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lundi 25 novembre 2013

Les enseignants épinglés par l'IGEN ... mais chut !

L’IGEN vient de sortir le bilan des programmes 2008 et une fuite l’a rendu public. J’ai lu ce document comme enseignante de cycle 3, par conséquent en ayant comme référence ma propre pratique et ma propre culture pédagogique ; je l’ai lu aussi comme praticienne de l’enseignement explicite et militante des procédures efficaces ; j’étais donc curieuse de connaître les tendances pédagogiques déplorées ou encouragées dans cette étude.

En substance, il dit ceci : si les programmes n’ont pas été appliqués correctement (une fois de plus) la faute est imputable à la lourdeur des programmes et aux enseignants « qui ont une insuffisante maîtrise des fondements disciplinaires et didactiques ». Ainsi qu’au manque d’accompagnement. Trois pistes d’interprétation mais une centaine de pages pour décrire ces enseignants inefficaces.

Ce qui me choque ici n’est pas le constat que certains enseignants échouent à faire réussir leurs élèves mais plutôt qu’on le leur reproche. Car enfin, s’ils n’ont ni les connaissances disciplinaires qu’ils sont supposés enseigner, ni les méthodes pédagogiques pour ce faire, à qui la faute ? Sûrement pas à eux. Il semblerait à lire ce rapport, que les enseignants ont été recrutés au hasard, dans la rue, sans aucune qualification. Le niveau des connaissances disciplinaires ne serait-il pas pris en compte lors du recrutement ? (« Quelques professeurs des écoles, même s’ils sont très rares parmi ceux qui ont été rencontrés, n’ont pas eux-mêmes une maîtrise optimale de la langue, surtout à l’écrit. La majorité d’entre eux manquent de connaissances, ne perçoivent pas la langue comme un système et n’ont pas la vue d’ensemble qui leur permettrait d’établir une hiérarchisation entre les notions à étudier, une progression, des relations fructueuses entre domaines.») Quant aux lacunes pédagogiques, elles ne devraient pas exister après une formation digne de ce nom.

Comme toujours, les enseignants endossent la responsabilité de tous les maux de l’éducation. A quand donc un rapport de l’IGEN sur la formation, sur les méthodes pédagogiques encouragées, sur l’idée d’efficacité, sur l’utilisation des données probantes, sur la formation continue ou initiale, laquelle, c'est de notoriété publique, propose encore et toujours les mêmes recettes menant au mur et ce, inlassablement depuis des décennies ? A ce niveau, l’obstination se fait pathologie.

