Je lisais récemment le
dernier rapport du CAS (Centre d’Analyse Stratégique) sur le bien-être des
enfants à l’école. Le préambule explique clairement l’existence d’un lien de
corrélation entre bien-être, estime de soi et réussite scolaire. Il précise,
dans une note de bas de page, qu'il s’agit bien de corrélation et non de
causalité, cette dernière n’ayant pas été démontrée. Ce qui n’empêche
absolument pas les rapporteurs d’en conclure que pour améliorer la réussite, il
faut jouer sur le bien-être. On aurait tout aussi bien pu, puisqu'il n’y a pas
lien de causalité, supposer (et non affirmer) qu'en améliorant la réussite
scolaire, le bien-être et l’estime de soi seraient également améliorés. Voilà
le type de raisonnement fallacieux qui corrompt les débats éducatifs depuis
tant d’années. Dans la même veine, les notes (mauvaises) traumatisent les
élèves et émaillent leur estime de soi ; supprimons-les ou alors ne donnons que
de bonnes notes. Ce rapport nous annonce que finalement la plupart des élèves
français aiment leur école, et propose des solutions pour ceux qui ne sont pas
dans ce cas : former les personnels à la gestion des conflits par des méthodes
de justice “restaurative”, prévenir le harcèlement en suivant les méthodes
allemande et finlandaise (jeux de rôles, discussions, projets), pratiquer une
évaluation positive, faire pratiquer la coopération et les travaux collectifs,
initier des projets fédérateurs académiques, repenser les aménagements des
espaces. Bref, les solutions habituelles.
Comment est-il possible qu'en France, aucun de nos “éducrates” ne se posent cette simple question : que faire
pour que nos élèves aient de meilleures notes, c’est-à-dire maîtrisent ce qu'on leur a appris ? Et se questionnent en profondeur sur la façon dont on leur a
enseigné. Il semblerait que cela ne fasse pas partie des questions
envisageables par le pédagogiquement correct qui nous dicte le dogme depuis
plusieurs décennies. Tout comme s’il n’était pas envisageable que l’échec d’un
élève puisse être attribué, en partie au moins, à la méthode d’enseignement
subie.
Qu'est-ce que le bien-être des
élèves à l’école ? Quels sont les facteurs qui peuvent y contribuer ? Avant
d’aller plus loin, il faut évoquer les buts de l’École. Car d’eux dépendent les
moyens dont on va se doter pour les atteindre. Il est clair que ceux qui
assignent à l’École pour but premier l’épanouissement des enfants, ne
proposeront pas les mêmes moyens que ceux, dont je suis, qui disent que l’École
doit instruire afin de former des citoyens éclairés. Par ailleurs, il est faux
d’affirmer qu'une école qui instruit est incompatible avec une école qui
épanouit. Mais il faut aussi prendre en considération un principe de base
essentiel : tous les élèves sont capables d’apprendre. Le bien-être à l’école
vient de la réussite scolaire [1]. Laquelle a aussi une incidence sur l’estime
de soi. Tout commence donc par la réussite. C’est donc sur elle qu'il faut
agir. Mais il faut agir véritablement et non pas se contenter de faire croire
aux élèves qu'ils réussissent alors qu'ils ne le font pas. De toute façon, les
élèves ne sont pas dupes. Les résultats du projet Follow Through ont montré de
manière éclatante que les méthodes d’enseignement centrées sur les
apprentissages scolaires favorisaient non seulement la réussite mais aussi
augmentaient l’estime de soi. Alors que les méthodes centrées sur l’estime de
soi (consistant à convaincre tous les enfants de leurs valeurs respectives) ne
sont parvenues ni à une réussite scolaire ni à une amélioration de l’estime de
soi. Dont acte.
La réussite scolaire peut être
améliorée avec des méthodes d’enseignement efficaces, et ce n’est pas une vue
de l’esprit. Toutes les méthodes ne se valent pas. La recherche, américaine et
canadienne, est là pour nous le montrer, mais curieusement nos chercheurs
français n’en tiennent absolument pas compte. Les méthodes d’enseignement
efficaces s’appuyant sur les données probantes (evidence based practices) utilisent des procédures de gestion de la
matière ayant fait leurs preuves et s’appuyant sur ce que l’on sait du
fonctionnement du cerveau lors des apprentissages. Ces procédures utilisent une
gestion de classe tout aussi efficace, faisant vivre aux élèves la réussite
liée aux efforts fournis, les habitudes de raisonnement, le respect des règles,
le goût du travail bien fait et surtout ce que Carol Dweck appelle un esprit
dynamique (savoir tirer parti de ses erreurs afin d’apprendre plus). À cela,
s’ajoute la pratique des encouragements positifs qui consiste à féliciter
l’élève abondamment, sur ses actions, ses résultats liés aux efforts et non sur
ses qualités personnelles ou innées.
Les classes d’enseignement
explicite permettent même aux élèves en difficultés de progresser, pour la
simple raison que cette pratique pédagogique met tous les atouts du côté des
élèves. Ainsi, on s’assure par exemple de la maîtrise des connaissances
préalables avant d’aborder un nouveau concept ou habileté, on progresse pas à
pas, on laisse le temps pour la pratique, on vérifie la compréhension, on ne
laisse jamais les raisonnements erronés se figer dans l’esprit des élèves, on
pratique la rétroaction, on fait des révisions fréquentes. Tout cela permet aux
élèves d’avancer dans un cadre rassurant et structuré de savoir exactement ce qu'il va apprendre et de quelle façon il s’y prendra. Dans ces conditions,
rares sont les élèves qui ne parviennent pas à un résultat. L’enseignant
explique que les efforts fournis, ajoutés aux stratégies utilisées conduisent à
la réussite ; mais il ne fait pas que l’expliquer, il le prouve. Et l’enfant
qui réussit, aussi petite soit sa réussite, prend goût au travail scolaire. En
pratiquant les encouragements positifs à grande échelle, en pointant chaque
fois le lien entre efforts et résultats l’Enseignement Explicite développe chez
les élèves un esprit dynamique.
L’effort, tant décrié en
éducation, est pourtant nécessaire et il n’est pas forcément synonyme de
souffrance. L’enfant qui voit ses efforts récompensés ne souffre pas mais au
contraire développe le désir d’apprendre plus. C’est ainsi qu'apparaît le
plaisir d’apprendre. Contrairement à une idée courante, le plaisir à l’école ne
vient pas de l’assouvissement des besoins immédiats, ni du jeu, c’est un
plaisir scolaire, nouveau, celui d’apprendre. Comme toutes les choses
scolaires, le plaisir d’apprendre est culturel, il n’est pas inné ; c’est le
rôle de l’enseignant que de l’y initier. L’enfant qui a plaisir à apprendre
vient volontiers à l’école car il a intégré l’idée que ses efforts sont
récompensés; son estime de soi augmente, il connaît le bien-être.
Le bien-être à l’école est le
fruit d’une réussite scolaire qu'il est possible d’améliorer en commençant par
s’interroger sur l’efficacité des méthodes pédagogiques actuelles.
[1]. La recherche sur l’estime de soi l’a bien
montré. Voir les travaux de Carol Dweck, ceux de Jean Twenge ainsi que les
résultats du projet Follow Through.
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