Pedro Cordoba vient d’écrire dans
son blog un article, en 3 posts, très intéressant, intitulé PISA, PIRLS, TIMSS : compétences et connaissances. Cette analyse en
profondeur considère tous les aspects de la question et donnera satisfaction à
tous ceux qui sont fatigués des commentaires superficiels et orientés. Il n’est
pas question ici de répéter ni de résumer ce qu’il explique avec justesse mais
de rebondir sur une question essentielle qui découle de sa démonstration.
Pour faire court, les pays réussissant
au PISA dispensent un enseignement par compétences, et ceux réussissant au
TIMSS dispensent un enseignement de savoirs, de manière plus directe. Pedro
Cordoba écrit : «… les
meilleurs dans TIMSS sont aussi les meilleurs dans PISA et … les bons en TIMSS
progressent à la fois dans TIMSS et dans PISA tandis que les bons en PISA et
pas en TIMSS régressent à la fois dans TIMSS et dans PISA ». Ou plus
simplement : ceux qui ont reçu une transmission directe des savoirs
possèdent ces savoirs mais possèdent aussi les compétences alors qu’on ne les
leur a pas enseignées spécifiquement. Par contre, ceux qui ont reçu un
enseignement par compétences ne réussissent pas aussi bien dans les tests
d’évaluation des savoirs.
Ce constat méritait d’être fait
et devrait être diffusé amplement car il confirme ce qui a déjà été expliqué et démontré par de nombreux chercheurs depuis des
années. Chercheurs dont les travaux, malheureusement, sont soigneusement
maintenus sous le boisseau. Pour illustrer le propos, voici quelques exemples
précis.
E.D. Hirsch a critiqué ce
phénomène comme formalisme pédagogique
ou idée selon laquelle le contenu à enseigner est bien moins important que les
outils formels qui permettront l’apprentissage. Et c’est bien de cela qu’il
s’agit. Dans le modèle constructiviste, on néglige les contenus pour
privilégier les stratégies.
Le meilleur exemple de
l’inefficience de ce modèle concerne la lecture. On a récemment découvert en France l’enseignement
explicite des stratégies de lecture, c’est-à-dire qu’on a, comme trop souvent,
importé un modèle américain sans prendre la précaution de l’examiner en détail.
Bien sûr, l’idée est intéressante, elle consiste à expliquer aux élèves toutes
les procédures susceptibles de permettre une meilleure compréhension du texte, telles
que par exemple : faire des inférences, résumer, questionner, trouver
l’idée principale etc. Les Américains ont expérimenté avant nous et à leur
habitude, de manière rigoureuse, à tel point que l’essentiel de l’horaire fut
occupé par ce genre d’activité. Néanmoins, ils se sont rendu compte que les
résultats ne s’amélioraient pas : même si les élèves possédaient ces
stratégies, pratiquées à outrance, ils n’avaient pas la culture générale
nécessaire à la compréhension. Tout le temps consacré à l’exercice des
stratégies n’était pas consacré à l’acquisition d’une culture générale. Petit
exemple : Dans la phrase « Nous n’irons pas en Irlande car mon
mari déteste la pluie », on a beau savoir ce qu’est une inférence, si on
ignore que l’Irlande est un pays pluvieux, on ne comprendra pas. Les travaux du
psychologue cognitiviste Daniel Willingham confirment eux aussi que l’enseignement
de toute stratégie, s’il n’est pas accompagné de celui de contenus, est vain.
Cela ne signifie pas qu’il faille supprimer l’enseignement des stratégies de
compréhension en lecture : simplement, il faut les utiliser avec
modération et consacrer le reste du temps à fournir aux élèves une culture de
base, une maîtrise de la langue, éléments constitutifs de la compréhension de
l’écrit.
Mais prenons un autre exemple. Les
Américains ont aussi voulu enseigner l’esprit critique. Une idée séduisante, car
après tout, n’est-ce pas l’ambition de tout enseignant que de faire acquérir
une pensée critique à ses élèves ? Dans les années 90, nombre de programmes
spécifiques ont ainsi vu le jour[1].
Pour un bien piètre résultat : plus de 20 ans après, ils déplorent
toujours autant l’absence de pensée critique chez les élèves. L’erreur a consisté
à s’imaginer que la pensée critique était une habileté comme les autres (comme
par exemple effectuer une multiplication) et qu’une fois qu’elle était acquise,
on pouvait l’appliquer à n’importe quelle situation. Cela repose sur une
méconnaissance de la pensée critique qui est en fait le résultat complexe de
processus de pensée mêlés aux connaissances possédées en mémoire à long terme.