Beaucoup des observations rapportées ici sont fondées mais en aucune manière, n’est posée la question du pourquoi. Quelques exemples pour illustrer :
 « Les prévisions de progressions – programmations annoncées ne correspondent pas exactement aux activités dont les cahiers portent la trace, surtout au cycle 3. » 
Pourquoi donc ? Parce que les enseignants sont devenus de bons petits soldats; à force de bureaucratiser la fonction, on a obtenu l’effet inverse de l’effet voulu : on coche des cases, on remplit des tableaux, on affiche des intentions, des déclarations, on signe des "contrats", des PPRE, des PPS... La lettre prime désormais sur l’esprit.
«Les photocopies abondent, avec les défauts déjà analysés : collages plus ou moins soignés sur des cahiers (ce qui occasionne une grande consommation de papier), qualité matérielle médiocre de supports uniformes ne permettant ni de percevoir la diversité des fonctions qui leur sont dévolues ni de hiérarchiser l’information. »
Depuis les lustres, on dénigre les manuels, on répète aux enseignants qu’il faut s’en détacher et se fabriquer ses outils personnels. Pourquoi ? On n’en sait rien. Qui peut prouver que les "brico-montages" de chacun sont plus efficaces qu’un manuel ? Le rapport souhaite donc un retour aux manuels, ce qui ne l’empêche pas non plus de critiquer leur utilisation quand il s’agit de s’en inspirer pour établir des progressions annuelles.
« Les inspecteurs regrettent le manque d’appropriation véritable et d’esprit critique face aux supports empruntés dont certains n’ont reçu aucune validation (sites de pairs par exemple). »
Pourquoi les sites d’enseignants fournissant des ressources et autres recettes sont-ils si nombreux et si utilisés ? Promenez-vous sur Internet et vous constaterez que leur fréquentation dépasse largement celle des espaces institutionnels. Pourquoi ? Parce que les sites institutionnels, véritables usines à gaz sont inutilisables. Parce que rares sont les circonscriptions qui mettent à disposition des enseignants des outils pratiques et en rapport avec la réalité, contrairement aux sites d’enseignants, même si par ailleurs, certains d’entre eux me semblent discutables sur le plan pédagogique. Dans quel autre métier est-on obligé de recourir ainsi à l’auto-formation entre pairs ? Quand on en arrive là, c’est peu dire que le métier manque de professionnalisme.
« Le trompe l’œil des pratiques inévitables (la langue étant partout) ne saurait masquer l’absence de travail explicite et structuré sur la langue ».
Autrement dit, on déplore l’absence de travail explicite et structuré. Mais au fait, qui et pendant combien de temps a-t-on persuadé les enseignants que la vérité était dans les méthodes de découverte ? Qu’il fallait travailler dans l’implicite, dans le jeu, sans jamais évoquer les objectifs d’apprentissage ? Personnellement, j’ai même rencontré un IEN qui déconseillait fortement de noter les titres des leçons au tableau avant de commencer. Et parce que les programmes de 2008 suggéraient un enseignement explicite et structuré, on a cru que « le dire c’est le faire » et que, du jour au lendemain, les enseignants allaient fournir un enseignement explicite, sans toutefois avoir suivi de formation à une pratique pédagogique qui ne s’invente pas, sans même qu’aucune information ne soit transmise par les circonscriptions. Nous conseillons un enseignement explicite et structuré, disaient les programmes 2008. Mais qui a expliqué ce que c’était aux enseignants, qui les a formés à cela ? Par conséquent, certains d’entre eux, voulant bien faire, ont fourni un enseignement qu’ils croyaient explicite mais qui n’était rien d’autre qu’un succédané d’enseignement traditionnel.Il est donc logique que le rapport fasse cette observation : « Parmi les inspecteurs rencontrés, certains évoquent les « ravages de l’enseignement explicite ou direct » et « la volonté de construire trop vite des automatismes ». Nous nous garderons d’affirmer que c’est une explication généralisable mais il est de fait qu’un certain nombre de maîtres ont pu recevoir des préconisations en ce sens avec plaisir et se réfugier dans des pratiques qui n’illustrent pas exactement ce qui fait l’efficacité de l’enseignement direct. » Bien évidemment, je souhaiterais que l’enseignement direct et explicite soit pratiqué, mais comment faire quand on ne sait pas ce que c’est, quand personne ne vous forme ni ne vous informe et que, pire encore, circule une désinformation de taille sur la question.

Enfin, voici une remarque récurrente : « Les maîtres ne disposent pas, pour la grande majorité d’entre eux, des outils conceptuels et didactiques pour mettre en œuvre les programmes tels qu’ils existent et même s’ils étaient allégés, et pour donner à leur enseignement toute l’efficacité attendue. »

J’arrête là cette sinistre énumération. Face à de telles observations sans doute justifiées, on s’attendrait à ce que les pistes proposées renvoient au recrutement et à la formation initiale et continue, aux pratiques pédagogiques efficaces afin que celles-ci soient enfin placées au centre. Il n’en est rien, il est suggéré par contre de : développer l’accompagnement des enseignants grâce au numérique (ah ! la magie du numérique !), à des sites et lieux d’échanges institutionnels, au travail en équipe (autre serpent de mer), à une rédaction plus précise des programmes, au rétablissement des évaluations nationales, à l’installation de liens explicites entre disciplines, à l’introduction du  numérique dans tous les champs disciplinaires, à la prise en compte du temps réel d’apprentissage[1]. Bref, rien de nouveau sous le soleil si ce n’est l’habituel bla-bla que les plus anciens d’entre nous connaissent bien. Voilà qui aidera sans aucun doute les enseignants qui n’ont ni les connaissances, ni la pédagogie, ni les outils conceptuels, à combler leurs lacunes et à proposer à leurs élèves un enseignement de qualité.

Au final, on comprend mieux pourquoi ce document n’a pas été mis en ligne sur la page IGEN du site ministériel Je ne peux résister à la tentation de reproduire ce qui se trouve en haut de cette page intitulée Publication de rapport des inspections générales : " Les rapports de l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale (IGEN) et de la rechercher (IGAENR) ont désormais vocation à être publiés. Cette transparence contribuera utilement au débat public sur la réussite éducative." Par conséquent, merci au site du Monde qui, en publiant ce document, a contribué à ladite transparence.

