande aux enseignants de travailler selon des méthodes inefficaces tout simplement parce que ce sont les idées, voire les opinions, qui tiennent lieu de gouvernail alors que ce devrait être les données probantes.



Sur la question on pourra lire l’article très complet de C.Gauthier, S.Bissonnette et M.Richard Passez du paradigme d’enseignement au paradigme d’apprentissage. Les effets néfastes d’un slogan.





[1] Voir http://www.formapex.com/formpex#rechp Pourquoi un enseignement peu guidé ne fonctionne pas : une analyse de l’échec de l’enseignement constructiviste, et autres pédagogies par découverte, par situations problèmes, par expériences et enquêtes (Paul A.Kirschner, John Sweller, Richard E.Clark)

lundi 11 février 2013

Le don de gratuité dans l'enseignement primaire



 À première vue, la démission du pape Benoît XVI a volé la vedette aux mouvements de résistance à la réforme de l’enseignement et à l’épineuse question des rythmes scolaires. Les journalistes, tendance Dan Brown, toujours à l’affût de quelque sulfureuse nouvelle dès qu’elle émane du Vatican, étaient dans tous leurs états en ce lundi 11 février. C’est sans aucun doute plus porteur auprès de l’opinion.

Néanmoins, un lien existe bel et bien entre les deux sujets. Ce matin-même sur les ondes, tous s’étaient mis d’accord pour citer l’encyclique de Benoît XVI Caritas in Veritate ans laquelle il exhortait au don et à la gratuité dans les domaines marchand et politique.

Le voilà, le lien, servi sur un plateau : le don de gratuité dans l’enseignement primaire. Don pratiqué sans relâche depuis plusieurs décennies, dans un anonymat qui, s’il n’est pas volontaire, n’en reste pas moins respectable alors que l’opinion n’a de cesse de détester ses enseignants et de les déconsidérer.  

J’en veux pour preuves le travail non rémunéré (car non compris dans le temps de service) mais tout de même obligatoire. Non, nous ne sommes pas dans un roman de Kafka mais dans l’Éducation Nationale.

Ainsi, tout enseignant a pour obligation d’être sur son lieu de travail dès l’ouverture de l’école, soit 20 minutes par jour. Ce temps n’est pas décompté dans le temps de service. Au total, pour une année de 36 semaines et une semaine de 4 jours, cela représente 8 journées effectuées gratuitement. Avec la nouvelle configuration de 4 journées et demie, ce service gratuit augmentera d’environ une journée sur l’année. Les enseignants de maternelle doivent ajouter à ce temps gratuit, l’obligation de rester sur place tant que les parents ne sont pas venus en personnes récupérer leur enfant. Or, il est de plus en plus fréquent qu’ils ne respectent pas les horaires. Si l’on compte en moyenne et au bas mot, sur une année, 15 minutes par jour, cela fait 6 journées sur une semaine de 4 jours et un peu plus de 7 jours pour une semaine de 4 jours et demi. Autrement dit, au total, l’enseignant de maternelle accomplit 14 journées de travail gratuitement dans l’année dans la configuration actuelle de la semaine. Cela sera augmenté avec la nouvelle semaine qui se pointe à l’horizon.

Temps de service obligatoire mais effectué gratuitement dans l’enseignement primaire (sur une année de 36 semaines pour 1 semaine de 4 jours)

École élémentaire
École maternelle
Présence à l’entrée : matin & après-midi
20 min par jour =
8 journées par an
20 min par jour =
8 journées par an
Présence à la sortie lors de la remise des enfants aux parents

15 min par jour en moyenne  =
6 journées par an
Nombre de journées travaillées gratuitement
8 journées /an
14 journées/an

Ce temps-là est quantifiable. On devrait bien sûr lui ajouter le temps externe (hors temps de service) de préparation de la classe et de correction qui lui, n’est répertorié nulle part.

