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lundi 19 juin 2017

Connaissances primaires et connaissances secondaires



Voici une notion très importante, que tout enseignant devrait connaître. Mais ne comptez pas sur les formateurs des ESPE pour vous en informer, ni sur la formation continue dans les circonscriptions. Cela aurait dû être un véritable pavé dans la mare quand elle a été mise à jour, mais il n’en a rien été. Tout simplement car elle remettait en question les pratiques pédagogiques officielles. On ne touche pas à la doxa.

Elle est issue des travaux de David Geary, basés sur la psychologie évolutionniste. (Geary 2002, 2005, 2007). Selon lui, il faut distinguer les connaissances biologiquement primaires des connaissances biologiquement secondaires.

Les connaissances primaires sont celles acquises naturellement et facilement au cours de notre évolution ; on les acquiert inconsciemment par le simple fait d’être immergé dans la société. Il en est ainsi des connaissances comme apprendre la langue maternelle, reconnaître un visage. Nous n’avons pas besoin que l’on nous enseigne à résoudre un problème par l’analyse moyens-fins. Tout être humain acquiert ce type d’habileté sans problème.

Il en va autrement des connaissances secondaires. Elles concernent tout ce qui est culturel, c’est-à-dire apporté par les sociétés relativement avancées. Même si elles reposent sur les connaissances primaires, elles diffèrent de celles-ci. Prenons l’exemple de la lecture/écriture, qui à l’échelle du temps, est une invention relativement récente ; nous n’avons pas évolué vers la lecture/écriture de la même façon que nous avons évolué vers l’écoute ou la langue parlée. Pour ce qui relève de la langue orale, personne n’imaginerait l’enseigner en expliquant comment placer ses lèvres, sa langue, sa respiration. Cela serait inutile car c’est une habileté que nous possédons suite à l’évolution par immersion dans le groupe social qui parle et écoute. Il en va différemment de la lecture/écriture car nous n’avons pas évolué pour acquérir cette habileté spontanément. L’immersion dans une société qui écrit et qui lit ne garantit rien. Les preuves en sont nombreuses encore aujourd’hui. Nous avons besoin, pour maîtriser ces habiletés, qu’elles nous soient enseignées explicitement.

Voilà le pourquoi de l’école : enseigner les connaissances biologiquement secondaires. Si l’on considérait que celles-ci peuvent s’acquérir par simple immersion, cela aboutirait à des apprentissages minimaux et superficiels, donc inutiles. Et, de fait, c’est ce qui se produit quand les méthodes pédagogiques font fi de ce préalable essentiel et tentent de mettre en œuvre l’apprentissage naturel, indifféremment des types d’habiletés à traiter. L’École doit être le lieu d’acquisition des connaissances secondaires, non par immersion ou imprégnation mais par un enseignement explicite et clair.

Pourquoi l’enseignement des connaissances secondaires doit-il être explicite ? Les psychologues cognitivistes (Sweller en particulier, 2003, 2006) ont mis en évidence les principes de l’architecture cognitive humaine qui expliquent pourquoi l’enseignement doit être explicite avec un focus sur la charge cognitive. L’ouvrage de Chanquoy, Tricot et Sweller est une excellente synthèse sur la question.

Pourquoi est-ce important de savoir cela ? Tout simplement car cela nous éclaire sur les raisons de l’inefficacité des pratiques pédagogiques constructivistes. L’erreur des constructivistes a consisté à ne pas faire la différence entre les types de connaissances. Constatant que certaines connaissances s’acquéraient de manière naturelle, ils en ont déduit qu’il en était ainsi de toutes les autres, y compris des connaissances culturelles. Aucune étude n’a été menée pour transformer cette hypothèse, à la base logique, en principe établi. Il est vrai que quand le constructivisme est apparu en pédagogie, on ne savait rien des principes de Geary, ni de l’architecture cognitive. Néanmoins, une fois que ces découvertes furent faites et l’objet d’un consensus scientifique, aucune remise en cause n’a été opérée par les tenants du constructivisme, tout a continué comme si rien ne s’était passé. Je ne peux m’empêcher de souligner l’ironie de la situation :  ceux qui prétendent éduquer les élèves à l’esprit critique et scientifique, qui disent former le citoyen libre et éclairé de demain, sont ceux-là même qui ne remettent pas en cause leur édifice pédagogique quand la science leur fournit les données probantes de son échec.

À l’heure actuelle, les sciences cognitives font partie à part entière des sciences de l’éducation et leurs apports nous permettent des pédagogies de plus en plus efficaces. Heureusement, grâce à Internet [1], on peut se féliciter de la circulation des idées ; il n’en reste pas moins que les grands chambellans de la pédagogie restent sur leur mantra : hors du constructivisme point de salut. 




[1] Je vous conseille de visiter Form@PEx, le site qui vous fera découvrir tout ce que l’on ne vous dit pas dans les ESPE, et qui vous sera fort utile si vous vous destinez à l’enseignement.

1 commentaire:

  1. Je partage complètement votre point de vue. N'importe quelle captation de conférence d'André Tricot sur cette question suffit à nous convaincre de la portée révolutionnaire (je pèse mes mots) de cette théorie évolutionniste des apprentissages.
    Merci
    José

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