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lundi 30 décembre 2013

Bêtisier


La fin de l’année, traditionnellement, se prête aux bêtisiers. Dans les discussions autour de l’Enseignement Explicite, un thème revient systématiquement sous des formes multiples et variées. À elle seule, cette ineptie en vaut mille et possède l’intensité d’un trou noir.

En substance : l’Enseignement Explicite serait une dérive techniciste, un système scientiste propre à empêcher les enfants de penser, les transformant en rats de laboratoire, en perroquets dociles, pour enfin les dégoûter de l’école.

Mauvaise foi ou ignorance ? Un peu des deux sans aucun doute. Les personnes qui disent ainsi le bien et le mal en pédagogie n’ont jamais vu fonctionner de classe explicite, n’ont jamais vu d’élèves de ces classes et n’ont aucune idée des résultats qu’elles peuvent donner. Malheureusement pour elles, tout le monde sait aujourd’hui ce que donnent les méthodes constructivistes utilisées sans relâche depuis des décennies, en dépit des preuves maintenant connues de leur inefficacité.

Le scientisme. L’approche scientifique proposée par l’Enseignement Explicite est refusée, au prétexte que « le scientisme ne suffit pas à expliquer l’âme humaine ». Le but de l’enseignement n’est pas d’expliquer l’âme humaine mais de transmettre efficacement (c’est-à-dire en ayant pour but la maîtrise par les élèves des éléments transmis) un certain nombre de connaissances et habiletés.  Le courant hostile aux études scientifiques en éducation ne veut pas entendre parler de neuro sciences, de psychologie cognitive, de méga-analyses, d’observations de terrain. Pour lui, enseigner serait plutôt un art, voire un artisanat, en tout cas une activité au-delà de toute analyse, reposant sur une inspiration personnelle ou une idéologie dans laquelle les données mesurées n’ont pas leur place.

Quels sont donc les rapports de l’enseignement et de la science ? À mon sens, l’enseignement n’est pas une activité scientifique, mais il s’appuie sur la science et entretient avec elle des liens privilégiés. La science inspire la pratique enseignante (ex : les découvertes sur l’architecture cognitive ont des implications directes dans la structure des leçons) et elle la valide (en observant les résultats et l’efficacité). 

Bien évidemment, il y a des limites à l’utilisation de la science en enseignement qu’il s’agisse du  possible décalage entre les résultats de laboratoire et ceux obtenus en classe, ou de la frilosité des enseignants et des décideurs sur les expériences à grande échelle ou encore la possible illusion que l’utilisation de la science conduise à un seul modèle efficace. L’Enseignement Explicite est tout-à-fait conscient de ces restrictions. C’est pourquoi, il est mensonger de soutenir qu’il est une approche exclusiviste : au contraire, il se situe dans un courant plus général de recherche des pratiques efficaces. On ne trouvera nulle part que l’Enseignement Explicite est la seule voie vers l’efficacité. Il en est une parmi d’autres.

Cela étant, il y a deux principes de base sur lesquels l’enseignement doit s’appuyer : les principes incontournables (ex : l’enseignement doit s’accompagner d’une pratique), et les principes facultatifs dont l’efficacité est avérée et qui sont proposés aux enseignants (ex : travail en petits groupes, pratique chorale …). On ne dira jamais toute l’importance de ces fondements. L’enseignant, une fois qu’il les connaît et les maîtrise, est alors capable de construire sa classe dans une perspective d’efficacité. Les procédures explicites ont été suffisamment utilisées, vérifiées, étudiées pour que l’on puisse affirmer haut et clair que les élèves qui en bénéficient sont tout sauf des rats de laboratoire. Par contre, il n’en est pas de même pour les malheureux enfants qui subissent des méthodes constructivistes dont aucune étude et aucune mesure n’a montré l’efficacité. Qui sont les cobayes dans l’histoire ?[1]

La pensée. L’argument sur la pensée est fallacieux : il affirme que l’information ou l’habileté transmise directement va bloquer la pensée personnelle de l’enfant, car ce fait provient d’un tiers. Et que par conséquent, le contenu de son cerveau ne sera pas le sien. Tout comme si le cerveau de l’élève était une outre que l’on pourrait remplir à dessein afin que l’élève soit formaté pour recracher de temps en temps ce qu’il aurait ingurgité.  C’est méconnaître le fonctionnement du cerveau et ce qu’est l’acte de penser. 

