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lundi 25 novembre 2013

Les enseignants épinglés par l'IGEN ... mais chut !

L’IGEN vient de sortir le bilan des programmes 2008 et une fuite l’a rendu public. J’ai lu ce document comme enseignante de cycle 3, par conséquent en ayant comme référence ma propre pratique et ma propre culture pédagogique ; je l’ai lu aussi comme praticienne de l’enseignement explicite et militante des procédures efficaces ; j’étais donc curieuse de connaître les tendances pédagogiques déplorées ou encouragées dans cette étude.

En substance, il dit ceci : si les programmes n’ont pas été appliqués correctement (une fois de plus) la faute est imputable à la lourdeur des programmes et aux enseignants « qui ont une insuffisante maîtrise des fondements disciplinaires et didactiques ». Ainsi qu’au manque d’accompagnement. Trois pistes d’interprétation mais une centaine de pages pour décrire ces enseignants inefficaces.

Ce qui me choque ici n’est pas le constat que certains enseignants échouent à faire réussir leurs élèves mais plutôt qu’on le leur reproche. Car enfin, s’ils n’ont ni les connaissances disciplinaires qu’ils sont supposés enseigner, ni les méthodes pédagogiques pour ce faire, à qui la faute ? Sûrement pas à eux. Il semblerait à lire ce rapport, que les enseignants ont été recrutés au hasard, dans la rue, sans aucune qualification. Le niveau des connaissances disciplinaires ne serait-il pas pris en compte lors du recrutement ? (« Quelques professeurs des écoles, même s’ils sont très rares parmi ceux qui ont été rencontrés, n’ont pas eux-mêmes une maîtrise optimale de la langue, surtout à l’écrit. La majorité d’entre eux manquent de connaissances, ne perçoivent pas la langue comme un système et n’ont pas la vue d’ensemble qui leur permettrait d’établir une hiérarchisation entre les notions à étudier, une progression, des relations fructueuses entre domaines.») Quant aux lacunes pédagogiques, elles ne devraient pas exister après une formation digne de ce nom.

Comme toujours, les enseignants endossent la responsabilité de tous les maux de l’éducation. A quand donc un rapport de l’IGEN sur la formation, sur les méthodes pédagogiques encouragées, sur l’idée d’efficacité, sur l’utilisation des données probantes, sur la formation continue ou initiale, laquelle, c'est de notoriété publique, propose encore et toujours les mêmes recettes menant au mur et ce, inlassablement depuis des décennies ? A ce niveau, l’obstination se fait pathologie.

Beaucoup des observations rapportées ici sont fondées mais en aucune manière, n’est posée la question du pourquoi. Quelques exemples pour illustrer :
 « Les prévisions de progressions – programmations annoncées ne correspondent pas exactement aux activités dont les cahiers portent la trace, surtout au cycle 3. » 
Pourquoi donc ? Parce que les enseignants sont devenus de bons petits soldats; à force de bureaucratiser la fonction, on a obtenu l’effet inverse de l’effet voulu : on coche des cases, on remplit des tableaux, on affiche des intentions, des déclarations, on signe des "contrats", des PPRE, des PPS... La lettre prime désormais sur l’esprit.
«Les photocopies abondent, avec les défauts déjà analysés : collages plus ou moins soignés sur des cahiers (ce qui occasionne une grande consommation de papier), qualité matérielle médiocre de supports uniformes ne permettant ni de percevoir la diversité des fonctions qui leur sont dévolues ni de hiérarchiser l’information. »
Depuis les lustres, on dénigre les manuels, on répète aux enseignants qu’il faut s’en détacher et se fabriquer ses outils personnels. Pourquoi ? On n’en sait rien. Qui peut prouver que les "brico-montages" de chacun sont plus efficaces qu’un manuel ? Le rapport souhaite donc un retour aux manuels, ce qui ne l’empêche pas non plus de critiquer leur utilisation quand il s’agit de s’en inspirer pour établir des progressions annuelles.
« Les inspecteurs regrettent le manque d’appropriation véritable et d’esprit critique face aux supports empruntés dont certains n’ont reçu aucune validation (sites de pairs par exemple). »
Pourquoi les sites d’enseignants fournissant des ressources et autres recettes sont-ils si nombreux et si utilisés ? Promenez-vous sur Internet et vous constaterez que leur fréquentation dépasse largement celle des espaces institutionnels. Pourquoi ? Parce que les sites institutionnels, véritables usines à gaz sont inutilisables. Parce que rares sont les circonscriptions qui mettent à disposition des enseignants des outils pratiques et en rapport avec la réalité, contrairement aux sites d’enseignants, même si par ailleurs, certains d’entre eux me semblent discutables sur le plan pédagogique. Dans quel autre métier est-on obligé de recourir ainsi à l’auto-formation entre pairs ? Quand on en arrive là, c’est peu dire que le métier manque de professionnalisme.
« Le trompe l’œil des pratiques inévitables (la langue étant partout) ne saurait masquer l’absence de travail explicite et structuré sur la langue ».
Autrement dit, on déplore l’absence de travail explicite et structuré. Mais au fait, qui et pendant combien de temps a-t-on persuadé les enseignants que la vérité était dans les méthodes de découverte ? Qu’il fallait travailler dans l’implicite, dans le jeu, sans jamais évoquer les objectifs d’apprentissage ? Personnellement, j’ai même rencontré un IEN qui déconseillait fortement de noter les titres des leçons au tableau avant de commencer. Et parce que les programmes de 2008 suggéraient un enseignement explicite et structuré, on a cru que « le dire c’est le faire » et que, du jour au lendemain, les enseignants allaient fournir un enseignement explicite, sans toutefois avoir suivi de formation à une pratique pédagogique qui ne s’invente pas, sans même qu’aucune information ne soit transmise par les circonscriptions. Nous conseillons un enseignement explicite et structuré, disaient les programmes 2008. Mais qui a expliqué ce que c’était aux enseignants, qui les a formés à cela ? Par conséquent, certains d’entre eux, voulant bien faire, ont fourni un enseignement qu’ils croyaient explicite mais qui n’était rien d’autre qu’un succédané d’enseignement traditionnel.Il est donc logique que le rapport fasse cette observation : « Parmi les inspecteurs rencontrés, certains évoquent les « ravages de l’enseignement explicite ou direct » et « la volonté de construire trop vite des automatismes ». Nous nous garderons d’affirmer que c’est une explication généralisable mais il est de fait qu’un certain nombre de maîtres ont pu recevoir des préconisations en ce sens avec plaisir et se réfugier dans des pratiques qui n’illustrent pas exactement ce qui fait l’efficacité de l’enseignement direct. » Bien évidemment, je souhaiterais que l’enseignement direct et explicite soit pratiqué, mais comment faire quand on ne sait pas ce que c’est, quand personne ne vous forme ni ne vous informe et que, pire encore, circule une désinformation de taille sur la question.