L'un des grands principes de l'Enseignement Explicite est d'attribuer l'échec de l'élève à une défaillance de l'enseignement. Alors, soyons fou et rêvons un peu. Si on transposait à la formation des enseignants l'adage de S.Engelman[2] ?

" Si les enseignants ne réussissent pas, alors, les formateurs n'ont pas enseigné."






[1] Au passage, sont comptées 22 heures d’enseignement sur 9 ½ journées, déduction faite des récréations, ce qui est faux. Sur 9 ½ journées les récréations représentent 2 h 15.
[2] Si l’élève n’a pas appris, alors le maître n’a pas enseigné.






samedi 23 novembre 2013

Enseignement explicite ≠ Enseignement traditionnel

       L’enseignement explicite est de plus en plus connu et utilisé mais il souffre encore d’être confondu, volontairement ou pas, avec l’enseignement traditionnel. Peut-être est-ce son appartenance à la famille instructionniste[1], comme l’enseignement traditionnel, qui pousse des personnes peu au fait des questions pédagogiques à une telle confusion. Ainsi, beaucoup de personnes se persuadent que le modelage explicite n’est rien d’autre qu’un exposé magistral. En quoi et pour qui cet amalgame est-il gênant ? Il est gênant car il est porteur d’une idée fausse ; la pédagogie a déjà son lot d’idées fausses et autres mythes, n’en rajoutons pas. Il est gênant pour les enseignants explicites qui se voient reprocher des façons de faire qui ne sont pas les leurs. Par contre, certains enseignants traditionnels pensent par ce biais redorer l’image écornée de leur pratique tout en s’accordant le mérite de la primauté. L’enseignement explicite est une pratique bien particulière, ses procédures ont été définies avec une grande précision et les quelques lignes ci-dessous vont montrer les principales différences et divergences par rapport à l’enseignement traditionnel.

Fondements
Comme son nom l’indique, l’enseignement traditionnel repose sur une tradition pédagogique : la façon d’enseigner en usage avant les années 60 et la mouvance de l’Éducation nouvelle. Il considère qu’une bonne maîtrise des savoirs enseignés suffit à l’enseignant pour transmettre efficacement. Il ne s’interroge pas sur la manière d’y parvenir. Aujourd’hui, les enseignants traditionnels refusent les apports des sciences de l’éducation ainsi que les données probantes fournies par la recherche.
L’enseignement explicite s’inscrit dans un courant pédagogique cherchant à avoir une pratique efficace auprès de tous les élèves. Il s’appuie sur les données probantes tirées d’expériences à grande échelle ainsi que sur les apports de la psychologie cognitive (architecture cognitive) et de la psychologie des apprentissages. Ses procédures ont été définies en tenant compte de ces apports puis elles ont été expérimentées dans les classes, avant d’être proposées aux enseignants.

Contenus enseignés
L’enseignement traditionnel est axé sur la transmission de savoirs que les élèves doivent restituer. En enseignement explicite, il s’agit de transmettre des savoirs mais aussi des habiletés, et des savoir-être. Tout cela s’enseigne selon la procédure explicite, y compris les comportements.
La gestion de classe en enseignement explicite est très importante, c’est le préalable à l’enseignement. Elle concerne les règles de classe mais aussi les comportements spécifiques attendus lors des divers moments de la journée, la gestion du temps, celle des conflits. L’enseignement explicite pratique abondamment le renforcement positif alors qu’en enseignement traditionnel, la gestion de classe se limite aux sanctions en cas de manquement aux règles.

