Le ministre britannique de
l’Éducation, Michael Gove, vient de publier un discours résumant ses prises de
position en matière éducative. Ce discours a été commenté par Daniel Willingham
dans son blog. Le cœur du discours consiste à dire toute l’importance de
l’enseignement des connaissances, en s’appuyant sur les nombreuses données
probantes qui existent à l’heure actuelle.
Voilà un ministre qui, de toute
évidence connaît bien son sujet, parle clair, et a connaissance des dernières
avancées de la recherche en matière éducative ; il s’appuie sur les données
probantes. Voilà qui peut surprendre les Français que nous sommes, tellement
habitués à la langue de bois et à l’imprécation en guise d’argumentaire.
Voici quelques éléments sur
lesquels s’articule son discours.
Il s’appuie sur les données probantes
qu’il connaît bien et explique que les connaissances sont indispensables car
sans elles, ni la pensée autonome, ni l’esprit critique, ni la créativité ne
peuvent s’exercer. Les connaissances sont essentielles pour le processus
cognitif et l’on ne peut apprendre à penser sur du vide (Carnine & Carnine,
2004; Hasselbring, 1988; Willingham, 2006). Il connaît bien également
l’expérience du Core Knowledge.
Il se situe dans un rapport à
l’efficacité de l’enseignement et rappelle l’écart qui existe dès l’entrée à
l’école entre les élèves issus de milieux favorisés et ceux issus de milieux
défavorisés. Les élèves pauvres n’ont pas chez eux les opportunités de se
cultiver ; quand ils arrivent à l’école, ils ont déjà un déficit culturel, ce
qui a un impact sur leurs aptitudes à apprendre de nouvelles choses et les
maintient dans un cycle négatif( Stanovich, 1986). C’est ce que la recherche
appelle l’effet Mathieu[1]. Pour lui, la réduction de cet écart est un objectif
majeur ; elle est possible par un enseignement qui ne néglige pas les
connaissances. C’est le rôle de l’école. Il s’appuie à ce sujet sur tous les
travaux de E.D. Hirsch qu’il connaît parfaitement et qui disent toute
l’importance de la culture d’arrière-plan dans la réussite scolaire.
Ses prises de position partent d’un
constat de la réalité, présente mais aussi passée : il critique fortement les
décennies où le progressivisme (en France nous dirions constructivisme) a régné
avec son avalanche de méthodes inefficaces. Il connaît parfaitement les «
arguments » et les sarcasmes de ses partisans à l’égard de ceux qui, comme lui
souhaitent un enseignement des connaissances. Il leur reproche de vouloir
instaurer une éducation de type Downtown Abbey, ce qui revient à dire que par
leur style éducatif ils perpétuent la reproduction sociale. Ce faisant, il met
le doigt sur un paradoxe longuement évoqué par E.D. Hirsch : le progressivisme
pédagogique coïncide avec un conservatisme social, alors que les
progressivistes éducatifs appartiennent en politique aux milieux de gauche.
M.Gove, qui sait trouver des images choc, se dit inspiré par deux personnages :
Jade Goody[2], vedette de la télé-réalité britannique et Antonio Gramsci[3].
Ce type de discours pointe la
contradiction qu’il y a à prétendre vouloir faire des élèves des citoyens
éclairés sans toutefois leur donner les moyens de réaliser cette ambition. Ces
moyens consisteraient à leur fournir un certain nombre de connaissances sans
lesquelles leur pensée ne pourra jamais s’exercer de manière autonome et
critique. Cela est attesté par les données probantes. Négliger l’acquisition
des connaissances revient à priver les élèves des classes défavorisées de
l’accès à la culture, revient à perpétuer le modèle élitiste qui a cours
aujourd’hui. Le comble est que ce modèle émane de personnes se situant à gauche
dans le paysage politique. Cette observation n’est pas nouvelle puisque Gramsci
l’avait déjà faite en son temps. Comme E.D.Hirsch, plus récemment, l’a
récemment développé dans ses écrits. Souhaitons que cette voix, par son côté
institutionnel ait un peu plus de portée et puisse tout au moins commencer à
faire réfléchir.
[1] Selon le verset biblique
Mathieu 13, 12 : « …car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance ;
quant à celui qui n'a pas, on lui ôtera même ce qu'il a ».
[2] Jade Goody, vedette de la télé-réalité
souvent raillée pour son inculture. M. Gove pense que les rieurs devraient
plutôt viser le système éducatif qui est à l’origine de cette inculture. Il se
dit également admiratif de cette personne qui dans sa fin tragique, a fait son
maximum pour donner à ses enfants une instruction de qualité, qu’elle-même
n’avait pas reçue.
[3] Intellectuel italien,
fondateur du Parti Communiste italien et intéressé par les questions
éducatives. A une époque où le progressivisme avait le vent en poupe, il
écrivait : « La nouvelle conception de l’enseignement est dans sa phase
romantique, dans laquelle le remplacement des méthodes “mécaniques” par les
méthodes “naturelles” est devenu exagérément malsain. Autrefois, les élèves
acquéraient un certain bagage de connaissances factuelles. Maintenant, ils
n’auront bientôt plus de bagages à ordonner... Le plus paradoxal est que ce
nouveau type d’école est supposé être démocratique, alors qu’en fait il n’est
pas destiné simplement à perpétuer les différences sociales, mais à les
cristalliser dans de complexes chinoiseries. » (A.Gramsci, 1932)
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