Dans le don gratuit, on pourrait également considérer un certain nombre d’actions effectuées par les enseignants du primaire alors qu’elles n’ont rien à voir avec leur tâche d’enseignement. La revalorisation du métier (loi Jospin) fut supposée aligner les enseignants du primaire sur ceux du secondaire ; mais elle a oublié par exemple de les dispenser de la surveillance des récréations, de l’accueil des élèves des autres classes lors d’une absence non remplacée, de la participation à des réunions de formation dites obligatoires (ou à des stages) sans remboursement des frais occasionnées par les déplacements. On pourrait aussi citer l’ISOE (Indemnité de Suivi et d’Orientation des Élèves octroyée pour la participation aux réunions d’équipe) accordée aux enseignants du Secondaire et pas à ceux du Primaire

Nombre d’enseignants du primaire sont las de voir leurs conditions de travail se détériorer de jour en jour ; il n’est pour s’en persuader qu’à voir les mouvements de résistance à cette réforme de refondation. Résistance d’autant plus ingrate qu’elle a contre elle l’opinion. Pourquoi, quand les ouvriers de l’industrie en déroute mènent des actions chocs pour défendre leur emploi, ils sont parés de toutes les vertus, et quand ce sont les enseignants qui se battent pour la qualité de leur métier, ce ne sont que de vils corporatistes, hostiles par principe à toute idée de réforme ?

Pour revenir sur l’actualité papale, les enseignants du primaire peuvent bien être croyants, athées ou agnostiques, il n’en reste pas moins qu’en matière de don gratuit, ils pourraient en remontrer à bien d’autres professions et en particulier à tous ceux qui les critiquent.






vendredi 8 février 2013

John Hattie préconise l'Enseignement Explicite


Dans cette vidéo, John Hattie[1] explique brièvement mais de manière non polémique que l’enseignement explicite est de loin le plus efficace pour des apprentissages réussis.  Voici les éléments de son discours.
Il part d’une image qu’a tout enseignant en entrant dans sa classe. L’enseignant explicite doit se considérer comme l’agent de changement chez l’élève. Alors que l’autre type d’enseignant se verra plutôt comme le facilitateur par découverte. Les données probantes sont unanimes pour dire qu’il y a une différence énorme entre les deux au niveau de résultats.

J.Hattie explique qu’il n’a aucun problème à l’égard du constructivisme comme modèle d’apprentissage, mais ne peut le considérer  comme un modèle d’enseignement. Ces deux paradigmes sont depuis longtemps confondus et ce malgré le manque de données pouvant les assimiler. Il souligne une fois de plus que les données probantes révèlent que si l’on veut que les élèves construisent, découvrent  facilement, alors la manière explicite s’impose, celle qui fera de l’enseignant un agent de changement. Mais pour enseigner, rajout-t-il, il faut savoir aussi se tenir en retrait et écouter.

Ensuite, il s’attarde sur l’exemple précis de l’enseignement de la lecture et rappelle que les élèves en difficulté n’apprennent pas à lire en lisant ; ils apprennent quand on leur enseigne les stratégies et habiletés utiles pour la lecture. Lors de ses visites dans les écoles, il se dit choqué de voir parfois des élèves non lecteurs en situation de faire un travail de recherche en bibliothèque. Comment pourront-ils apprendre si de plus, la lecture est une chose désagréable pour eux ? La lecture a vraiment besoin d’un enseignement explicite.

Il évoque enfin l’un de ses récents travaux portant sur l’étude de l’effet de Saint Mathieu [2]en enseignement. Il explique que les lecteurs précoces progressent et que les autres stagnent.

Il se dit très favorable aux programmes de la seconde chance, même si lors d’études menées en Caroline du Nord, il a constaté certaines limites : la deuxième année, bien souvent, les enseignants n’enseignaient plus les habiletés spécifiques de la lecture. Au lieu de cela ils aidaient les  élèves non lecteurs à faire le travail requis, sans passer par la lecture. Bien sûr, cela perpétue le problème. La lecture nécessite la maîtrise d’habiletés particulières telles que phonologie, conscience phonémique, rythme. L’apprentissage de l’écoute est très important dans l’enseignement de la lecture : écouter attentivement un son et le mettre en rapport avec ce qui est écrit. Cela est une habileté très spécifique.