Procédures de transmission
L’enseignant traditionnel fait une leçon magistrale ; il privilégie le monologue. Il s’agit d’un exposé suivi d’une phase d’exercisation. Il y a peu d’interaction avec les élèves. Il s’attache à transmettre les contenus alors que l’enseignant explicite se préoccupe de la compréhension et du maintien en mémoire de ces contenus par les élèves, c’est-à-dire de ce qu’il advient d’eux une fois la transmission effectuée. En enseignement traditionnel, la vérification de la compréhension a lieu après les exercices ou lors de la correction. En enseignement explicite, elle a lieu dès le modelage et tout au long de la pratique guidée. Voilà pourquoi le dialogue est privilégié : l’enseignant explicite pose de multiples questions aux élèves pour vérifier le niveau de compréhension. Ceux-ci ne sont jamais laissés seuls devant un problème tant qu’ils n’ont pas une pratique fluide. Le guidage de l’enseignant est fort au début puis s’amenuise peu à peu. Cela évite nombre d’échecs lors de la pratique autonome. L’enseignant traditionnel donne les exercices d’application directement après l’exposé magistral ; ce n’est qu’au moment de la correction des exercices qu’interviendront éventuellement les rétroactions concernant les erreurs commises. En enseignement explicite, la rétroaction ou correction raisonnée des erreurs intervient tout au long de la démarche afin d’éviter que les erreurs ne cristallisent dans l’esprit des élèves.
Le modelage explicite, utilise largement la méta-cognition, ce que ne fait pas l’exposé magistral dans la méthode traditionnelle. Il annonce les objectifs d’apprentissage, les tâches attendues, le déroulement ; lors des explications, l’enseignant « met un haut-parleur » sur sa pensée et oralise son raisonnement.  Sont mises à la disposition des élèves toutes stratégies pouvant aider aux apprentissages : comment utiliser sa mémoire, comment organiser sa pensée, comment réaliser certaines procédures spécifiques. Ainsi les élèves sont des acteurs conscients de leurs apprentissages, ils savent comment faire pour retenir, ou pour réaliser des tâches de plus en plus complexes.
L’enseignement traditionnel fait abstraction de l’alignement curriculaire (adéquation entre ce qui a été enseigné et ce qui est évalué). En enseignement explicite, on n’évalue jamais ce qui n’a pas été enseigné explicitement ; les élèves ne se trouvent donc jamais face à des questions pièges que seuls un petit nombre d’entre eux seraient capables de résoudre.
Chaque notion enseignée en pratique explicite fait l’objet d’une synthèse à la fin de la leçon (ce qui est à retenir) ce qui favorise la mémorisation. Habitude inexistante en enseignement traditionnel.

Élèves en difficultés et échec scolaire
L’attitude des deux écoles est diamétralement opposée. L’enseignant traditionnel va imputer l’échec à l’élève qui n’a pas compris. Dans le meilleur des cas, il proposera un redoublement à la fin de l’année scolaire. L’enseignant explicite assume la responsabilité de l’échec selon l’adage de S.Engelmann : « Si l’élève n’a pas appris, alors le maître n’a pas enseigné ». Ce n’est pas du misérabilisme mais une prise en compte de la réalité observable. Les raisons peuvent en être multiples, une explication insuffisante, des connaissances pré-requises non maîtrisées etc. L’enseignant explicite a donc cette habitude d’ajuster son enseignement en fonction de la réaction des élèves et ce de façon immédiate.
Les élèves en difficulté profitent particulièrement des procédures explicites qui mettent l’accent sur la compréhension, ne passent pas à la notion suivante quand la précédente n’est pas maîtrisée et qui s'appliquent à ne pas susciter de surcharge cognitive. Si malgré tout, des difficultés persistent, l’élève en difficulté se voit donner des explications supplémentaires, et un guidage plus intense. Il bénéficiera d’une pratique plus importante.

Ces différences présentées ici sommairement, on l’aura compris, ne sont pas anecdotiques : elles reposent sur des divergences fondamentales. Le caractère transmissif direct de l’enseignement explicite est insuffisant pour le confondre avec l’enseignement traditionnel. C’est une bonne chose de transmettre directement, sans passer par le biais des situations de découverte[2], mais encore faut-il s’interroger sur l’efficacité du comment. C’est le résultat de ce type d’interrogation qui a donné naissance à l’enseignement explicite.Ce petit jeu des différences, je l’espère, contribuera à une plus grande vigilance quant à l’usage souvent abusif du terme explicite, y compris dans les publicités de certaines maisons d’édition traditionnelles. Chaque enseignant étant libre de ses choix pédagogiques, il serait normal de les assumer entièrement plutôt que d’utiliser à tort et à travers des étiquettes dont on ignore ce qu’elles représentent. Non, l’enseignement explicite n’est pas de l’enseignement traditionnel.