La pensée, la pensée critique ne se construisent pas sur du vide, mais à partir d’informations contenues en mémoire. Il y a consensus sur la question en psychologie cognitive. La pensée critique s’installe sur du contenu solidement ancré et récupérable à tout moment. Et pour cela, il faut installer en mémoire à long terme ce contenu : pour cela, l’élève doit le comprendre puis le pratiquer régulièrement. 

On a fait croire aux enseignants que l’esprit critique et la pensée autonome pouvaient s’installer en l’absence de contenus ; c’est ainsi par exemple, que l’on prétend faire étudier à des élèves du primaire des documents historiques, alors qu’ils n’ont aucune connaissance pour le faire, même pas le cadre chronologique. L’Enseignement Explicite installe les contenus requis, les fait pratiquer, puis les fait utiliser dans des contextes variés ; c’est ainsi que se forme la pensée autonome.  Prétendre faire acquérir une pensée critique à des élèves qui n’ont pas les connaissances indispensables n’est autre qu’une mystification et du formatage des esprits.

La motivation. Quant à la motivation, c’est un serpent de mer qui plaît beaucoup en général. On vous explique que l’école et en particulier, l’école instructionniste, est ennuyeuse car pas assez ludique et trop éloignée des centres d’intérêt des élèves. Et que pour y remédier, il faut introduire du jeu, de la fantaisie, du plaisir, partir des désirs des enfants, du « vécu » comme on disait encore il y a une trentaine d’années. 

Une fois de plus, nous sommes en plein mythe. On part du principe (faux) que l’enfant fera mieux (sera motivé) ce qu’il a envie de faire naturellement. Déjà, il faudrait que tous aient les mêmes envies au même moment. Mais surtout, l’école n’est pas une chose naturelle, ce qu’on y apprend (la culture)  ne fait pas partie des apprentissages naturels. Par conséquent, c’est à l’enseignant de créer une motivation pour ses élèves. Tout enfant a un désir de connaître, de faire et de réussir et c’est à l’enseignant de l'initier au plaisir d’apprendre et surtout de réussir.

Il est évident que lorsqu’un élève est mis d’emblée dans une situation de complexité qu’il n’a pas les moyens de résoudre, il connaît l’échec et par suite la démotivation. C’est ainsi que faute d’avoir des classes actives (cognitivement) on obtient des classes agitées, rien de plus. En Enseignement Explicite, la motivation vient de la combinaison des efforts déployés avec la réussite obtenue. Aucun enfant ne rejette une tâche quand il y réussit, et a conscience de ses progrès. C’est ainsi que naît le plaisir d’apprendre.


  




[1]Ne devrait-on pas plutôt dire que  « Le constructivisme considère les enfants comme des rats de laboratoire cherchant leur chemin dans un labyrinthe complexe, avec des enseignants qui de temps en temps, les aiguillonnent. » Voir ici http://explicitementvotre.blogspot.fr/2013/10/des-eleves-seaux.html

samedi 28 décembre 2013

Les apports de John Hattie en enseignement


Pour tous ceux qui s’intéressent à l’enseignement explicite, ou à l’enseignement basé sur les données probantes (EBP), on ne présente plus John Hattie. Pour les autres, ils pourront se référer à cette présentation  et comprendront vite toute l’importance de ce chercheur sur la question des données probantes en enseignement.

Son ouvrage, Visible Learning, fruit de ses travaux sur une quinzaine d’années, présente une synthèse de méta-analyses : 50 000 études et des millions d’élèves concernés. L’ouvrage n’a pas pour  but de noyer le lecteur sous un flot de données incompréhensibles aux non-initiés, il délivre des conclusions qui s’appuient sur des données mesurées et mesurables. Le but n’est pas de critiquer les enseignants et de constater à quel point ils sont mauvais mais simplement de mettre en évidence le besoin d’un outil pour mesurer ce qui marche le mieux dans l’enseignement, afin de guider vers l’excellence. John Hattie se plaît à répéter que la question la plus importante que doit se poser un enseignant est celle qui consiste à se demander quel impact son action a eu sur les apprentissages.