Enfin, il conclut en ajoutant qu’enseigner est aussi une action spécifique. Et que  l’enseignant qui entre en classe persuadé qu’il est un agent de changement a plus de chance de réussir que celui qui se voit comme le « guide à côté » (expression anglaise résumant la position de l’enseignant en mode constructiviste : guide by the side).
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Cette brève présentation met le doigt sur ce qui a été une erreur du mouvement constructiviste : assimiler le paradigme de l’apprentissage à celui de l’enseignement. En effet, même si l’idée a une apparence de logique, rien n’a jamais prouvé que la manière d’enseigner doive se calquer sur celle d’apprendre. Ce n’était qu’une hypothèse de départ. Elle aurait être vérifiée avant d’aller plus loin. Mais cela n’a pas empêché les partisans du constructivisme de construire toute une pédagogie autour de cette idée. À la lumière de la recherche récente, il n’est pas surprenant que les résultats n’aient pas suivi. Des chercheurs comme Kirschner, Sweller, Clark ont clairement établi, comme le souligne J.Hattie tout au long de ce clip, qu’un apprentissage réussi passe par un enseignement explicite et structuré, en adéquation avec l’architecture et le fonctionnement cognitifs.



[1] John Hattie est professeur à l’Université d'Auckland (Nouvelle-Zélande), spécialiste de la mesure et de l’évaluation. Il a publié en 2009 une méga-analyse sur la réussite scolaire, portant sur les résultats de plus de 800 méta-analyses qui, au total, regroupent quelque 52 000 recherches concernant des millions d’élèves de plusieurs pays sur une période de 15 ans. 
[2] Selon le verset biblique « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance ; mais à celui qui n'a pas, on enlèvera même ce qu'il a. » Mathieu 13, 12


jeudi 7 février 2013

Enseignement des connaissances : une priorité pour Michael Gove



Le ministre britannique de l’Éducation, Michael Gove, vient de publier un discours résumant ses prises de position en matière éducative. Ce discours a été commenté par Daniel Willingham dans son blog. Le cœur du discours consiste à dire toute l’importance de l’enseignement des connaissances, en s’appuyant sur les nombreuses données probantes qui existent à l’heure actuelle.

Voilà un ministre qui, de toute évidence connaît bien son sujet, parle clair, et a connaissance des dernières avancées de la recherche en matière éducative ; il s’appuie sur les données probantes. Voilà qui peut surprendre les Français que nous sommes, tellement habitués à la langue de bois et à l’imprécation en guise d’argumentaire.

Voici quelques éléments sur lesquels s’articule son discours.
Il s’appuie sur les données probantes qu’il connaît bien et explique que les connaissances sont indispensables car sans elles, ni la pensée autonome, ni l’esprit critique, ni la créativité ne peuvent s’exercer. Les connaissances sont essentielles pour le processus cognitif et l’on ne peut apprendre à penser sur du vide (Carnine & Carnine, 2004; Hasselbring, 1988; Willingham, 2006). Il connaît bien également l’expérience du Core Knowledge.

Il se situe dans un rapport à l’efficacité de l’enseignement et rappelle l’écart qui existe dès l’entrée à l’école entre les élèves issus de milieux favorisés et ceux issus de milieux défavorisés. Les élèves pauvres n’ont pas chez eux les opportunités de se cultiver ; quand ils arrivent à l’école, ils ont déjà un déficit culturel, ce qui a un impact sur leurs aptitudes à apprendre de nouvelles choses et les maintient dans un cycle négatif( Stanovich, 1986). C’est ce que la recherche appelle l’effet Mathieu[1]. Pour lui, la réduction de cet écart est un objectif majeur ; elle est possible par un enseignement qui ne néglige pas les connaissances. C’est le rôle de l’école. Il s’appuie à ce sujet sur tous les travaux de E.D. Hirsch qu’il connaît parfaitement et qui disent toute l’importance de la culture d’arrière-plan dans la réussite scolaire.

