Entretien avec John Sweller, suite. Ci-dessous le billet 8.
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8 /
Peut-on enseigner la collaboration ?
OL: Okay, la dernière
question de Raj est : « Dans votre ouvrage de 2011, avec Paul Ayres et
Slava Kalyuga, vous présentez les preuves préliminaires pour l’effet de mémoire
de travail collective. Comment s’est
développée la recherche sur cet effet depuis ? Que nous suggère cet effet
en matière de design pédagogique pour le travail de groupe ?
JS: Oui, l’un de nos anciens doctorants à Paul Ayre et moi,
Endah Retnowati, qui est maintenant une universitaire en Indonésie, son pays
d’origine, a fait son doctorat sur cet effet. C’est intéressant parce que ce
travail avait été commencé par nos collègues néerlandais ; elle a trouvé
des résultats intéressants qui viennent de sortir dans le Journal of Education
Psychology.
Plus généralement, l’engagement collaboratif intervient dans
un environnement où vous rassemblez des personnes avec des arrière-plans
culturels différents. Donc, dans le monde des affaires, vous pouvez avoir par
exemple, un ingénieur et un économiste ayant besoin de travailler ensemble sur
un projet particulier. L’un a des connaissances en ingénierie, l’autre en
économie, ils savent ce qu’ils peuvent mettre en commun, ils ne peuvent faire
le travail l’un sans l’autre, par conséquent, ils sont obligés de collaborer.
Cela se produit moins souvent en classe. En classe, on peut supposer que tous
les élèves ont en gros le même niveau de connaissances, donc la collaboration
ne fonctionne pas de la même façon. Nous avons trouvé, par exemple, que si les
gens résolvent des problèmes, la collaboration peut fonctionner parce qu’une
personne peut être capable d’en aider une autre. Mais, si elles sont toutes en train d’étudier
un exemple résolu, cela a un effet négatif.
Il vaut mieux que chacune d’elle étudie toute seule un exemple résolu. Chaque
personne tire de l’exemple résolu l’information nécessaire. Dans la résolution
de problème, vous avez peut-être besoin de l’information, et la seule façon de
l’obtenir est d’un autre. Voilà le genre de complexité que l’on rencontre.
OL: Ce n’est pas une
distinction à laquelle j’ai beaucoup réfléchi par le passé. Parce
qu’aujourd’hui, il y a une idée largement partagée selon laquelle « nous
devons enseigner comment devenir des solutionneurs de problèmes
collaboratifs ». Mais vous suggérez que, si nous voulons parler de ce qui
arrive dans le vrai monde, il y a pour cela différents experts venus de
différents domaines. C’est très intéressant à considérer.
JS: Oui, c’est une
autre conséquence liée à l’importance de la distinction entre connaissances
biologiquement primaires et connaissances biologiquement secondaires. Je ne
suis pas sûr dans quelle mesure vous pouvez enseigner à quelqu’un le travail
collaboratif, parce que les humains ont évolué pour devenir des animaux sociaux.
Nous travaillons collaborativement. Nous savons comment faire. Dans un sens, ce
que nous faisons ici, vous et moi, est du travail collaboratif. Personne n’est
venu nous dire : « Ok, quand vous entreprenez une telle
collaboration, voici ce que vous devez faire, et voilà comment vous devez le
faire. » Personne n’a fait ceci, il n’y avait pas besoin de le faire.
OL: Mais il y a des
choses que vous et moi avons probablement apprises au fil du temps, qui ont
permis cette collaboration et lui ont permis d’être plus riche. Comme par
exemple, je savais que si je vous rencontrais après avoir beaucoup réfléchi au
sujet, avec des questions préparées à l’avance, et si je demandais au préalable
leurs avis à d’autres personnes, alors, je serais capable d’émailler la
discussion de questions de meilleure qualité.
JS: Absolument, ce que vous dites est très important.
Laissez-moi développer. Quand nous parlons de connaissances biologiquement
primaires, je ne suggère pas que nous n’apprenons pas ces connaissances. Nous
le faisons bien évidemment, et vous avez dû apprendre ce que vous avez décrit.