Je me propose non de résumer cet ouvrage très complet, mais simplement de lister les idées phares qu’il contient afin que tout un chacun puisse en évaluer l’apport dans la marche vers un enseignement efficace.
  •  Nous avons besoin d’un baromètre de ce qui marche le mieux, et un tel baromètre doit pouvoir établir un guide de ce qui est excellent. C’est l’objectif de Visible Learning que de construire ce baromètre.
  •  L’ouvrage propose un modèle d’enseignement et d’apprentissage efficaces basé sur des milliers d’études. C’est le paradigme de l’orientation pédagogique basée sur les preuves.
  • Une grande partie de l’ouvrage raconte la puissance de l’enseignement direct, mettant en évidence l’importance du feedback pour informer l’enseignant du succès ou de l’échec de sa procédure. Autrement dit de la nature de son impact sur l’apprentissage de l’élève.
  • On parle d’enseignement et l’apprentissage visibles quand, ensemble, l’enseignant et l’élève cherchent à établir si et dans quelles mesures, l’objectif d’apprentissage a été atteint.
  •   L’ouvrage parle du pouvoir d’enseignants passionnés et chevronnés sur l’engagement cognitif des élèves et sur les contenus enseignés. Le guidage, l’évaluation des progrès mènent à la puissance du feedback de l’enseignant vers les élèves mais aussi des élèves entre eux.
  •  L’enseignement efficace se produit quand l’enseignant décide des objectifs d’apprentissage, des critères de réussite, les rend transparents aux élèves, fait des démonstrations par modelage, évalue le degré de compréhension de ce qui a été expliqué par une vérification régulière, et par une synthèse de ce qui a été enseigné lors de la phase d’objectivation.
  • Trop souvent, l’enseignement direct est décrit comme mauvais, alors que l’enseignement constructiviste serait bon. Cette affirmation est fausse et en complète opposition avec les données relatives à un enseignement et un apprentissage efficaces.
  • Ces résultats montrent qu’un enseignement guidé est bien plus efficace qu’un enseignement peu  ou pas guidé. Le rejet de l’enseignement direct est typique d’une profession immature, qui manque cruellement de solides bases scientifiques et rejette les données probantes, leur préférant les opinions et l’idéologie.

Pour terminer, quelques implications pratiques pour l’enseignant en recherche d’efficacité.
  • Donner de multiples occasions de pratique.
  •  Établir un lien visible entre objectif d’apprentissage, critères de succès, activités, ressources.
  •  Inciter à la pratique volontaire et à la concentration.
  •  Enseigner aux élèves comment demander, comprendre et utiliser le feedback.
  • Reconnaître l’importance du feedback entre élèves et l’enseigner.
  • Guider les progrès, régulièrement, toute l’année.
  •  Évaluer l’impact de l’enseignement, les progrès des élèves et faire son possible pour maximiser l’impact.
  •  Être directif.
  •  Rendre clairs les objectifs d’apprentissage et les critères de succès jusqu’à ce qu’ils soient explicitement compris par tous.
  • Avoir conscience que ce sont  les efforts des élèves, et non leur degré d’intérêt dans l’activité, qui  sont importants.
  • Être attentif à ce que chaque élève pense et sait.
  • Connaître la quantité et la qualité de feedback nécessaire dans le processus d’apprentissage.
  • Développer une bonne connaissance du contenu afin de fournir un feedback utile.
  •  Se souvenir du message fondamental de la recherche : connaître l’impact de ses actions.
 L’enseignement direct et efficace tel qu’il est décrit par J.Hattie est l’Enseignement Explicite tel qu’il a été mis en forme et décrit par B.Rosenshine. Voilà donc une étude de plus, et non des moindres, prouvant toute l’efficacité de cette pratique.  Si l’Enseignement Explicite reste encore une pratique marginale ici en France, cela vient du fait que les données probantes n’ont toujours pas leur place en pédagogie ; les « éducrates » qui disent le vrai du faux en haut lieu n’en veulent pas et s’appliquent à formater l’esprit des exécutants que sont les enseignants, en diffusant un certain nombre de légendes telles que, par exemple, croire que l’Enseignement Explicite serait une procédure nuisible car « elle empêcherait l’enfant de penser ». Force est de constater qu’il y a encore du chemin à faire pour que soit admise l’idée d’un enseignement direct, explicite et structuré et pour que nous passions enfin d’un âge obscur des croyances pédagogiques à celui plus éclairé des données probantes.

Pour en savoir plus sur John Hattie :


samedi 14 décembre 2013

La compréhension en lecture: nouvelles données

 Par : Edouard Gentaz, Liliane Sprenger-Charolles, Anne Theurel, Pascale Colé.

« Décodage, compréhension orale, vocabulaire : trois compétences clés pour favoriser l'apprentissage de la lecture des enfants de CP scolarisés en ZEP ».