Ses prises de position partent d’un constat de la réalité, présente mais aussi passée : il critique fortement les décennies où le progressivisme (en France nous dirions constructivisme) a régné avec son avalanche de méthodes inefficaces. Il connaît parfaitement les « arguments » et les sarcasmes de ses partisans à l’égard de ceux qui, comme lui souhaitent un enseignement des connaissances. Il leur reproche de vouloir instaurer une éducation de type Downtown Abbey, ce qui revient à dire que par leur style éducatif ils perpétuent la reproduction sociale. Ce faisant, il met le doigt sur un paradoxe longuement évoqué par E.D. Hirsch : le progressivisme pédagogique coïncide avec un conservatisme social, alors que les progressivistes éducatifs appartiennent en politique aux milieux de gauche. M.Gove, qui sait trouver des images choc, se dit inspiré par deux personnages : Jade Goody[2], vedette de la télé-réalité britannique et Antonio Gramsci[3].


Ce type de discours pointe la contradiction qu’il y a à prétendre vouloir faire des élèves des citoyens éclairés sans toutefois leur donner les moyens de réaliser cette ambition. Ces moyens consisteraient à leur fournir un certain nombre de connaissances sans lesquelles leur pensée ne pourra jamais s’exercer de manière autonome et critique. Cela est attesté par les données probantes. Négliger l’acquisition des connaissances revient à priver les élèves des classes défavorisées de l’accès à la culture, revient à perpétuer le modèle élitiste qui a cours aujourd’hui. Le comble est que ce modèle émane de personnes se situant à gauche dans le paysage politique. Cette observation n’est pas nouvelle puisque Gramsci l’avait déjà faite en son temps. Comme E.D.Hirsch, plus récemment, l’a récemment développé dans ses écrits. Souhaitons que cette voix, par son côté institutionnel ait un peu plus de portée et puisse tout au moins commencer à faire réfléchir.


[1] Selon le verset biblique Mathieu 13, 12 : « …car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance ; quant à celui qui n'a pas, on lui ôtera même ce qu'il a ».
[2]  Jade Goody, vedette de la télé-réalité souvent raillée pour son inculture. M. Gove pense que les rieurs devraient plutôt viser le système éducatif qui est à l’origine de cette inculture. Il se dit également admiratif de cette personne qui dans sa fin tragique, a fait son maximum pour donner à ses enfants une instruction de qualité, qu’elle-même n’avait pas reçue.
[3] Intellectuel italien, fondateur du Parti Communiste italien et intéressé par les questions éducatives. A une époque où le progressivisme avait le vent en poupe, il écrivait : « La nouvelle conception de l’enseignement est dans sa phase romantique, dans laquelle le remplacement des méthodes “mécaniques” par les méthodes “naturelles” est devenu exagérément malsain. Autrefois, les élèves acquéraient un certain bagage de connaissances factuelles. Maintenant, ils n’auront bientôt plus de bagages à ordonner... Le plus paradoxal est que ce nouveau type d’école est supposé être démocratique, alors qu’en fait il n’est pas destiné simplement à perpétuer les différences sociales, mais à les cristalliser dans de complexes chinoiseries. » (A.Gramsci, 1932)



dimanche 3 février 2013

Les connaissances, clé de voûte de la réussite scolaire, de l’estime de soi, de la créativité…



Pedro Cordoba vient d’écrire dans son blog un article, en 3 posts, très intéressant, intitulé  PISA, PIRLS, TIMSS : compétences et connaissances. Cette analyse en profondeur considère tous les aspects de la question et donnera satisfaction à tous ceux qui sont fatigués des commentaires superficiels et orientés. Il n’est pas question ici de répéter ni de résumer ce qu’il explique avec justesse mais de rebondir sur une question essentielle qui découle de sa démonstration.