Enfin, voici une remarque récurrente : « Les maîtres ne disposent pas, pour la grande majorité d’entre eux, des outils conceptuels et didactiques pour mettre en œuvre les programmes tels qu’ils existent et même s’ils étaient allégés, et pour donner à leur enseignement toute l’efficacité attendue. »

J’arrête là cette sinistre énumération. Face à de telles observations sans doute justifiées, on s’attendrait à ce que les pistes proposées renvoient au recrutement et à la formation initiale et continue, aux pratiques pédagogiques efficaces afin que celles-ci soient enfin placées au centre. Il n’en est rien, il est suggéré par contre de : développer l’accompagnement des enseignants grâce au numérique (ah ! la magie du numérique !), à des sites et lieux d’échanges institutionnels, au travail en équipe (autre serpent de mer), à une rédaction plus précise des programmes, au rétablissement des évaluations nationales, à l’installation de liens explicites entre disciplines, à l’introduction du  numérique dans tous les champs disciplinaires, à la prise en compte du temps réel d’apprentissage[1]. Bref, rien de nouveau sous le soleil si ce n’est l’habituel bla-bla que les plus anciens d’entre nous connaissent bien. Voilà qui aidera sans aucun doute les enseignants qui n’ont ni les connaissances, ni la pédagogie, ni les outils conceptuels, à combler leurs lacunes et à proposer à leurs élèves un enseignement de qualité.

Au final, on comprend mieux pourquoi ce document n’a pas été mis en ligne sur la page IGEN du site ministériel Je ne peux résister à la tentation de reproduire ce qui se trouve en haut de cette page intitulée Publication de rapport des inspections générales : " Les rapports de l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale (IGEN) et de la rechercher (IGAENR) ont désormais vocation à être publiés. Cette transparence contribuera utilement au débat public sur la réussite éducative." Par conséquent, merci au site du Monde qui, en publiant ce document, a contribué à ladite transparence.

L'un des grands principes de l'Enseignement Explicite est d'attribuer l'échec de l'élève à une défaillance de l'enseignement. Alors, soyons fou et rêvons un peu. Si on transposait à la formation des enseignants l'adage de S.Engelman[2] ?

" Si les enseignants ne réussissent pas, alors, les formateurs n'ont pas enseigné."






[1] Au passage, sont comptées 22 heures d’enseignement sur 9 ½ journées, déduction faite des récréations, ce qui est faux. Sur 9 ½ journées les récréations représentent 2 h 15.
[2] Si l’élève n’a pas appris, alors le maître n’a pas enseigné.






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