[1] Famille pédagogique basée sur une transmission directe en opposition avec la transmission indirecte via la découverte.

mercredi 20 novembre 2013

Pathos et pédagogie



J’écrivais récemment « … il y a en éducation deux courants distincts : celui qui s’appuie sur les données probantes et a pour but l’efficacité de l’enseignement et celui qui s’appuie sur des choix idéologiques ou philosophiques pour déterminer les méthodes pédagogiques à privilégier. » Si ce constat reste vrai, il faudrait néanmoins le compléter. Les données probantes sont des preuves de l’efficacité de telle ou telle méthode. Elles tiennent lieu d’argumentaire. Les méthodes s’appuyant sur des choix idéologiques sans toutefois les assumer et ayant peu de données tangibles pour convaincre, usent et abusent du pathos pour persuader.

Il n’est pour s’en convaincre qu’à lire les espaces dédiés sur Internet. Quand on ne peut expliquer le bien-fondé d’une méthode par des arguments concrets, alors on essaie de persuader par les qualités personnelles des individus qui la pratiquent ; comment ne pas être ému par des enseignants parés des plus dignes vertus : on croise alors des maîtresses bienveillantes, attentives, protectrices, authentiques, passionnées, généreuses. Celles-ci relatent volontiers le quotidien de leur classe en prenant soin de mettre en évidence leurs propres qualités humaines, lesquelles conduisent leurs élèves à la béatitude scolaire.

Ce qui me heurte dans cette façon de procéder n’est pas tant la tendance démagogique en soi qui est un travers de l’humaine nature, mais plutôt qu’elle signe une déprofessionnalisation grandissante du métier. Quand on en est réduit à avancer les qualités personnelles d’un enseignant pour prouver qu’il réussit dans sa tâche, c’est bien le signe que ce métier n’en est pas un. Quand l’humanité et la générosité supplantent les résultats obtenus ou la validité des actions pédagogiques, c’est le signe que rien ne va plus. Un médecin bienveillant et charismatique qui pratiquerait encore la saignée serait-il un bon médecin ?

Ce faisant, je ne cherche pas à dire que les qualités humaines ne sont pas nécessaires pour enseigner, simplement je dis qu’elles ne sont pas à elles seules suffisantes. Ce qu’on demande aux enseignants, c’est d’enseigner avec succès. S’ils ne savent pas comment procéder efficacement, ils auront beau être parés de vertus personnelles dignes de tous les saints, ils ne parviendront à rien en termes de résultats, si ce n’est à berner les élèves, leurs parents et tous ceux qui auront la faiblesse de succomber au discours émotionnel.

Comme le soulignait très justement Clermont Gauthier en 2007, « S’il n’y a pas une forme d’expertise formalisée par la recherche, partagée par un groupe et reconnue sur le plan social, alors le travail qu’accomplit l’enseignant peut, à juste titre, être confié à n’importe quels autres acteurs dont les services et les conditions seront négociés à rabais. » C’est ce qui risque de se produire quand on met en avant les qualités humaines individuelles au lieu de focaliser sur les véritables compétences professionnelles, à savoir le choix des meilleures stratégies disponibles et dont les résultats ont été validés.

Le discours émotionnel, omniprésent depuis quelques décennies, plaît car il caresse la bête dans le sens du poil, il rassure les parents d’élèves ainsi persuadés que leurs progénitures seront heureuses et aimées dans ce lieu réputé hostile qu’est l’école. Il fait passer au second plan la réussite véritable des apprentissages et leur importance dans le cheminement des élèves. Il répand cette idée fausse selon laquelle une méthode est bonne dès lors qu’elle est « populaire ».


dimanche 17 novembre 2013

Oubli

Le blog Pragmatic Education propose un court article très clair faisant le point sur la question de la mémorisation. Cela nous permet de mieux comprendre pourquoi nos élèves semblent oublier ce qu’ils ont appris, une fois l’échéance passée, de l’examen ou de l’évaluation.

Voici un tableau simplifié d’après le  modèle de Robert Bjork. Il fait apparaître la qualité de la rétention et celle de la récupération des données. La qualité de mémorisation dit à quel point une chose a bien été apprise, c’est-à-dire bien stockée en MLT. La qualité de la récupération dit à quel point l’information est accessible.


Voilà qui explique pourquoi bachoter n’est pas efficace à long terme. Les informations accumulées lors du bachotage sont facilement accessibles (bonne capacité de récupération des données) c’est pourquoi le jour de l’examen, on y accède aisément. Mais le stockage en MLT a été mal fait (l’information a été mal apprise), cela explique que, quelques temps après, l’oubli s’est installé. Le bachotage a consisté à bourrer la MLT et maintenant tout est oublié.

