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samedi 28 février 2015

L'efficacité par l'Enseignement Explicite

Voici un article paru dans le magazine suisse Résonances - Le manuel de l'école valaisanne, n°5, 03/2015, page 12.


L’Enseignement Explicite est une démarche pédagogique appartenant au courant des pratiques basées sur les données probantes. Son efficacité sur les apprentissages a été validée par de multiples études scientifiques portant sur de grands nombres d’élèves. La psychologie cognitive et les neurosciences confirment l’adéquation des procédures explicites avec le fonctionnement du cerveau.

Le “père” de l’Enseignement Explicite est Barak Rosenshine, chercheur américain qui, dès les années 1970, s’est intéressé aux actions pédagogiques des enseignants efficaces auprès de publics variés, pour les modéliser. Puis, les Canadiens Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Mario Richard ont fait connaître ces pratiques au monde francophone, dans les années 2000.

Principes de base : expliquer tout ce qui peut l’être, enseigner de manière progressive, aller  du simple vers le complexe, veiller à la maîtrise des connaissances préalables, pratiquer avec abondance, fournir de la rétroaction, éviter toute surcharge cognitive, utiliser la métacognition, avoir de hautes ambitions pour les élèves, pratiquer le renforcement positif.

L’Enseignement Explicite s’appuie d’abord sur une bonne gestion de classe, préalable indispensable pour créer un environnement favorable à l’enseignement et aux apprentissages. Les règles de classe sont celles de l’enseignant, qui explique et enseigne de manière explicite les comportements attendus. Une fois établies ces conditions propices, on peut se consacrer à la gestion des apprentissages. Le but est l’acquisition durable et solide de connaissances et d’habiletés, dont la conjugaison représente les compétences. Compréhension et maintien en mémoire sont indissociables et revêtent une égale importance en Enseignement Explicite. La phase du modelage (de “modèle”) est celle des explications, la compréhension est vérifiée fréquemment par de multiples sollicitations. La mémorisation s’obtient par la pratique, guidée puis autonome, puis par de fréquentes révisions. La rétroaction est immédiate, elle évite la cristallisation des erreurs. La métacognition est utilisée quotidiennement, il s’agit de l’habileté à réfléchir sur sa propre pensée ; elle permet de prendre conscience des processus mentaux utilisés et de parvenir à les mettre en œuvre pour mieux apprendre.

L’Enseignement Explicite se distingue des pratiques constructivistes et de l’enseignement traditionnel magistral, à la fois par les résultats obtenus, par les modes d’action et par la validation scientifique. C’est une méthode pédagogique efficace pour tous les élèves, notamment ceux issus de milieux défavorisés. Elle s’applique à tous les niveaux et à toutes les disciplines.

Pourquoi alors l’Enseignement Explicite n’est-il pas encore systématiquement adopté partout ? Simplement, parce que les données probantes n’ont pas encore droit de cité en éducation et que les politiques éducatives continuent de préconiser des méthodes notoirement inefficaces. En matière de pédagogie, l’idéologie l’emporte encore sur les preuves tangibles.

Pour en savoir plus, visitez le site francophone de référence de l’Enseignement Explicite : Form@PEx [www.formapex.com].








mardi 10 février 2015

Les 4 piliers de l'apprentissage (S.Dehaene)

Le neuro-scientifique Stanislas Dehaene propose, d’après ses recherches et celles de confrères, 4 piliers fondamentaux pour l’apprentissage. Il considère que tout enseignant devrait les connaître afin de les intégrer dans sa pratique pédagogique. On pourra se référer à cette vidéo pour en connaître les détails. Il explique dans sa conclusion toute la nécessité d’un enseignement structuré et cohérent. Cela me semble une excellente chose qu’un scientifique français, dont la notoriété est acquise, ose se prononcer, si ce n’est en faveur d’une méthode complète (il expose qu’il n’y a pas une seule méthode efficace), au moins en faveur de principes incontournables. On pourra constater à leur lecture qu’ils sont incompatibles avec toute méthode qui par exemple, prônerait l’accès par la complexité, ou la découverte intuitive, qui négligerait l’automatisation de certains éléments, ou la pratique.En revanche, l’observateur avisé aura remarqué que l’Enseignement Explicite est en phase complète avec les incontournables du fonctionnement cérébral. Voyons cela de plus près.

