Le blog de Bernard Appy propose un post relatif à la prise de position en faveur de l'Enseignement Explicite de Sylvie Cèbe, sur la question de l'enseignement des stratégies de compréhension en lecture.
Comme lui, je me félicite de cette incursion dans le monde de
l’Enseignement Explicite et les lignes qui suivent n’ont d’autre but que celui de clarifier les choses et de permettre une meilleure connaissance de cette forme pédagogique.
J’ai remarqué à plusieurs reprises que la seule
concession que certains constructivistes font à l’enseignement explicite se
situe dans l’enseignement des stratégies de compréhension en lecture. Cela me
rend perplexe car la compréhension en lecture est justement (avec la pensée
critique) une compétence complexe qui ne relève pas directement de
l’enseignement explicite. Je m’explique.
Les réserves quant à l’efficacité de cette approche sont
illustrées par des expériences en classe, comme celle résumée par ED Hirsch
(ville de New York 2006).
La compréhension en lecture n’est pas une habileté
formelle comme par exemple apprendre à résoudre une multiplication ; c’est
un ensemble de multiples sous-habiletés liées à la connaissance de nombreux
domaines. Ainsi, pour prendre un exemple grossier, bien comprendre un texte
traitant du monde des insectes ne garantit pas la compréhension d’un texte traitant
de fusion nucléaire, ni celle d’un poème de Baudelaire. Par ailleurs, la compréhension repose aussi
sur une maîtrise de la langue et de la syntaxe et exige la possession d’un stock
lexical. La compréhension en lecture n’est donc pas une compétence générale
mais elle est associée à plusieurs compétences spécifiques. C’est pourquoi on
peut considérer que les moyens pour améliorer la compréhension consistent à développer
ces compétences particulières, en fournissant une culture générale et variée
ainsi qu'une bonne maîtrise de la langue, choses qui elles, font partie des
habiletés transmissibles de manière explicite.
L’expérience relatée par ED Hirsch décrivait des classes
dans lesquelles l’essentiel de l’horaire avait été consacré à l’enseignement
explicite des stratégies de lecture (inférer, résumer, questionner…) au
détriment de la culture et de l’enseignement de la langue. Les résultats n’ont
pas été à la hauteur et le déficit culturel a empêché les élèves d’améliorer
leur compréhension au-delà d’un certain seuil. En effet, à quoi bon savoir
inférer si on n’a pas les connaissances sur lesquelles s’appuyer pour le
faire ? À quoi bon savoir questionner si on ne possède pas assez la langue
pour trouver les réponses ? À quoi bon essayer de prendre des indices si
on n’a pas la culture ou le lexique pour éviter d’échouer à la première
difficulté ? Une fois de plus, voilà une pratique qui, lorsqu’elle est
mise en œuvre massivement va défavoriser les élèves qui entrent à l’école avec
peu de culture générale, une mauvaise maîtrise de la langue tout en mettant à
l’abri un tant soit peu, les élèves issus de milieux culturellement favorisés.
Est-ce à dire que toute entreprise d’enseignement
explicite des stratégies de compréhension doit être écartée ? Non, bien sûr, mais à condition qu’elle n’occupe pas tout l’horaire
consacré à la lecture et qu’elle ne se fasse pas au détriment de l’enseignement
de la langue et de la culture. Non, à condition qu’elle ne prétende pas être LE
moyen unique de développer la compréhension. Tout est question de proportions.
À mon sens, on doit plutôt considérer cet enseignement comme une approche
méta-cognitive (rendre les élèves conscients des mécanismes en jeu lors d’une
activité cognitive) et, dans ce sens, il a toute sa place.
Certes, lorsque nous lisons, nous mettons en jeu de
manière inconsciente ces habiletés procédurales (inférer, questionner…). Mais
il faut prendre garde à ce genre de conclusion hâtive qui consiste à calquer la
manière dont on enseigne sur celle dont on apprend. Cela fut la grande erreur
constructiviste. De la même manière que la pensée critique ne peut faire
l’économie d’une maîtrise des contenus, la compréhension en lecture s’appuie
sur une culture générale variée, et sur une bonne maîtrise de la langue. C’est
pourquoi on ne peut la réduire à l’enseignement, aussi explicite soit-il, d’une
technique générale, même si c’est celle que nous, lecteurs experts, mettons en
jeu de manière inconsciente.
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