Cela illustre par exemple les difficultés rencontrées avec une langue étrangère apprise et maîtrisée à un moment puis tombée dans l'oubli. Les informations sont là en MLT mais la capacité de récupération est mauvaise : on n’a plus accès aux données. Les informations sont maintenant enterrées. On les récupèrera assez facilement, par un séjour dans le pays par exemple.

Dans tous les cas, quel que soit le type d’information à maîtriser, cela se fait par deux voies indissociables : augmenter la qualité du stockage et celle du pouvoir de récupération. L’enseignement doit tenir compte de cela. On peut se reporter aux travaux de D.Willingham et à ses suggestions  comme par exemple, apprendre au-delà du point de maîtrise ou alors susciter un engagement actif au moment même de l’apprentissage (avoir l’intention de retenir l’information). Voir par exemple :



vendredi 15 novembre 2013

L'efficacité mesurée des manuels de lecture au CP

Lecture au CP : un effet-manuel considérable
Sous la responsabilité scientifique de Jérôme Deauvieau
Avec la collaboration de :
Odile Espinoza
Anne-Marie Bruno


 Cette étude, conduite par l’université de Versailles, porte sur l’efficacité des manuels de lecture en CP. Soulignons le côté innovant pour la recherche française de vouloir évaluer l’efficacité des manuels et par-delà, des méthodes qu’ils illustrent. Ce rapport mérite vraiment une lecture car d’une part, il montre toute l’importance du choix d’un manuel et par ailleurs il confirme ce que la recherche, essentiellement anglo-saxonne, dit depuis longtemps, à savoir l’efficacité d’un apprentissage systématique du code phono alphabétique.

Quelques observations de départ me semblent intéressantes à souligner : la méthode globale a disparu des salles de classe au profit d’un large éventail de méthodes mixtes dans lesquelles la place du décodage varie. Les méthodes syllabiques (ou alphabétiques) sont très minoritairement utilisées et ont toujours mauvaise réputation. Beaucoup d’enseignants ont tendance à vouloir bricoler eux-mêmes leur méthode. Mais ceci n’est pas spécifique à la lecture et  s’inscrit dans un mouvement général de dénigrement des manuels. Enfin, les chercheurs ont constaté la persistance de cette croyance selon laquelle l’efficacité tiendrait plus aux qualités personnelles et pédagogiques de l’enseignant qu’à la méthode utilisée.

Au passage, on notera la définition qui est donnée de la méthode syllabique ou « apprentissage du code graphophonologique, qui procède par déchiffrage et non par « leçons de sons », qui est progressif, systématique, et bannit toute mémorisation globale de mots (y compris les « mots-outils ») et toute lecture devinette, l’élève devant pouvoir déchiffrer tout ce qu’on lui propose à lire sans l’aide du maître »

La conclusion met l’accent sur les éléments suivants.
  • La réussite est proportionnelle à la part laissée à l’étude du code. Encore faut-il que ce code soit enseigné de manière systématique et progressive.
  • Le décodage n’est pas l’ennemi de l’accès au sens comme le soutient un mythe bien répandu. Le déchiffrage et la compréhension vont ensemble car avant d’avoir une chance de comprendre, il faut déchiffrer le mot ou la phrase. Mais cela n’est pas nouveau, Gough le disait déjà en 1986 dans un modèle qui faisait de la lecture le produit mathématique de la compréhension et du déchiffrage.
  • Le manuel le plus efficace avec des enfants de milieux défavorisés est à la fois très exigeant sur l’enseignement du code mais aussi sur la qualité des contenus littéraires.

 Voilà donc un rapport qui, s’il était largement diffusé en formation initiale et continue, pourrait sans doute aider les enseignants à exercer leur liberté pédagogique d’une manière plus éclairée. Cette liberté, à laquelle nous sommes tous très attachés, ne doit s’exercer que dans le cadre du rapport réel aux résultats et non pas dans celui, plus subjectif, d’une attractivité peu argumentée. Les manuels étudiés dans cette recherche sont certes énumérés ; il est à regretter cependant qu’on ne présente pas un tableau détaillé de chacun d’eux, avec leurs points positifs et leurs points négatifs ainsi que les résultats obtenus.


