Dans la littérature pédagogique règne un flou dénominatif
qui, même s’il est involontaire, n’en est pas moins gênant. Il donne une idée
fausse des choses. Il n’est pas question ici de passer en revue tous les mots,
expressions ou néologismes relatifs à la question mais de réfléchir sur cette
fabuleuse expression « pédagogie centrée sur… »
Le paysage pédagogique français est constitué de deux
mouvances : celles « centrées sur l’apprenant », ou « puéro-centrées »
et celles « centrées sur l’enseignant » que l’on assimile aussi aux pédagogies
« centrées sur les savoirs ».[1]
Chaque pratique semble donc définie par une de ses spécificités
majeures. Cela conduit à des réductions caricaturales. Ainsi, en parlant de pédagogie
« centrée sur l’apprenant », on sous-entend que les autres pédagogies
ne s’en préoccupent pas. Or, il me semble que c’est un point commun à toutes
les pratiques que de s’intéresser aux élèves (les apprenants), qui ne sont rien
d’autre que des enfants en situation d’apprentissage. L’expression
« centrée sur l’enseignant » que l’on peut lire ou entendre
fréquemment, elle, donne à voir un enseignant nombriliste, voire narcissique,
lui-même sujet de son enseignement ; quant à « centré sur les savoirs »
laisse à penser que les autres pédagogies négligent les savoirs et qu’il s’agit
d’une espèce de vénération d’une culture classique sans rapport avec notre
monde actuel. Toute forme pédagogique qui se respecte doit accorder la même importance :
• à l’élève,
car c’est lui qui apprend et c’est le contenu de son cerveau qui va être
modifié,
• aux
connaissances, car elles vont venir se placer dans les cerveaux des élèves et
devenir leurs propres savoirs,
• et enfin à
l’enseignant, car c’est lui qui va provoquer ces changements.
Avant d’aller plus loin, partons du principe que toute
pédagogie a un même et unique but : celui que les élèves fassent un
certain nombre d’apprentissages scolaires. Si ce n’est pas le cas, alors il
s’agit de discuter des buts que l’on assigne à l’École. Ce serait un tout autre
débat.
Chaque mouvance pédagogique met en place un certain
nombre de moyens pour parvenir aux buts assignés. À mon sens, retenir cela serait déjà un bon départ. Ainsi les pédagogies
« puéro-centrées » appartiennent à la mouvance constructiviste. Elles
soutiennent que les situations de découverte sont le moyen idéal pour que l’élève
réussisse ses apprentissages scolaires. Ces situations sont supposées permettre
à l’enfant de construire ses savoirs. Le constructivisme soutient que la
transmission directe de celui qui sait vers celui qui ne sait pas n’a pas sa
place dans l’enseignement. Ce terme à mon sens définit très bien ce qu’il
représente. Néanmoins, je suis toujours surprise de constater que même ceux qui
appartiennent à ce courant ne s’en revendiquent jamais ouvertement et préfèrent
utiliser des périphrases telles que « centré sur l’enfant » ou à
l’extrême limite « pédagogie par découverte », pour les plus hardis
d’entre eux.
De l’autre côté, nous avons la mouvance qui choisit un
autre moyen pour permettre à l’élève de réussir ses apprentissages : la
transmission directe de celui qui sait vers celui qui ne sait pas. Dans cette
famille, on range pêle-mêle les traditionalistes, les explicites. Les traditionalistes
ne se revendiquent jamais comme tels et auraient plutôt tendance à se dire
centrés sur les savoirs ; la question purement pédagogique n’a pas lieu d’être
selon eux, la maîtrise des disciplines enseignées étant largement suffisante à
leur transmission. Ils appartiennent à ce que l’on a nommé aussi le « courant
républicain »[2].
Les partisans de l’Enseignement Explicite sont eux aussi partisans d’une
transmission directe mais explicite et structurée, ils s’appuient sur la
recherche pédagogique et la transmission repose sur des procédures bien
particulières. Ils font partie du courant de l’enseignement efficace. L’ensemble
du courant transmissif direct est parfois appelé mouvement instructionniste.[3]
Cette opposition constructivisme/instructionnisme me
semble beaucoup plus pertinente. Mais on pourrait à mon sens aller encore plus
loin. Indépendamment des moyens utilisés pour enseigner (par découverte, par
transmission directe explicite, par transmission traditionnelle) pourquoi ne
pas définir les pédagogies dans leurs rapports aux résultats ? On n’aurait plus cette dichotomie erronée et réductrice mais on s’interrogerait
simplement sur l’efficacité des pratiques proposées. Fi de la centration sur l’apprenant
ou sur les savoirs, place aux résultats.
Bien évidemment, j’ai conscience que cela n’est pas pour
demain ; il faudrait en effet que l’on se débarrasse de cette manie de
classer les choses en termes binaires, et que l’on fasse entrer dans le champ
éducatif la notion d’efficacité dans un premier temps, puis celle des données
probantes, afin de pouvoir juger cette efficacité. Cela nous laisse bien du
temps devant nous pour continuer à y réfléchir car dans le monde éducatif l’immobilisme
est très puissant.
[1] Chronologiquement, les pédagogies
centrées sur l’enseignant = avant les années 60 ; les pédagogies centrées sur l’enfant = après les années 60.
[2] Ils se réclament de l’école laïque républicaine
telle qu’elle avait été définie par Jules Ferry sous la IIIème République.
[3] Terme
inventé par Seymour Papert dans les années 80 par opposition au
constructivisme auquel il appartenait.
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