L’enseignement explicite est de plus en plus connu et utilisé
mais il souffre encore d’être confondu, volontairement ou pas, avec l’enseignement traditionnel.
Peut-être est-ce son appartenance à la famille instructionniste[1],
comme l’enseignement traditionnel, qui pousse des personnes peu au fait des
questions pédagogiques à une telle confusion. Ainsi, beaucoup de personnes se persuadent
que le modelage explicite n’est rien d’autre qu’un exposé magistral. En quoi et
pour qui cet amalgame est-il gênant ? Il est gênant car il est porteur
d’une idée fausse ; la pédagogie a déjà son lot d’idées fausses et autres mythes, n’en rajoutons pas. Il est gênant pour les enseignants explicites qui
se voient reprocher des façons de faire qui ne sont pas les leurs. Par
contre, certains enseignants traditionnels pensent par ce biais redorer l’image
écornée de leur pratique tout en s’accordant le mérite de la primauté. L’enseignement
explicite est une pratique bien particulière, ses procédures ont été définies
avec une grande précision et les quelques lignes ci-dessous vont montrer les principales différences et divergences par rapport à
l’enseignement traditionnel.
Fondements
Comme son nom l’indique, l’enseignement traditionnel repose
sur une tradition pédagogique : la façon d’enseigner en usage avant les années
60 et la mouvance de l’Éducation nouvelle. Il considère qu’une bonne maîtrise
des savoirs enseignés suffit à l’enseignant pour transmettre efficacement. Il
ne s’interroge pas sur la manière d’y parvenir. Aujourd’hui, les enseignants
traditionnels refusent les apports des sciences de l’éducation ainsi que les
données probantes fournies par la recherche.
L’enseignement explicite s’inscrit dans un courant
pédagogique cherchant à avoir une pratique efficace auprès de tous les élèves.
Il s’appuie sur les données probantes tirées d’expériences à grande échelle
ainsi que sur les apports de la psychologie cognitive (architecture cognitive) et de la psychologie des apprentissages. Ses procédures ont été définies en tenant
compte de ces apports puis elles ont été expérimentées dans les classes, avant
d’être proposées aux enseignants.
Contenus enseignés
L’enseignement traditionnel est axé sur la transmission de savoirs que les élèves doivent restituer. En enseignement explicite, il
s’agit de transmettre des savoirs mais aussi des habiletés, et des savoir-être.
Tout cela s’enseigne selon la procédure explicite, y compris les comportements.
La gestion de classe en enseignement explicite est très
importante, c’est le préalable à l’enseignement. Elle concerne les règles de
classe mais aussi les comportements spécifiques attendus lors des divers moments
de la journée, la gestion du temps, celle des conflits. L’enseignement
explicite pratique abondamment le renforcement positif alors qu’en enseignement
traditionnel, la gestion de classe se limite aux sanctions en cas de manquement
aux règles.
Procédures de
transmission
L’enseignant traditionnel fait une leçon magistrale ; il
privilégie le monologue. Il s’agit d’un exposé suivi d’une phase
d’exercisation. Il y a peu d’interaction avec les élèves. Il s’attache à
transmettre les contenus alors que l’enseignant explicite se préoccupe de la
compréhension et du maintien en mémoire de ces contenus par les élèves, c’est-à-dire
de ce qu’il advient d’eux une fois la transmission effectuée. En enseignement traditionnel, la
vérification de la compréhension a lieu après les exercices ou lors de la
correction. En enseignement explicite, elle a lieu dès le modelage et tout au
long de la pratique guidée. Voilà pourquoi le dialogue est privilégié :
l’enseignant explicite pose de multiples questions aux élèves pour vérifier le
niveau de compréhension. Ceux-ci ne sont jamais laissés seuls devant un
problème tant qu’ils n’ont pas une pratique fluide. Le guidage de l’enseignant
est fort au début puis s’amenuise peu à peu. Cela évite nombre d’échecs lors de
la pratique autonome. L’enseignant traditionnel donne les exercices
d’application directement après l’exposé magistral ; ce n’est qu’au moment
de la correction des exercices qu’interviendront éventuellement les
rétroactions concernant les erreurs commises. En enseignement explicite, la
rétroaction ou correction raisonnée des erreurs intervient tout au long de
la démarche afin d’éviter que les erreurs ne cristallisent dans l’esprit des
élèves.
Le modelage explicite, utilise largement la méta-cognition,
ce que ne fait pas l’exposé magistral dans la méthode traditionnelle. Il
annonce les objectifs d’apprentissage, les tâches attendues, le
déroulement ; lors des explications, l’enseignant « met un haut-parleur »
sur sa pensée et oralise son raisonnement.
Sont mises à la disposition des élèves toutes stratégies pouvant aider
aux apprentissages : comment utiliser sa mémoire, comment organiser sa
pensée, comment réaliser certaines procédures spécifiques. Ainsi les élèves sont
des acteurs conscients de leurs apprentissages, ils savent comment faire pour
retenir, ou pour réaliser des tâches de plus en plus complexes.
L’enseignement traditionnel fait abstraction de l’alignement
curriculaire (adéquation entre ce qui a été enseigné et ce qui est évalué). En
enseignement explicite, on n’évalue jamais ce qui n’a pas été enseigné
explicitement ; les élèves ne se trouvent donc jamais face à des questions
pièges que seuls un petit nombre d’entre eux seraient capables de résoudre.