Les chercheurs en enseignement efficace se plaisent à dire que l’enseignant professionnel est celui qui est capable de faire ses choix pédagogiques guidé par le filtre du rapport  aux résultats établi par la recherche. Espérons qu’un tel document puisse contribuer à re-professionnaliser ce métier et à faire de l’efficacité le maître mot des pratiques individuelles, faisant ainsi tomber les nombreux mythes empêchant un enseignement réussi de la lecture. 


vendredi 1 novembre 2013

Métier d'enseignant: quel statut dans la société ?

Voici une étude décrivant le statut des enseignants dans divers pays du monde. J’en ai retenu quelques aspects.


https://www.varkeygemsfoundation.org/sites/default/files/documents/2013GlobalTeacherStatusIndex.pdf

Tout d’abord, un tableau présentant les pays en fonction de la considération du métier dans la société. Ce tableau range les pays du mieux classé au plus mal classé et propose aussi des informations sur le salaire et le rang dans la classification PISA. On ne peut pas établir un lien de corrélation entre le classement, le salaire et les résultats au PISA. On notera que la Chine, la Corée du Sud, la Turquie, l’Égypte et la Grèce considèrent mieux leurs enseignants que les autres pays. La France arrive en 11ème position (sur 21).

Pour une comparaison portant entre les enseignants du primaire, du secondaire et les chefs d’établissement, on souligne que la France, avec la Turquie, les États-Unis, et la Chine considèrent mieux les enseignants du primaire que les deux autres catégories. Cela fait figure d’exception.

A la question « Encourageriez-vous votre enfant à devenir enseignant ? »,  on note beaucoup de disparités entre les pays. Les plus fortes incitations viennent des pays en tête de liste dans la classification générale. Cela est normal : si le statut du métier est reconnu dans la société, cela incite les parents à vouloir orienter leurs enfants dans cette voie. Les plus faibles incitations viennent des pays dans lesquels le métier est peu considéré, comme par exemple, Israël, le Portugal, le Japon …

La perception du métier par rapport à d’autres professions. En France (mais aussi en Turquie, aux USA et au Brésil) on assimile le statut de l’enseignant à celui d’un bibliothécaire. La Chine est la  seule à lui donner un statut équivalent à celui de médecin.

Le respect des élèves envers leurs enseignants. La Chine, la Turquie et Singapour arrivent en tête ; ce sont les plus nombreux à penser que les élèves respectent les enseignants. La plupart des pays européens sont plus pessimistes quant à cette notion de respect, contrairement aux pays asiatiques.

La perception des salaires. Si la plupart des pays trouvent juste le salaire réel des enseignants par rapport à l’idée qu’ils s’en faisaient, la France fait exception (avec le Japon et les USA) où l’on pense que les salaires véritablement perçus sont bien trop élevés ; cet écart entre les salaires perçus et les salaires « mérités » oscille entre 6% et 55%. A ces exceptions près, la vaste majorité des pays trouverait juste une rémunération plus élevée, de 1 à 40%.

Le lien entre rémunération et résultats. Dans les 21 pays, plus de 59% des gens pensent que les enseignants devraient être payés en fonction des résultats des élèves. En Égypte, le taux s’élève à plus de 90%.  En Suisse, ils sont seulement 15% à le penser.  Les auteurs de l’étude sont surpris par la position de la Finlande et de la Chine deux pays favorables à ce système (PRP : Performance Related Pay ou rémunération selon résultats). La Chine, car ce principe est inattendu dans un système toujours communiste. La Finlande, car c’est déjà un pays qui a de bons résultats.

La qualité du système éducatif. Les 4 pays les plus satisfaits sont la Finlande, Singapour, la Suisse et le Japon. En règle générale, il est observé que les pays qui réussissent bien au PISA ont une meilleure estime de leur système éducatif.

Les enseignants et les syndicats. Dans les pays à forte histoire syndicale (France, Grèce, Japon, USA) on pense que les syndicats ont trop d’influence. Observation inverse dans les pays où le syndicalisme enseignant n’est pas puissant.

Concernant la France, rien n’est bien surprenant dans cet état des lieux. La déconsidération sociale du métier ne surprendra aucun d’entre nous. C’est un mouvement de fond qu’il sera bien difficile d’inverser sans une forte volonté politique, et une véritable réforme éducative et salariale. La seule observation étonnante à mon sens est celle qui montre qu’en France, les enseignants du primaire sont plus considérés que ceux du secondaire. Alors que depuis des années, le métier de professeur du secondaire était considéré comme plus prestigieux. Il serait intéressant de savoir à quel moment et en quelles circonstances s’est opéré ce renversement de la perception.