L’enseignement est l’un des rares métiers au monde que l’on
se sente toujours obligé de comparer à un autre. Cette particularité pose
question et révèle sans doute que ce métier n’en est pas vraiment un, son
statut est flou, y compris dans l’esprit de ceux qui le pratiquent.
En France, encore aujourd’hui, la comparaison avec le curé et
l’utilisation d’un vocabulaire religieux dominent. Le mot vocation par exemple,
est très courant. Il est admis qu’un bon enseignant doit avoir la « vocation ».
Aurait-on l’idée de parler de vocation
pour le métier d’ingénieur, celui de boucher ou encore celui de secrétaire ?
Avoir la vocation signifie répondre à un mystérieux appel, avoir eu une
révélation, celle d’enseigner. Celui qui l’entend n’a pas besoin d’être formé à
cela, il prend son bâton de pèlerin, sa foi lui suffisant pour accomplir de
grandes choses. Bien sûr, cette comparaison minimise le côté professionnel de
l’enseignant, de la formation et en même temps lui donne un côté ésotérique.
Dans le même registre, nous trouvons aussi les termes : dévouement, mission,
amour (des enfants), engagement, passion [1]. À l’heure actuelle, le ministère
a du mal à recruter des enseignants. Qu’à cela ne tienne, on évoque la « crise
des vocations » en passant soigneusement sous silence la piètre rémunération,
le manque de reconnaissance sociale qui va avec, le manque de moyens pour
exercer le métier, les conditions matérielles déplorables et dans des cas de
plus en plus fréquents, le danger de la profession (il n’est qu’à consulter les
faits divers dans les journaux, auxquels on ajoutera ceux qui ne font pas la
une de la presse) tant sur le plan physique que psychologique. Il est inutile
d’annoncer à grand son de trompe que le métier d’enseignant sera un jour revalorisé (on nous l’a fait croire si
souvent) tout en distillant cette idée d’un métier qui ne repose sur rien
d’autre qu’une vocation. Et pourquoi pas un bénévolat ? Tout cela contribue
fortement à la dévalorisation du métier, à sa déprofessionnalisation.
J’ai trouvé un autre type de comparaison qui me semble
intéressant de rapporter ci-dessous, il vient d’outre-Atlantique. Le magazine
américain en ligne Education Week a récemment publié un article dans lequel il
soutient que l’enseignement a plus en commun avec la carrière militaire. Il y a
certes des similitudes mais aussi des différences de taille.
L’enseignant, tel un soldat d’aujourd’hui, doit d’abord
sécuriser la zone, sa classe, surveiller le bien-être de « ses habitants », ses
élèves, et évaluer en permanence les menaces potentielles (comportementales).
Il est clair que dans certaines écoles dites « sensibles » le travail de
l’enseignant, en particulier dans le Secondaire, se résume à une tâche de
pacification pour laquelle il n’est absolument pas formé, contrairement au
soldat.
Comme le soldat désamorce une bombe en zone de guerre afin de
sauver des vies humaines, l’enseignant tente d’étouffer dans l’œuf les
comportements susceptibles de nuire aux autres élèves ; mais là, contrairement
au soldat, il ne possède pas la procédure de désamorçage. Il fait ce qu’il peut
et en général dans la plus grande solitude ; il n’a pas d’équipe sur laquelle
s’appuyer, ce qui n’est pas le cas du soldat.
Le soldat doit suivre les ordres de ses supérieurs, sans les
commenter ni les contester, même si ces supérieurs sont fort éloignés de la
réalité du terrain. C’est le cas dans l’enseignement pour les injonctions
pédagogiques. Quand les programmes, la formation initiale ou continue décident
que les méthodes doivent être actives, alors les enseignants sont tenus de les
mettre en œuvre sans se préoccuper des résultats. Le soldat obéit, c’est un
exécutant. L’enseignant doit également obéir à sa hiérarchie et aux programmes.
La différence est qu’on lui laisse croire qu’il est un être pensant et possède
une liberté pédagogique. Mais que faire de cette liberté pédagogique quand on
est tenu de respecter les programmes et que ceux-ci demandent par exemple
d’utiliser des méthodes actives pour telle ou telle discipline ? Liberté
pédagogique ou obéissance ? Que faire quand on sait, grâce à des données
probantes, que certaines méthodes pédagogiques sont inefficaces et que votre
hiérarchie vous demande de les appliquer tout de même ? Un soldat qui n’exécute
pas les ordres peut avoir de gros problèmes. Un enseignant qui fait de même
pourra aussi avoir à faire avec une hiérarchie pointilleuse et ce, même si on
n’a pas encore inventé les tribunaux pédagogiques.
On attend du soldat comme de l’enseignant qu’il mette au
second plan ses besoins personnels, pour le bien de la mission qui lui est
confiée. De la même manière, on aime à penser que l’enseignant est investi
d’une mission, qu’il fait preuve d’humanisme et ne compte ni son temps ni sa
peine pour le bien général. Il n’est qu’à voir le vocabulaire qui persiste
encore aujourd’hui autour de ce métier : vocation, dévouement, mission, amour
des enfants, engagement (voir plus haut). Et considérant les salaires des
enseignants, il est clair que la motivation ne peut pas être d’ordre financier.
Enfin, le soldat et l’enseignant ont en commun une absence de
reconnaissance sociale. L’armée comme l’éducation sont déconsidérées et ne sont
plus véritablement des institutions sociales, même si elles en gardent le
titre.
Le jeu des comparaisons pourrait s’étendre bien au-delà de
ces deux exemples. Cet exercice, apparemment très prisé, montre simplement que
le métier d’enseignant, comme le dit Clermont Gauthier, tarde à se
professionnaliser et reste encore aujourd’hui une « profession immature ».
[1] « Mais nous savons aussi la force de votre dévouement, la
passion et la vocation qui vous animent…
» (Lettre de Vincent Peillon à tous les
personnels de l’Éducation Nationale, juin 2012).
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