Le projet de refondation de l’École a annoncé sa volonté d’éradiquer le redoublement, inefficace et surtout très coûteux.
On nous dit que des travaux ont montré son inefficacité pédagogique.
Même si ces travaux n’ont pas encore pignon sur rue, cela est sans doute
vrai. Mon expérience de terrain me dit qu’à de très rares exceptions
près, le redoublement est peu rentable en termes de réussite scolaire.
Néanmoins, quelque chose me gêne dans le discours dominant. C’est le
raisonnement qui conduit à penser que, puisque les élèves ayant redoublé
restent très faibles tout au long de leur scolarité (ce qui est vrai),
en supprimant le redoublement, ils ne seront plus en échec (ce qui n’est
pas prouvé). Nombre d’enseignants laissent passer en classe supérieure
des élèves n’ayant pas le niveau requis (pour des raisons diverses, soit
car ils sont hostiles au redoublement, soit car les parents y sont
hostiles) ; ces élèves-là continuent à être en échec. Alors, puisque les
études savent mesurer l’efficacité du redoublement, pourquoi ne
mène-t-on pas des études similaires pour évaluer l’efficacité du
non-redoublement en termes de performances scolaires ?
Le Café Pédagogique
publie un article sur la question, rapportant sous la plume de François
Jarraud les travaux d’un chercheur belge, Hugues Draelant.
On y lit par exemple deux raisons qui conduisent les enseignants à s’opposer au redoublement : celui-ci aurait « une
fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe et une
fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants ».
Autrement dit, la menace du redoublement ne serait qu’un moyen de
pression utilisé par les enseignants pour obtenir de l’ordre en classe.
C’est mal connaître la réalité des classes (mais l’auteur est belge et
peut-être que la réalité belge est autre que la nôtre). Il y a bien
longtemps que le redoublement n’est plus une menace pour qui que ce
soit, étant donné que l’enseignant a perdu tout pouvoir décisionnel en
la matière. Tout au plus peut-il le suggérer aux parents d’élèves, mais
en aucun cas l’imposer. Les parents seuls portent la responsabilité du
redoublement.
L’auteur évoque aussi le redoublement comme outil de motivation pour
faire travailler les élèves. À ma connaissance et après de nombreuses
années d’enseignement je n’ai jamais rencontré d’enseignant utilisant ce
“moteur” là. C’était peut-être vrai dans les années 50 mais ce temps
est bien révolu. Il existe d’autres méthodes pour susciter l’intérêt et
la motivation des élèves. Ce serait d’autant plus vain que les élèves
eux-mêmes ont assimilé l’idée que l’enseignant n’a aucun pouvoir mais
que, par contre, leurs parents en ont beaucoup.
Enfin l’auteur situe cette “supposée” résistance au redoublement dans
le cadre plus général d’une opposition systématique à toute réforme, un
certain immobilisme, dans le seul désir du maintien de l’autonomie
professionnelle. Autrement dit, les enseignants seraient des personnes
un peu étroites d’esprit, peu soucieuses de la réussite de leurs élèves,
obsédées par l’ordre et leur pouvoir personnel dans la classe, fermées à
la nouveauté et figées sur leur indépendance professionnelle.
Cela fait bien longtemps que l’autonomie professionnelle des
enseignants n’est plus. Et ce n’est pas en s’accrochant au redoublement
qu’on la récupèrera. Mais ce n’est ni honteux ni mal de la revendiquer.
Les enseignants l’ont perdue le jour où on l’on a décidé qu’ils ne
seraient plus à eux seuls les garants des apprentissages scolaires, mais
qu’ils seraient associés aux parents, aux collectivités locales… et que
leurs avis professionnels (= sur les apprentissages) vaudraient ceux
des parents d’élèves ou autres membres de la communauté éducative (non
spécialistes des apprentissages).
La “déprofessionnalisation” du métier d’enseignant a commencé il y a
plusieurs décennies. Oui, les enseignants sont attachés à leur
professionnalisme mais ce n’est pas dans le but d’exercer un quelconque
pouvoir sur les élèves. Leur professionnalisme leur a été retiré depuis
plusieurs décennies par une formation déplorable, par le manque de
confiance généralisé, de la part des parents mais aussi de la
hiérarchie, par le peu de poids accordé à leur parole professionnelle,
par l’absence de moyens pour assurer leur autorité, par une rémunération
insuffisante… Tout a été fait pour que ce métier soit dévalorisé.
L’enseignant est devenu un pantin entre les mains de la hiérarchie, des
parents d’élèves et bientôt des collectivités locales. Car c’est vers
cela que nous nous acheminons.
Pour la question particulière du redoublement, je suis par expérience persuadée de son inefficacité. Que faire alors ?
Tout d’abord s’interroger sur le grand nombre d’élèves en échec et
peut-être sur l’efficacité des méthodes pédagogiques avec lesquelles ils
ont été enseignés. Est-ce normal d’avoir encore 15 % des élèves ayant
des acquis insuffisants ou fragiles (25 %) en fin de scolarité
primaire ? Et d’envisager pour toute solution de recommencer avec les
mêmes recettes qui n’ont jamais fonctionné ?
Enfin, il faut rester réaliste, on ne peut ambitionner 0 % d’échec.
Que faire avec ces élèves qui échouent dès le CP ? Pourquoi ne pas, le
plus tôt possible, les intégrer dans des structures de soutien
spécifiques parallèlement à la classe où l’on utiliserait avec eux des
méthodes ayant fait leurs preuves ? Cela nécessiterait du personnel car
l’enseignant, ne peut être l’homme orchestre que le ministère voudrait
faire de lui. Donc cela aurait un coût dont on ne peut dire s’il
représenterait une économie par rapport à celui du redoublement.
Le projet de loi nous annonce « un accompagnement des élèves en
difficulté tout au long de l’année et des possibilités d’aménagement de
la scolarité d’une année sur l’autre ». Sur le papier, c’est
effectivement merveilleux, mais comme il est de notoriété publique que l’État ne déboursera pas un centime pour cela, personnellement je
n’attends rien de cet engagement. Ce ne sera qu’un effet d’annonce,
parmi d’autres.
Les enseignants sont dévalorisés, sous-payés, mal vus de l’opinion
qui les pense nantis et autoritaires. Et on vient encore leur reprocher
d’être hostiles aux réformes ! Que l’on arrête de tirer sur
l’ambulance !
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