Pour faire court, les pays réussissant au PISA dispensent un enseignement par compétences, et ceux réussissant au TIMSS dispensent un enseignement de savoirs, de manière plus directe. Pedro Cordoba écrit : «… les meilleurs dans TIMSS sont aussi les meilleurs dans PISA et … les bons en TIMSS progressent à la fois dans TIMSS et dans PISA tandis que les bons en PISA et pas en TIMSS régressent à la fois dans TIMSS et dans PISA ». Ou plus simplement : ceux qui ont reçu une transmission directe des savoirs possèdent ces savoirs mais possèdent aussi les compétences alors qu’on ne les leur a pas enseignées spécifiquement. Par contre, ceux qui ont reçu un enseignement par compétences ne réussissent pas aussi bien dans les tests d’évaluation des savoirs.

Ce constat méritait d’être fait et devrait être diffusé amplement car il confirme ce qui  a déjà été expliqué et  démontré par de nombreux chercheurs depuis des années. Chercheurs dont les travaux, malheureusement, sont soigneusement maintenus sous le boisseau. Pour illustrer le propos, voici quelques exemples précis.

E.D. Hirsch a critiqué ce phénomène comme formalisme pédagogique ou idée selon laquelle le contenu à enseigner est bien moins important que les outils formels qui permettront l’apprentissage. Et c’est bien de cela qu’il s’agit. Dans le modèle constructiviste, on néglige les contenus pour privilégier les stratégies.

Le meilleur exemple de l’inefficience de ce modèle concerne la lecture.  On a récemment découvert en France l’enseignement explicite des stratégies de lecture, c’est-à-dire qu’on a, comme trop souvent, importé un modèle américain sans prendre la précaution de l’examiner en détail. Bien sûr, l’idée est intéressante, elle consiste à expliquer aux élèves toutes les procédures susceptibles de permettre une meilleure compréhension du texte, telles que par exemple : faire des inférences, résumer, questionner, trouver l’idée principale etc. Les Américains ont expérimenté avant nous et à leur habitude, de manière rigoureuse, à tel point que l’essentiel de l’horaire fut occupé par ce genre d’activité. Néanmoins, ils se sont rendu compte que les résultats ne s’amélioraient pas : même si les élèves possédaient ces stratégies, pratiquées à outrance, ils n’avaient pas la culture générale nécessaire à la compréhension. Tout le temps consacré à l’exercice des stratégies n’était pas consacré à l’acquisition d’une culture générale. Petit exemple : Dans la phrase  « Nous n’irons pas en Irlande car mon mari déteste la pluie », on a beau savoir ce qu’est une inférence, si on ignore que l’Irlande est un pays pluvieux, on ne comprendra pas. Les travaux du psychologue cognitiviste Daniel Willingham confirment eux aussi que l’enseignement de toute stratégie, s’il n’est pas accompagné de celui de contenus, est vain. Cela ne signifie pas qu’il faille supprimer l’enseignement des stratégies de compréhension en lecture : simplement, il faut les utiliser avec modération et consacrer le reste du temps à fournir aux élèves une culture de base, une maîtrise de la langue, éléments constitutifs de la compréhension de l’écrit.

Mais prenons un autre exemple. Les Américains ont aussi voulu enseigner l’esprit critique. Une idée séduisante, car après tout, n’est-ce pas l’ambition de tout enseignant que de faire acquérir une pensée critique à ses élèves ? Dans les années 90, nombre de programmes spécifiques ont ainsi vu le jour[1]. Pour un bien piètre résultat : plus de 20 ans après, ils déplorent toujours autant l’absence de pensée critique chez les élèves. L’erreur a consisté à s’imaginer que la pensée critique était une habileté comme les autres (comme par exemple effectuer une multiplication) et qu’une fois qu’elle était acquise, on pouvait l’appliquer à n’importe quelle situation. Cela repose sur une méconnaissance de la pensée critique qui est en fait le résultat complexe de processus de pensée mêlés aux connaissances possédées en mémoire à long terme. Par conséquent, l’esprit critique ne s’acquiert qu’à partir d’un contenu ; sans quoi cela devient du dressage, du formatage des esprits, en un mot de l’endoctrinement. Voilà comment on aboutit à un effet inverse de ce qui était souhaité au départ.