Pilier 1 :  L’attention

L’attention est un moyen de filtrage pour « sélectionner l’information et en moduler le traitement ». Elle facilite l’apprentissage. Par conséquent, il faut tout faire pour la mettre en œuvre. Néanmoins, elle a des limites à connaître, elle peut nous empêcher de voir certains éléments et nous ignorons l’étendue de la non conscience du traitement de l’information dans notre cerveau. Le contrôle exécutif est l’un des systèmes attentionnels, c’est un levier de l’attention qui va éliminer tout comportement pouvant nuire à la concentration sur la tâche. Ex : ne pas se laisser distraire, ne pas se mettre à parler pendant la tâche …

En quoi l’Enseignement Explicite respecte ce principe.

En Enseignement Explicite, avant de commencer l’enseignement à proprement parler, l’enseignant installe les conditions optimales d’apprentissage. L’une d’elle, très importante, consiste à capter l’attention de tous. L’enseignant, tout au long de la séance, va veiller à ne pas perdre cette attention et à la canaliser selon ses intentions pédagogiques. Cela exige auparavant qu’il ait en tête un objectif d’apprentissage clair, et qu’il soit capable dans sa présentation, d’éviter tous les écueils qui obligeraient l’attention de l’élève à se multiplier. Il ne donne jamais de double tâche, il propose des difficultés progressives, part toujours du simple pour aller vers le complexe et ne passe jamais à l’étape suivante tant que la précédente n’est pas acquise. Les tâches multiples sont mauvaises car elles détournent l’élève de la tâche primaire et le cerveau humain, contrairement au neuromythe très répandu, n’est pas multi-tâche. Les tâches multiples nuisent tout particulièrement aux élèves en difficultés. Stanislas Dehaene évoque l’importance des matériaux d’étude qui doivent être « attrayants mais sans écarter l’élève de la tâche principale ». Ainsi, en Enseignement Explicite, les présentations faites par l’enseignant sur TBI par exemple, veillent à ne pas multiplier les images, et ne choisissent que celles qui sont pertinentes pour la compréhension. Il en est de même pour les exemples et les contre-exemples. Enfin, le contrôle exécutif, selon la recherche, peut s’améliorer par la pratique. En Enseignement Explicite, on considère que même les comportements (attitudes propices à mieux recevoir les apprentissages) peuvent s’acquérir de manière explicite et par l’entraînement. Comme par exemple, les attitudes lors du travail de groupe, lors des transitions, lors des explications de l’enseignant, lors de la pratique …

Pilier 2 : L’engagement actif

Les études ont montré que l’apprentissage est optimal quand l’enfant alterne apprentissage et test immédiat et répété des connaissances. Les tests, par ailleurs, entrent dans un cadre méta-cognitif en permettant à l’élève de « savoir quand il ne sait pas ». De la même manière, la durée de la mémoire est liée au fait de la re-tester régulièrement. Enfin, l’engagement actif contient aussi l’idée de rendre les conditions d’apprentissages plus difficiles, à savoir, demander à l’enfant un effort soutenu et prolongé.

En quoi l’Enseignement Explicite respecte ce principe.

L’Enseignement Explicite teste souvent les élèves, à la fois immédiatement, au cours de la leçon, juste après, ou de manière plus différée. Cela permet à l’enseignant d’avoir une vision fine de ce qui a été acquis. Les tests sont l’occasion de révisions fréquentes, qui elles aussi concourent à la mémorisation. Les acquisitions d’automatismes sont testées très régulièrement (ex : tables de multiplications). On ne se contente jamais d’une évaluation qui permettrait de conclure "notion acquise".  Cette familiarité avec les tests permet d’installer les connaissances plus durablement, en conjugaison avec les révisions et une pratique soutenue.

La méta-cognition est aussi à l’ordre du jour en Enseignement Explicite. L’enseignant a toujours à cœur de faire prendre conscience à l’élève de ce qui se passe dans son cerveau durant les apprentissages. Y compris quand l’élève ne sait pas ; ce qui lui permet par la suite d’observer ce qui s’est passé quand il a compris, pourquoi il a compris, de déterminer ce qui l’empêchait d’atteindre son but. Connaître l’erreur permet de mieux y remédier et de ne plus la refaire. Enfin « rendre les conditions d’apprentissage plus difficiles » est ce que l’on appelle en Enseignement Explicite « avoir de hautes ambitions pour ses élèves ». Et pour tous ses élèves. C’est un incontournable. L’Enseignement Explicite a les moyens d’être ambitieux pour les élèves car il part de leur véritable niveau et possède des outils éprouvés pour les faire avancer.

