J’écrivais récemment « … il y a en éducation deux courants
distincts : celui qui s’appuie sur les données probantes et a pour but
l’efficacité de l’enseignement et celui qui s’appuie sur des choix idéologiques
ou philosophiques pour déterminer les méthodes pédagogiques à
privilégier. » Si ce constat reste vrai, il faudrait néanmoins le
compléter. Les données probantes sont des preuves de l’efficacité de telle ou
telle méthode. Elles tiennent lieu d’argumentaire. Les méthodes s’appuyant sur
des choix idéologiques sans toutefois les assumer et ayant peu de données
tangibles pour convaincre, usent et abusent du pathos pour persuader.
Il n’est pour s’en
convaincre qu’à lire les espaces dédiés sur Internet. Quand on ne peut
expliquer le bien-fondé d’une méthode par des arguments concrets, alors on
essaie de persuader par les qualités personnelles des individus qui la
pratiquent ; comment ne pas être ému par des enseignants parés des plus
dignes vertus : on croise alors des maîtresses bienveillantes, attentives,
protectrices, authentiques, passionnées, généreuses. Celles-ci relatent
volontiers le quotidien de leur classe en prenant soin de mettre en évidence
leurs propres qualités humaines, lesquelles conduisent leurs élèves à la
béatitude scolaire.
Ce qui me heurte dans cette
façon de procéder n’est pas tant la tendance démagogique en soi qui est un
travers de l’humaine nature, mais plutôt qu’elle signe une
déprofessionnalisation grandissante du métier. Quand on en est réduit à avancer
les qualités personnelles d’un enseignant pour prouver qu’il réussit dans sa
tâche, c’est bien le signe que ce métier n’en est pas un. Quand l’humanité et
la générosité supplantent les résultats obtenus ou la validité des actions
pédagogiques, c’est le signe que rien ne va plus. Un médecin bienveillant et
charismatique qui pratiquerait encore la saignée serait-il un bon
médecin ?
Ce faisant, je ne cherche
pas à dire que les qualités humaines ne sont pas nécessaires pour enseigner,
simplement je dis qu’elles ne sont pas à elles seules suffisantes. Ce qu’on
demande aux enseignants, c’est d’enseigner avec succès. S’ils ne savent pas
comment procéder efficacement, ils auront beau être parés de vertus
personnelles dignes de tous les saints, ils ne parviendront à rien en termes de
résultats, si ce n’est à berner les élèves, leurs parents et tous ceux qui auront
la faiblesse de succomber au discours émotionnel.
Comme le soulignait très
justement Clermont Gauthier en 2007, « S’il n’y a pas une forme d’expertise formalisée par la recherche,
partagée par un groupe et reconnue sur le plan social, alors le travail
qu’accomplit l’enseignant peut, à juste titre, être confié à n’importe quels
autres acteurs dont les services et les conditions seront négociés à rabais. »
C’est ce qui risque de se produire quand on met en avant les qualités humaines
individuelles au lieu de focaliser sur les véritables compétences
professionnelles, à savoir le choix des meilleures stratégies disponibles et
dont les résultats ont été validés.
Le discours émotionnel, omniprésent depuis quelques décennies, plaît car il caresse la bête dans le sens du
poil, il rassure les parents d’élèves ainsi persuadés que leurs progénitures
seront heureuses et aimées dans ce lieu réputé hostile qu’est l’école. Il fait
passer au second plan la réussite véritable des apprentissages et leur
importance dans le cheminement des élèves. Il répand cette idée fausse selon
laquelle une méthode est bonne dès lors qu’elle est « populaire ».
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