Chaque notion enseignée en pratique explicite fait l’objet
d’une synthèse à la fin de la leçon (ce qui est à retenir) ce qui favorise la
mémorisation. Habitude inexistante en enseignement traditionnel.
Élèves en
difficultés et échec scolaire
L’attitude des deux écoles est diamétralement opposée.
L’enseignant traditionnel va imputer l’échec à l’élève qui n’a pas compris.
Dans le meilleur des cas, il proposera un redoublement à la fin de l’année
scolaire. L’enseignant explicite assume la responsabilité de l’échec selon
l’adage de S.Engelmann : « Si
l’élève n’a pas appris, alors le maître n’a pas enseigné ». Ce n’est
pas du misérabilisme mais une prise en compte de la réalité observable. Les raisons peuvent en être
multiples, une explication insuffisante, des connaissances pré-requises non
maîtrisées etc. L’enseignant explicite a donc cette habitude d’ajuster son
enseignement en fonction de la réaction des élèves et ce de façon immédiate.
Les élèves en difficulté profitent particulièrement des
procédures explicites qui mettent l’accent sur la compréhension, ne passent pas
à la notion suivante quand la précédente n’est pas maîtrisée et qui s'appliquent à ne pas susciter de surcharge cognitive. Si malgré tout, des
difficultés persistent, l’élève en difficulté se voit donner des explications
supplémentaires, et un guidage plus intense. Il bénéficiera d’une pratique plus
importante.
Ces différences présentées ici sommairement,
on l’aura compris, ne sont pas anecdotiques : elles reposent sur des
divergences fondamentales. Le caractère transmissif direct de l’enseignement
explicite est insuffisant pour le confondre avec l’enseignement traditionnel.
C’est une bonne chose de transmettre directement, sans passer par le biais des
situations de découverte[2],
mais encore faut-il s’interroger sur l’efficacité du comment. C’est le résultat
de ce type d’interrogation qui a donné naissance à l’enseignement explicite.Ce petit jeu des différences, je l’espère, contribuera à une
plus grande vigilance quant à l’usage souvent abusif du terme explicite, y compris dans les publicités
de certaines maisons d’édition traditionnelles. Chaque enseignant étant libre
de ses choix pédagogiques, il serait normal de les assumer entièrement plutôt
que d’utiliser à tort et à travers des étiquettes dont on ignore ce qu’elles
représentent. Non, l’enseignement explicite n’est pas de l’enseignement
traditionnel.
[1] Famille
pédagogique basée sur une transmission directe en opposition avec la
transmission indirecte via la découverte.
Je pense que vous avez une idée peut-être un peu erronée de ce que peut être l'enseignement traditionnel... Il ne faudrait pas croire que des milliers d'années de pratiques de l'enseignement n'est accouché, en terme de réflexion, que celle du cours magistral. D'ailleurs, au niveau de l'école obligatoire, il n'est tout simplement pas possible de faire du magistral pur! C'est le côté instructionniste qui fait l'aspect traditionnel de l'enseignement.
RépondreSupprimerLa pédagogie explicite a des aspects à apporté à celui-ci c'est une évidence: un certain nombre de techniques applicables à peu près universellement et qui permettent une plus grande efficacité.
Mais d'un autre côté, l' "artisanat" d'enseignants traditionnels peut également enrichir une pédagogie explicite plus technique: la relation humaine est suffisamment complexe pour pouvoir être enrichie par ces deux manières (qui en fait deviennent une multitude selon la multitude des usages développés par les enseignants "traditionnels") et mérite de l'être. L'un ne doit pas aller sans l'autre. La technique et l'humanité mais pas l'un ou l'autre. C'est ma manière de voir les choses, c'est donc pourquoi je pense que le combat que vous menez pour distinguer pédagogie explicite et pédagogie traditionnel n'est pas adéquat. Les adeptes d'instructionnisme doivent faire bloc contre l'approche par le complexe et la découverte, sans cela on ne s'en sortira pas.
stevanmiljevic.wordpress.com
Merci pour votre réaction. Je suis désolée que vous ayez lu dans mes propos une velléité de combat car ce n’était pas mon intention. Je ne vois pas en quoi démonter certaines contre-vérités (qui par ailleurs nuisent à tous) serait une pratique inadéquate. Au contraire, tout ce qui concourt à décrire et expliquer les pratiques pédagogiques et à faire tomber les idées reçues me semble de nature à faire avancer les choses. Il n’est question pour moi ni de combat, ni de « faire bloc » contre qui que ce soit. Mon seul but est de faire connaître une pratique efficace nommée l’Enseignement Explicite. C’est pourquoi je la situe par rapport aux autres, y compris dans la mouvance instructionniste.
RépondreSupprimerVous dites que j’ai une idée erronée de l’enseignement traditionnel mais curieusement, celles et ceux qui le pratiquent (et il y en a encore) soit s’en défendent, soit se targuent d’être explicites mais dans tous les cas sont incapables de le décrire avec plus de précision ou de le situer par rapport aux données probantes de la recherche.
Cordialement,