Mais apparemment on n’apprend jamais de ses erreurs, en tout cas en matière éducative. Exactement de la  même manière, on a cru que l’estime de soi pouvait s’enseigner. Dans les années 70, des Américains ont cru que l’estime de soi était la clé de la réussite scolaire ; ils sont parvenus à cette conclusion après avoir observé que les bons élèves avaient une bonne estime de soi. Ils en ont abusivement déduit que la raison de la réussite était l’estime de soi (et non le contraire). Cette position de départ était une position de principe, la relation de cause à effet n’ayant jamais été mise en évidence. Forts de cette croyance, ils ont développé nombre de méthodes pédagogiques dont le seul but était de développer l’estime de soi des élèves ; la psychologue Jean Twenge les a étudiées [2] On pourra se reporter dans cet article au paragraphe relatif à ces méthodes pour se rendre compte des excès pédagogiques qui ont été commis en la matière. De fait, c’est la réussite scolaire qui est à l’origine d’une bonne estime de soi et c’est donc sur les manières de provoquer cette réussite que tout pédagogue devrait s’interroger. Cela est connu depuis le projetFollow Through. Ce fut la plus grande expérimentation éducative réalisée à l’échelle fédérale aux États-Unis dans les années 70 ; il s’est agi de comparer les efficacités respectives de 9 méthodes pédagogiques différentes issues de 3 familles : modèles centrés sur les habiletés de base, modèles cognitifs, modèles centrés sur l’affectif (dont faisaient partie les méthodes Estime de soi).Il s’est avéré que le modèle du Direct Instruction (modèle de transmission directe et explicite des habiletés de base) a été reconnu comme le plus efficace dans les habiletés testées (habiletés de base, habiletés de raisonnement, habiletés affectives). Autrement dit, un modèle transmissif basé sur l’acquisition des connaissances et habiletés est à l’origine d’une réussite complète, et a pour conséquence une meilleure estime de soi. On ne peut s’empêcher ici de faire le parallèle avec la comparaison des évaluations TIMSS et PISA.  

On pourrait enfin, pour donner une autre illustration du propos, citer la vaste question de la créativité à l’école. Le même raisonnement erroné conduit les mêmes à prétendre susciter la créativité des élèves en les mettant dans des situations de découverte auxquelles les moins cultivés d’entre eux n’ont pas les moyens de répondre. C’est un mythe de croire que la créativité se produit à partir du vide. Le processus créatif se fait à partir des informations que l’on a accumulées en mémoire à long terme, qu’elles consistent en connaissances, expériences vécues, habiletés. Il faut donc dans un premier temps fournir aux élèves l’opportunité de constituer ces contenus-là et faire en sorte qu’ils ne sombrent pas dans l’oubli. Or le courant constructiviste méprise les contenus et leur maintien en mémoire. Comme il néglige l’importance de la pratique et des efforts qui y sont associés. Pourtant, ils sont indispensables à toute créativité.

Le mouvement qui a conduit à faire passer au second plan l’acquisition des contenus repose sur une méconnaissance complète des mécanismes de l’apprentissage, sur des raisonnements erronés, sur une confusion entre paradigme de l’enseignement et paradigme de l’apprentissage, sur une autre confusion entre apprentissages scolaires et apprentissages naturels. Toutes choses qui ont contribué à équiper les élèves d’outils dont ils ne peuvent se servir, étant donné qu’on a oublié de leur fournir la matière première qui va avec. Néanmoins, il faut reconnaître aux défenseurs de ces idées pédagogiques leur efficacité en matière de communication : aidés par « l’air du temps », ils ont su convaincre l’opinion, y compris enseignante, de leurs intentions humanistes et bienveillantes pour les enfants et ont ainsi créé un « pédagogiquement correct » auquel il est encore difficile de résister.

Pour approfondir la question :






[1] La méthode Tactics for Thinking a vendu 70 000 guides de l’enseignant.
[2] Jean M.Twenge, Generation Me,: Why Today’s Young Americans Are More Confident, Assertive, Entitled – and More Miserable Than Ever Before - Free Press, réédition : 03.2007, 304 p.