Il est de bon ton
de dire que finalement, toutes les pratiques pédagogiques se valent, pour peu
que l’enseignant les pratique de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa
pensée. L’intention vaudrait donc l’action. Comme il est courant d’affirmer
qu’il faut picorer à droite et à gauche parmi les diverses méthodes car il y a
du bon dans chacune d’elles. Cet élan d’un syncrétisme bienveillant est
encouragé par le ministre lui-même quand il soutient que « l’enseignant
doit être capable d’inventer sa propre pratique. »[1] On
notera au passage qu’il n’est pas question de pratique efficace mais simplement
de pratique. Ce qui est beaucoup plus facile. Mais qui se soucie vraiment
d’efficacité ?
Bien entendu, le
métier d’enseignant laisse une part de personnalisation, l’enseignant n’est pas
un robot qui effectue des actions toujours identiques ; la personnalité de
chacun, sa capacité à interagir avec les élèves, avec les situations, qu’elles
soient d’ordre comportemental ou cognitif, l’intérêt porté aux disciplines, tout cela va faire
qu’il n’existe pas deux pratiques professionnelles identiques y compris parmi
celles qui appartiennent à la même mouvance.
Mais le discours
ambiant va plus loin que cette réserve et apparemment ne se situe pas dans un
contexte d’efficacité. Nous enseignants, jouissons de liberté pédagogique mais
cela ne signifie pas que nous sommes libres d’inventer n’importe quoi, cette
liberté devrait s’inscrire, à mon sens, dans un rapport aux résultats.
Certes, les
enseignants sont des gens de terrain. Certains, parmi eux, ont une expérience
leur permettant de savoir ce qui fonctionne mieux et ce qui fonctionne moins
bien dans une classe. Mais cela ne suffit pas pour inventer une pratique
pédagogique complète et efficace. La réflexion du ministre, même motivée par
les meilleures intentions, contribue, une fois de plus, à « déprofessionnaliser »
le métier. Dans quelle autre profession en est-on arrivé au point de demander
aux praticiens d’inventer leurs méthodes ? Je souhaite de tout mon cœur
que les chirurgiens n’en soient pas à ce stade-là, ni les contrôleurs du ciel,
ni les pharmaciens.
Tous ceux qui
s’intéressent aux questions éducatives auront compris que la mode est
aujourd’hui à l’innovation. Le ministre veut ressusciter le Conseil de
l’Innovation, inventé sous Jack Lang et abandonné sous Luc Ferry. L’innovation fait
en effet partie de la pharmacopée traditionnelle quand rien ne va plus. C’est
en général une dyade : innovation / projets. Comme si le simple fait
d’innover était garant d’une meilleure efficacité dans les apprentissages des
élèves.
Mais enfin
pourquoi innover, quand nous savons déjà (puisque la recherche nous le dit et
le redit) qu’il existe des méthodes pédagogiques efficaces et que cela a été
avéré, y compris dans de vraies classes. Pourquoi prétendre chercher des
solutions quand elles existent déjà et seraient applicables à moindre
frais ? Il suffirait que
les preneurs de décision laissent pénétrer les données probantes dans le champ
éducatif. Ainsi, les enseignants pourraient être informés de la grande variété
des méthodes existantes ainsi que de leurs rapports respectifs à
l’efficacité ; alors, en véritable professionnels ils pourraient choisir.
Au lieu de cela, on les maintient dans l’ignorance, on leur propose des modèles
erronés, on leur fait croire qu’ils sont capables de tout inventer à eux seuls,
tout en les culpabilisant fortement quand les résultats ne viennent pas.
Cette idée selon
laquelle tout se vaut en pédagogie, est à l’origine de cette volonté de
syncrétisme consistant à prendre par-ci par-là quelques éléments à la
convenance de l’enseignant. Idée qui vient, je pense, d’une méconnaissance
profonde des pédagogies. Choisir une pratique pédagogique plutôt qu’une autre
devrait signifier qu’on la connaisse bien, qu’on en apprécie à la fois le
pourquoi et le comment. Quelle que soit la méthode choisie, ce n’est pas une
recette de cuisine. On doit faire les choses en sachant pourquoi. Un exemple
précis pour illustrer le propos : si on a choisi la Pédagogie Explicite on
ne va pas pouvoir y mêler des procédés de type constructiviste car ces pratiques reposent
sur des conceptions diamétralement opposées. La première dit que le meilleur
moyen pour des apprentissages réussis est une transmission directe, explicite
et progressive avec une pratique régulière, l’autre dit que le meilleur moyen
est une mise en situation de découverte en commençant par la complexité. Il y
aurait un manque de logique certain à mixer les deux genres, sauf à n’avoir pas
compris les principes de base. Ce qui serait tout de même excusable au vu de la
formation (initiale ou continue) dispensée aux enseignants.
En 2002, Slavin
notait que « La révolution scientifique qui a profondément transformé la
médecine, l'agriculture, les transports, la technologie et d'autres champs au
cours du XXe siècle a laissé complètement intact le champ de
l'éducation ». À
quoi Clermont Gauthier rajoutait en 2006 : « Cette absence de perspective scientifique nuit
à l'amélioration de la qualité de l'éducation et à la professionnalisation de
l'enseignement ». Nous
sommes en 2013 et rien n’a encore changé, les données probantes font toujours
peur et la seule et véritable innovation de taille consisterait à leur accorder
une place dans le monde pédagogique.
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