Voici de nouvelles données probantes relatives à l’enseignement de la lecture. Il s’agit d’une étude réalisée par des chercheurs (Edouard Gentaz, Anne Theurel, Liliane Sprengler-Charolles, Pascale Colé) du CNRS et des universités de Grenoble, Paris Descartes et d'Aix-Marseille ; l’objectif était d’identifier les compétences à développer en vue d’améliorer les performances en lecture chez des enfants de CP en ZEP.

Il existe une relation complexe entre trois compétences fondamentales dans la compréhension de l’écrit (décoder, comprendre l’oral, vocabulaire). Cette relation dépend également de trois autres facteurs : la transparence orthographique, le niveau de l’élève et son statut socio-économique. Cette étude s’est penchée sur la contribution relative des prédicteurs de la compréhension dans un procédé longitudinal, du début à la fin de l’année de CP. 394 élèves de ZEP ont été concernés.

Conclusions :
Pour les élèves concernés, sur les nombreux facteurs influents dans la compréhension (qui représentent un total de 100%), les compétences de décodage sont 34%, la compréhension d’énoncés oraux 8.9% et le vocabulaire 4.5%. Les conséquences pédagogiques sont qu’une fois de plus, on nous dit et montre toute l’importance de la maîtrise d'un décodage juste, rapide, automatisé, ce qui ne doit pas faire oublier l’importance conjointe de l’oral et du lexique. Les chercheurs en concluent que cela pourrait aider les enseignants à repérer précocement les enfants à risques et à personnaliser l’aide qu’ils pourraient leur fournir.
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Cela fait quelques années que les études relatives à la lecture disent toute la même chose : l’importance de la maîtrise du code. Il serait peut-être temps, après ces années d’errements pédagogiques, de prendre ceci pour argent comptant et de voir enfin se généraliser dans les classes, des méthodes de lecture utilisant une approche explicite et efficace pour l’enseignement du code. Il serait peut-être temps que les données probantes soient diffusées auprès des enseignants et transformées en orientations pédagogiques. Il serait peut-être temps que notre ministère mette en application cette phrase de Vincent Peillon : " La pédagogie doit être attentive aux travaux de la recherche." Chiche ?





dimanche 8 décembre 2013

La violence à l'école : point de vue de Michel Onfray

Voici un point de vue très lucide sur la violence à l’école. Michel Onfray met en évidence les failles du système qui volette d’observatoires en cellules de réflexion depuis des années, sans jamais proposer de solutions réelles. Selon lui, il faudrait effectuer une resocialisation des élèves posant problème. Il évite le piège consistant à croire que le métier d’enseignant doit être revu afin que les professeurs soient capables de « gérer les situations ». Il les décrit comme « mal payés, déconsidérés, bien formés, sur-formés, et non soutenus par leur hiérarchie »en cas de problèmes. M.Onfray a cette capacité de parler sans langue de bois et sans pour autant tomber dans le catéchisme républicain rêvant de ressusciter les hussards noirs de la république. Enfin, un discours qui va dans le bon sens.





samedi 7 décembre 2013

A l'est, quoi de nouveau ?

Le PISA nouveau est arrivé, une fois de plus. Une fois de plus, l’école française révèle ses faiblesses au monde. Cela fait partie maintenant du train-train. D’aucuns se réjouissent d’avoir prédit la chose (quelle clairvoyance !) d’autres se délectent du recul de la Finlande, d’autres enfin, ressassent leurs vieilles rancunes contre la disparition de l’école d’antan, celle qui sentait bon la férule et l’encre violette. Et puis, il y a le ministre de l’Éducation pour qui cette annonce est une aubaine, lui permettant de justifier le maintien de sa réforme à un moment où il a grand besoin d’arguments. Les résultats sont mauvais, qu’à cela ne tienne, la révolution de l’école est en marche ! 

La montée fulgurante des pays asiatiques va-t-elle créer un nouveau modèle, un nouvel eldorado pédagogique propre à faire rêver toute une nation ? Comme ce fut le cas pour la Finlande. Je ne le pense pas car la culture éducative de ces pays émergents est à l’opposé de celle en vigueur chez nous. Elle véhicule la culture de l’effort et demande beaucoup aux élèves ; les méthodes pédagogiques sont transmissives. L’instruction a une grande importance aussi bien pour les Etats que pour les parents d’élèves qui mettent un point d’honneur à ce que leurs enfants réussissent à l’école. Chez nous, au contraire, on propage des légendes pédagogiques : on apprend plus et mieux sans effort, par le jeu, la transmission directe et explicite rend les enfants idiots, il faut reproduire les apprentissages naturels pour les connaissances secondaires, la recherche sur l’enseignement efficace n’est qu’une mystification etc… et bien d’autres encore.

