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vendredi 22 février 2013

Enseigner comme on apprend ?

Apprentissage et enseignement. Voici deux mots qui devraient faire partie du vocabulaire de base de tous les pédagogues, surtout lorsque ceux-ci font partie des décideurs.  Mais c’est loin d’être le cas, et cette méconnaissance est à l’origine de ce que Clermont Gauthier appelle le paradigme de l’apprentissage qui a conduit à imposer le modèle constructiviste comme pratique pédagogique. Que ce modèle soit inefficace n’a rien changé à l’affaire, que les données probantes en aient donné confirmation non plus. A croire que la pédagogie officielle vit dans un monde parallèle.

Les pratiques pédagogiques constructivistes ont été imposées depuis plusieurs années dans de nombreux pays, bien que leur validité repose sur un postulat de départ erroné, lequel est le fruit de la confusion entre apprentissage et enseignement. S’il est bien vrai que l’on apprend en construisant soi-même ses savoirs, on ne peut affirmer a priori qu’en appliquant ce modèle à la pratique d’enseignement, les apprentissages se feront mieux. Calquer le modèle d’enseignement sur celui de l’apprentissage n’était qu’une hypothèse de départ, c’est-à-dire qu’elle aurait dû subir des études conduisant à l’admettre comme correcte ou à l’écarter. Comme dans toute démarche scientifique. Or, il n’en a rien été, elle est passée du stade d’hypothèse à celui de vérité, sans passer par les étapes communément admises en recherche et décrites dans la taxonomie d’Ellis & Fouts. Cela pose une fois de plus la question de la place des données probantes en enseignement.

Néanmoins, il y a un réel consensus sur l’idée que l’élève construit activement ses connaissances et que cette tâche est liée aux connaissances antérieures possédées en mémoire à long terme ; les divergences entre constructivistes et instructionnistes apparaissent quand il s’agit de méthodes d’enseignement. Les constructivistes vont se centrer sur l’apprenant, vont vouloir recréer chez lui les conditions de construction, en proposant des activités complexes et authentiques, en relation avec les expériences propres des élèves. Selon eux, les connaissances ne sont pas supposées pouvoir être transmises directement, elles sont censées être construites par le sujet ; dans ce contexte, le rôle de l’enseignant devient celui d’un facilitateur accompagnant le sujet dans ce travail de construction ; l’enseignant n’enseigne plus, il guide.

Les instructionnistes et tout particulièrement les partisans de l’Enseignement Explicite, considèrent que le modèle d’enseignement n’est pas forcément calqué sur celui de l’apprentissage ; ils s’appuient pour cela sur les travaux relatifs à l’architecture cognitive. Nombre d’études ont montré que les principes explicites (importance des pré requis, explications, cheminement du simple au complexe, pratique, sur-apprentissage…) sont en accord avec ce que l’on sait aujourd’hui du fonctionnement cognitif. C’est ainsi par exemple que l’automatisation des connaissances de base permet de libérer la mémoire de travail pour se tourner vers les aspects plus complexes de la tâche requise. De la même manière, partir du simple pour aller vers le complexe de manière progressive respecte les limites de la mémoire de travail (limitée en temps et en contenu) et évite la surcharge cognitive. Quand on met les élèves directement en situation de complexité, ils n’ont pas les moyens de résoudre le problème, en particulier ceux qui sont en difficulté ; cela les met en échec, leur provoque du déplaisir à la tâche scolaire et nuit à leur estime de soi. 

Par-delà le postulat de départ erroné de la théorie constructiviste, les travaux du psychologue Geary ont montré qu’il existe deux types de connaissances, celles qu’il nomme primaires et celles qu’il nomme secondaires. Les premières relèvent des apprentissages naturels tels qu’apprendre à marcher, à parler, à reconnaître les visages … ; elles sont universelles et se font de la même manière chez tous les peuples, quels que soient leur niveau de développement, leur culture. Elles se font de manière inconsciente et naturelle. Les connaissances secondaires, elles, représentent tous les savoirs culturels, donc artificiels, tels que savoir lire, calculer etc. Tout ce que l’on apprend à l’école. Ces connaissances-là ne peuvent s’acquérir naturellement ; elles doivent être enseignées de manière explicite et structurée. Un enseignement peu guidé ne convient pas à ce type de connaissances.[1]

La théorie constructiviste fait comme si ces travaux n’existaient pas et comme si les connaissances de type secondaire pouvaient s’acquérir naturellement au même titre que les connaissances primaires.
Bien sûr, l’idée est séduisante ; qui ne rêverait pas d’apprendre naturellement, sans s’en apercevoir, sans effort, sans douleur, sans travail ? Mais ce n’est qu’une belle idée et elle le restera tant que personne n’en aura montré la validité. Cela sera très difficile étant donné que nombre de travaux ont déjà prouvé la validité d’autres hypothèses comme par exemple celle de l’efficacité d’un enseignement guidé, explicite et structuré. Cela fait très longtemps que l’on demande aux enseignants de travailler selon des méthodes inefficaces tout simplement parce que ce sont les idées, voire les opinions, qui tiennent lieu de gouvernail alors que ce devrait être les données probantes.



Sur la question on pourra lire l’article très complet de C.Gauthier, S.Bissonnette et M.Richard Passez du paradigme d’enseignement au paradigme d’apprentissage. Les effets néfastes d’un slogan.





[1] Voir http://www.formapex.com/formpex#rechp Pourquoi un enseignement peu guidé ne fonctionne pas : une analyse de l’échec de l’enseignement constructiviste, et autres pédagogies par découverte, par situations problèmes, par expériences et enquêtes (Paul A.Kirschner, John Sweller, Richard E.Clark)

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