Mais il n’a pas été obligatoire que vous l’ayez appris en classe. Vous n’avez
pas eu besoin que l’on vous dise : « Aujourd’hui, nous allons
apprendre comment collaborer ». Par contre, c’est ce que l’on doit faire
quand on enseigne des connaissances biologiquement secondaires : « Vous
avez une équation (a+b)/c=d à résoudre ; ce qu’il faut faire en premier
est de multiplier le dénominateur. On doit vous le dire. Vous pouvez
éventuellement le trouver tout seul mais c’est un processus long et lent. Ce
que vous avez décrit des choses que vous avez apprises, je suppose que vous les
avez apprises rapidement, sans enseignement explicite ; c’est ce que je
veux dire quand je parle de biologiquement primaire. Vous savez que si vous préparez
une discussion avec quelqu’un sur un sujet complexe, il faut s’y préparer
auparavant, et il peut être utile que quelqu’un vous rappelle
occasionnellement : « Bien, tu as besoin de te préparer à cela. Si
vous vous rendez à un entretien d’embauche, il ne s’agit pas de s’y présenter
les mains dans les poches, il faut s’y préparer. » On doit rappeler ce
genre de choses aux gens, régulièrement. On n’a pas besoin vraiment de vous
expliquer comment vous préparer. Assurez-vous que vous connaissez le sujet suffisamment
pour être capable d’en parler. Assurez-vous de réfléchir à ceci :
Qu’est-ce-que sait la personne à qui je vais m’adresser, comment cela est-il
lié à ce que je sais personnellement, et comment tout cela peut affecter la
conversation que nous allons avoir ? Mais vous faites tout cela
automatiquement. Il n’y a jamais eu en classe de module sur la question, et si
jamais il y en avait un jour, (« voilà comment on collabore en
classe ») cela serait une pure perte de temps.
OL: Est-il
envisageable que pour certaines personnes, cela soit davantage biologiquement
primaire que pour d’autres ?
JS: Oh, absolument!
Ce n’est pas vraiment plus biologiquement primaire, mais disons
plutôt que, pour toutes les habiletés biologiquement primaires, et probablement
aussi les secondaires, il y a une répartition normale. Il y a des gens qui,
pour des raisons génétiques, sont très peu habiles dans certains domaines. Ce
sont des personnes dont on sait qu’elles sont susceptibles d’avoir des
problèmes sociétaux. D’autres, au contraire, y parviennent rapidement. Et vous pouvez dire
cela de n’importe quelle habileté biologiquement primaire. Cela varie. Le fait
qu’il s’agisse d’une connaissance biologiquement primaire ne signifie pas que
nous la possédons tous de la même manière. Ni que nous la possédons tous.
Certaines personnes ne la possèdent pas, ce qui complique leur vie.
OL: Donc de la même
façon, on constate que certaines personnes acquièrent la langue parlée
tardivement, et pour les aider, elles peuvent consulter un pathologiste de la langue, par
exemple. Pourrait-on argumenter qu’on peut aider ceux qui ne réussissent pas
aussi bien, (quelle que soit l’habileté en question -travail en collaboration-
conduite d’une discussion), par un enseignement explicite sur la manière
d’avoir des relations aux autres ?
JS: Oui c’est
tout-à-fait vrai. Si je prends un cas extrême, les enfants autistes. Ces
enfants ont de gros problèmes dans leurs relations aux autres. La plupart des
personnes non autistes, apprennent cela automatiquement. Les enfants autistes,
non. Peuvent-ils le faire ? Oui, ils peuvent apprendre à le faire, via le
système secondaire. C’est une manière
lente et un peu malhabile de le faire, mais c’est le seul moyen à leur
disposition. Il y a des autistes d’un haut niveau, mais vous ne remarquez rien parce
qu’ils ont passé des années à apprendre comment faire : “Oh, voici ce que je dois faire dans cette
situation sociale. D’accord ! » Ils ont besoin qu’on leur dise
explicitement : « Ne dis pas ceci dans telle situation ;
fais cela dans telle autre situation. » Pour eux, tout cela est nouveau.