On comprendra vite pourquoi le modèle d’enseignement asiatique ne sera jamais à la mode ici. D’ailleurs, les journalistes l’ont bien compris et au cas où quelques attardés seraient tentés d’y trouver des pistes, ils s’empressent de montrer à quel point les enfants asiatiques sont malheureux et à quel point leurs parents ainsi que leurs enseignants sont cruels : cours du soir, cours particuliers à la maison, rythmes scolaires effrénés.

Une chose est sûre néanmoins, c’est que le système asiatique est beaucoup moins élitiste que notre système français, qui lui, s’autoproclame depuis des lustres réducteur d’inégalités et qui investit des millions d’euros dans les ZEP, avec le succès que le monde entier connaît aujourd’hui. Les déclarations d’intention et les financements ne changeront rien dans les performances des élèves défavorisés tant que seront maintenues les mêmes méthodes pédagogiques inefficaces. On n’a plus l’excuse à l’heure actuelle de ne pas avoir de données concernant les pratiques pédagogiques efficaces, au contraire, il y en a pléthore. La recherche, les connaissances en psychologie cognitive, les expérimentations à large échelle, tout cela dessine un profil des pédagogies efficaces et de celles qui ne le sont pas. Les pédagogies de découverte n’en font pas partie. Néanmoins, depuis plusieurs décennies on n’en sort pas, on s’entête dans l’échec. Cerise sur le gâteau : les enfants d’enseignants, les enfants des élites, eux, s’en sortent mieux. Ces enfants-là ont la chance d’avoir accès à la culture et à l’instruction en dehors de l’école et des parents qui peuvent pallier les déficiences du système éducatif. Quant à ceux qui n’ont que l’école pour apprendre, ils sont laissés de côté. Les faits sont parlants, c’est un système élitiste.

Bien sûr, notre culture est à des lieues de la culture asiatique et vouloir imiter ces systèmes-là serait une aberration. Une école s’inscrit dans une culture et dans des mentalités. Personne n’imaginerait laisser nos élèves 8 ou 10 heures par jour sur les bancs de l’école, avant les cours du soir. D’ailleurs, ce n’est pas nécessaire quand les pratiques pédagogiques sont efficaces. L’enseignement explicite par exemple, porte ses fruits sans qu’il soit nécessaire de  faire des élèves des écoliers à l’asiatique ; simplement, ses procédures favorisent des apprentissages réussis, pour tous, ce qui permet un gain de temps et de résultats. 

Si l’on croise le PISA 2012 avec le rapport de l’IGEN rendu public récemment, lequel met l’accent sur l’inefficacité du système, on se dit qu’il serait grand temps d’abandonner les choix idéologiques en pédagogie pour se tourner vers des pratiques reconnues efficaces et de former véritablement les futurs enseignants à cela. Après la finlandisation, à quand l’« asiatisation » des esprits au sens d’une véritable recherche d’efficacité ?




mercredi 4 décembre 2013

Moins d’élèves : plus d’efficacité ?


C’est un peu le serpent de mer qui resurgit quand rien ne va plus. Et si on diminuait la taille des classes ? Voilà une idée couramment admise : on enseigne mieux si l’on a moins d’élèves. Aussi répandue chez les enseignants que chez les parents d’élèves. Elle est dictée par le bon sens. Les élèves ayant aujourd’hui beaucoup de problèmes de comportement, il est certain qu’une classe chargée est beaucoup plus difficile à gérer qu’une classe allégée. Il en va du confort de tous, élèves comme enseignants, donc des conditions dans lesquelles vont se faire les apprentissages et c’est loin d’être une moindre chose.

John Hattie s’est posé la question tout au long de ses recherches, ce petit clip présente ses conclusions, surprenantes car elles cassent l’argument du nombre d’élèves dans les performances scolaires.  Voici ce qu’il dit en résumé :