Par conséquent, l’esprit critique ne s’acquiert qu’à partir d’un contenu ;
sans quoi cela devient du dressage, du formatage des esprits, en un mot de l’endoctrinement.
Voilà comment on aboutit à un effet inverse de ce qui était souhaité au départ.
Mais apparemment on n’apprend
jamais de ses erreurs, en tout cas en matière éducative. Exactement de la même manière, on a cru que l’estime de soi
pouvait s’enseigner. Dans les années 70, des Américains ont cru que l’estime de
soi était la clé de la réussite scolaire ; ils sont parvenus à cette
conclusion après avoir observé que les bons élèves avaient une bonne estime de
soi. Ils en ont abusivement déduit que la raison de la réussite était l’estime
de soi (et non le contraire). Cette position de départ était une position de principe,
la relation de cause à effet n’ayant jamais été mise en évidence. Forts de
cette croyance, ils ont développé nombre de méthodes pédagogiques dont le seul
but était de développer l’estime de soi des élèves ; la psychologue Jean
Twenge les a étudiées [2]
On pourra se reporter dans cet article au paragraphe relatif à ces méthodes pour se rendre
compte des excès pédagogiques qui ont été commis en la matière. De fait, c’est
la réussite scolaire qui est à l’origine d’une bonne estime de soi et c’est
donc sur les manières de provoquer cette réussite que tout pédagogue devrait s’interroger.
Cela est connu depuis le projetFollow Through. Ce fut la plus grande expérimentation éducative réalisée à
l’échelle fédérale aux États-Unis dans les années 70 ; il s’est agi de
comparer les efficacités respectives de 9 méthodes pédagogiques différentes
issues de 3 familles : modèles centrés sur les habiletés de base, modèles
cognitifs, modèles centrés sur l’affectif (dont faisaient partie les méthodes
Estime de soi).Il s’est avéré que le modèle du Direct Instruction (modèle de
transmission directe et explicite des habiletés de base) a été reconnu comme le
plus efficace dans les habiletés testées (habiletés de base, habiletés de
raisonnement, habiletés affectives). Autrement dit, un modèle transmissif basé
sur l’acquisition des connaissances et habiletés est à l’origine d’une réussite
complète, et a pour conséquence une meilleure estime de soi. On ne peut s’empêcher
ici de faire le parallèle avec la comparaison des évaluations TIMSS et PISA.
On pourrait enfin, pour donner
une autre illustration du propos, citer la vaste question de la créativité à l’école.
Le même raisonnement erroné conduit les mêmes à prétendre susciter la
créativité des élèves en les mettant dans des situations de découverte
auxquelles les moins cultivés d’entre eux n’ont pas les moyens de répondre. C’est
un mythe de croire que la créativité se produit à partir du vide. Le processus
créatif se fait à partir des informations que l’on a accumulées en mémoire à
long terme, qu’elles consistent en connaissances, expériences vécues, habiletés.
Il faut donc dans un premier temps fournir aux élèves l’opportunité de constituer
ces contenus-là et faire en sorte qu’ils ne sombrent pas dans l’oubli. Or le
courant constructiviste méprise les contenus et leur maintien en mémoire. Comme
il néglige l’importance de la pratique et des efforts qui y sont associés.
Pourtant, ils sont indispensables à toute créativité.
Le mouvement qui a conduit à
faire passer au second plan l’acquisition des contenus repose sur une
méconnaissance complète des mécanismes de l’apprentissage, sur des
raisonnements erronés, sur une confusion entre paradigme de l’enseignement et
paradigme de l’apprentissage, sur une autre confusion entre apprentissages
scolaires et apprentissages naturels. Toutes choses qui ont contribué à équiper
les élèves d’outils dont ils ne peuvent se servir, étant donné qu’on a oublié
de leur fournir la matière première qui va avec. Néanmoins, il faut reconnaître
aux défenseurs de ces idées pédagogiques leur efficacité en matière de
communication : aidés par « l’air du temps », ils ont su convaincre
l’opinion, y compris enseignante, de leurs intentions humanistes et bienveillantes
pour les enfants et ont ainsi créé un « pédagogiquement correct » auquel
il est encore difficile de résister.
Pour approfondir la question :
Pourquoi un enseignement peu guidé ne fonctionne pas (Sweller, Kirschner, Clark)
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