OL: Ainsi, s’il est
possible d’améliorer les performances de ceux qui étaient faibles, par un
enseignement explicite, alors il est envisageable que l’on puisse identifier les habiletés et attributs de ceux
qui réussissent et qu’on les enseigne explicitement à ceux qui réussissent
moyennement afin qu’ils deviennent meilleurs ?
JS: Les gens qui réussissent moyennement, vous ne pouvez
pas les pousser pour devenir meilleurs, cela veut juste dire qu’ils ont appris
un peu plus lentement que les autres, ou
qu’ils étaient un peu plus âgés quand ils ont commencé. Mais, ils ont acquis et
automatisé ces habiletés, il n’y a rien à faire. Les habiletés sont là, et nous
savons par exemple, que quelqu’un qui n’est pas très compétent socialement à l’école
primaire, pourra le devenir quand il fréquentera le collège.
Ou bien, il arrive qu’un adolescent ayant des difficultés relationnelles
en soit débarrassé à l’âge de 20 ans. D’autres personnes ont des difficultés relationnelles pendant toute leur
vie.
OL: Oui et c’est là
ma, question. On pourrait dire que la différence entre un mariage qui
fonctionne, dans lequel les époux restent ensemble, et vivent une expérience
positive, et un mariage florissant par exemple, est un ensemble de quelques
actions quotidiennes. Par exemple : exprimer de la gratitude, reconnaître
quand l’autre fait une bonne chose, « J’ai remarqué que tu avais passé
l’aspirateur, merci ». Ce genre de choses. Et je pense vraiment à des
situations de ce type, dans lesquelles un enseignement explicite, qui se
transforme en thérapie, pourrait être profitable.
JS: Vous avez entièrement raison. Ces petites choses, que
nous pouvons dire aux gens, et ils se demandent :« Oui mais bien sûr
pourquoi n’y ai-je pas pensé ? »
OL: Je suis curieux
de savoir, en gardant ceci à l’esprit, pourquoi vous considérez toujours comme une
perte de temps d’essayer d’enseigner ces petites choses qui pourraient
notablement améliorer la collaboration, parce qu’au fond, les relations sont
essentiellement de la collaboration.
JS: Vous le pouvez. Mais la quantité qui doit être
enseignée et la difficulté pour apprendre tout cela est probablement assez
mineure. En d’autres termes, il n’y a aucune charge de la mémoire de travail
qui y est associée. Vous dites à quelqu’un : « Tu devrais dire merci
plus souvent ». Je me souviens l’une de mes filles, quand elle était
jeune, ne souriait jamais à personne. Nous lui avons dit : « Les gens
pensent que tu es triste tout le temps. Essaie de sourire un peu plus souvent. »
Et cela a suffi.
OL: Je vois ce que
vous dites. Si vous voulez enseigner un cours sur ces habiletés, la moitié des
élèves diront : « Oh, c’est la chose la plus évidente que j’ai entendue. »
L’autre moitié n’est peut-être pas prête à l’apprendre. Ce genre de leçon
doivent intervenir au bon moment pour qu’ils en profitent. C’est mon
impression.
JS: Vous avez raison. Nous devons toujours nous souvenir
que toutes les habiletés suivent une progression normale et certaines personnes
pour des raisons génétiques, mettent plus de temps pour apprendre ; il est
mieux pour elles de leur enseigner quelque chose. J’ai une seule préoccupation à
cet égard : certains insistent tellement sur ces habiletés, au point de
les considérer comme plus importantes que tout le reste qui est enseigné à
l’école, pensant que leur maîtrise est indispensable à une vie réussie. Donc
ils disent : « Nous devons nous concentrer sur cela. » Je
m’inquiète que cela se fasse au détriment de l’enseignement des mathématiques
et autres domaines. Oui, ils ont peut-être besoin d’un peu d’aide, mais pas
plus. Parfois, le plus souvent, cette aide vient simplement de la famille, mais
certains enfants, malheureusement, ont des familles incapables de leur fournir
ce genre d’information.
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