Pilier 3 : Retour d’information

Le cerveau possède un modèle permettant des prédictions. Quand un signal d’erreur vient indiquer que la prédiction n’était pas parfaite, alors se réalise l’apprentissage. Par conséquent, l’apprentissage nécessite un signal d’erreur. Il peut être le fruit de la différence entre la prédiction et l’observation. Dans le cadre scolaire, il vient de l’enseignant par le biais d’une explication.

En quoi l’Enseignement Explicite respecte ce principe.

Voilà qui nous renvoie au statut de l’erreur en Enseignement Explicite : elle n’est pas une faute et fait partie intégrante des apprentissages. L’enseignant apprend à ses élèves à ne pas la redouter mais à savoir l’utiliser pour aller plus loin.  C’est un passage normal. L’Enseignement Explicite ne sanctionne pas les élèves qui commettent des erreurs. Mais l’enseignant sait aussi qu’il doit éviter absolument que des informations erronées s’incrustent dans la mémoire, par conséquent, il s’applique à les débusquer aussi tôt que possible et à les corriger. C’est une attention de chaque instant car plus une erreur persiste en mémoire, plus elle aura du mal à s’effacer. C’est aussi pourquoi la rétroaction occupe une place si importante en Enseignement Explicite. Elle est immédiate et s’accompagne d’explications : l’enseignant pointe l’erreur, indique pourquoi et montre et explique la bonne information. L’enseignant explicite privilégie les encouragements positifs et les récompenses tangibles ou verbales. Ainsi, il met l’accent sur ce qui est réussi ce qui crée une forte motivation auprès des élèves.

Pilier 4 : Consolidation

L’enjeu de l’apprentissage sera acquis lorsqu’il y aura transfert de l’implicite vers l’explicite. Or, ce transfert ne se fait pas naturellement et sans effort, en particulier pour les apprentissages scolaires. Il doit être provoqué et entraîné. Au début de tout apprentissage, le traitement se fait de manière explicite, conscient, des efforts sont nécessaires (ex : le déchiffrage en lecture). Puis vient le temps de l’automatisation. Elle permettra une pratique fluide, donc réussie.

Stanislas Dehaene ajoute un point important à cette consolidation, qui malheureusement, n’entre pas dans le cadre scolaire : le sommeil. Il explique que le sommeil est partie intégrante du phénomène d’apprentissage, il en permet la consolidation et améliore la mémoire, la généralisation, la découverte de régularités. Selon lui, l’amélioration du sommeil peut être une intervention efficace, notamment sur les troubles de l’attention.

En quoi l’Enseignement Explicite respecte ce principe.

En Enseignement Explicite, une fois passé le stade des explications de l’enseignant et de la compréhension des élèves, vient le moment de la consolidation ; elle passe par une pratique, d’abord guidée puis de plus en plus autonome, par des révisions fréquentes, tout cela aboutit à la mémorisation. Il est évident que certaines connaissances (déchiffrage pour la lecture, tables de calcul …) ont besoin d’être automatisées afin de libérer la mémoire de travail et de pouvoir se concentrer sur le raisonnement ou le sens. Sans quoi aucun apprentissage n’a lieu.

Relativement au sommeil, ce serait méconnaître la réalité que de s’imaginer que l’école est capable de former les parents à l’éducation de leurs enfants ! Sur cette question, comme sur beaucoup d’autres, l’école n’a aucun levier d’action. Les seuls parents qui seraient réceptifs à ce genre de propos sont ceux qui déjà, savent éduquer correctement leurs enfants. C’est un fait que la plupart des élèves dans une classe arrivent le matin déjà très fatigués, voire excités, et ont énormément de mal à se concentrer. L’enseignant doit s’en accommoder.

***

Pour terminer, je souhaite que la notoriété de Stanislas Dehaene contribue à diffuser ces éléments fondamentaux au plus grand nombre, à la fois dans le milieu enseignant et dans celui des décideurs institutionnels. N’oublions pas néanmoins que les recherches sur l’efficacité de l’enseignement ont commencé il y a déjà plusieurs décennies et que les travaux de Rosenshine, dès 1976, posaient les jalons de principes pédagogiques en complète adéquation avec ceux évoqués ci-dessus.  Ainsi naissait l’Enseignement Explicite. Le débat pédagogique en France est obéré par le refus d’utiliser ces données, surtout quand leurs conclusions remettent en question les politiques pédagogiques engagées depuis des années et ce, même si leurs piètres résultats sont maintenant connus de tous. Espérons que la multiplication et la diffusion d’exposés tels que celui-ci éveillent un peu les consciences.