Il existe un effet lorsque l’on baisse les effectifs des classes, en passant par exemple de 30 à 15 élèves, cela est avéré. Mais l’ampleur de l’effet est minuscule. La question que J.Hattie s’est posée est : comment se fait-il que cet effet soit si petit ? Il a passé de nombreuses années avec ses collègues à tenter de répondre à cette question. Voici ce qu’ils ont observé : si vous prenez un professeur dans une classe de 30 élèves et que vous le mettez dans une classe de 15, sans qu’il change sa façon de faire, alors il est normal que l’effet soit négligeable. De fait, c’est ce qui a été constaté dans toutes les expériences de ce type. J.Hattie a été sollicité par le ministère de l’Éducation de Hong Kong pour donner son avis sur la question : le gouvernement voulait, pour des raisons politiques, réduire la taille des classes; J.Hattie leur a donné ses conclusions après leur avoir fait remarqué qu’ils étaient déjà en tête des classements, avec des classes à 60 élèves et que par conséquent il ne voyait pas l’intérêt d’un changement. Ils ont tout de même réduit les effectifs et le résultat s’est avéré à l’image de ce qui avait été prévu, il a été minuscule. La position de J.Hattie sur la question est claire : si nous voulons changer la taille des classes, il faut d’abord changer la façon d’enseigner. Il a vu des classes passer de 30 à 15 et être nettement meilleures quand les enseignants avaient changé leur façon de faire. Il est conscient que les enseignants se vexent devant ce type de conclusion car ils sont persuadés de savoir aussi enseigner à des classes de 15, selon l’idée que « qui peut le plus peut le moins ». Pour J.Hattie, l’hypothèse selon laquelle on peut enseigner aussi efficacement à des grands groupes qu’à des petits groupes sans rien changer, n’a jamais été démontrée.

Les études de J.Hattie et de son équipe sont certainement sérieuses et convaincantes, néanmoins la conclusion me dérange un peu par son côté maximaliste. En effet, imaginons passer d’une classe de 30 à une classe de 15 ; tout enseignant dans cette heureuse situation changera forcément sa façon de faire, même inconsciemment. Je parle d’expérience pour être passée d’une classe de 29 à une classe de 18. C’est toute l’atmosphère de la classe qui change, ce sont les rapports enseignant/ élèves, élèves / élèves, c’est le niveau sonore, c’est le niveau d’attention, de concentration ; en un mot c’est toute la gestion de classe qui se transforme ainsi que la gestion des élèves en difficulté et des meilleurs élèves… Par conséquent, je suis d’accord pour dire qu’un changement d’effectif entraîne un changement de pratique. Et c’est bien là, comme le dit J.Hattie, que réside l’ampleur de l’effet taille des classes. J.Hattie cite à titre d’exemple cette enseignante de Hong Kong qui avait une classe de 60 élèves et était obligée de s’adresser à eux par micros interposés, laquelle a continué à agir ainsi lorsque sa classe s’est réduite à 30 ! On a du mal à y croire…

Mais il y a aussi cette étude de Thomas Piketty (EHESS) et Mathieu Valdenaire (EHESS), L’impact de la taille des classes sur la réussite scolaire dans les écoles, collèges et lycées français. « Notre méthode nous permet d’identifier des effets statistiquement significatifs de la taille des classes pour les trois niveaux d’enseignement, mais ces effets apparaissent quantitativement nettement plus importants au niveau des écoles primaires qu’à celui des collèges et surtout des lycées.  Pour ce qui concerne le primaire, nous mettons en évidence l’existence d’un impact positif important des tailles de classes réduites sur la réussite scolaire. » L’étude ne se penche pas sur les pratiques des enseignants quand les effectifs changent. La conclusion de ce travail indique la nécessité de confirmer ces premiers résultats par d’autres mesures.

Personnellement, je retiens, une fois de plus, l’importance soulignée de l’école primaire. Et je ne peux m’empêcher de la mettre en rapport avec le manque d’intérêt qu’elle continue à susciter de la part des instances gouvernantes. Quand viendra donc le moment où un ministre aura l’intelligence de réaliser, autrement que par du verbe, que dans l’édifice éducatif, l’école primaire constitue les fondations. Faut-il être expert en architecture pour comprendre que l’on ne construit rien de durable sur des fondations bancales ?


Enfin, sur une diminution de la taille des classes, je suis persuadée que tout le monde aurait à y gagner, à commencer par les enfants. L’expérience m’a montré qu’ils étaient beaucoup plus calmes et réceptifs en petits groupes, moins fatigués le soir à la fin de la classe. Et considérant les nouveaux « rythmes d’enfer » qui les attendent à la rentrée prochaine, une baisse généralisée des effectifs, y compris dans les écoles hors ZEP, serait peut-être un moyen terme pour en réduire les effets nocifs. On peut rêver, non ?


lundi 25 novembre 2013

Les enseignants épinglés par l'IGEN ... mais chut !

L’IGEN vient de sortir le bilan des programmes 2008 et une fuite l’a rendu public. J’ai lu ce document comme enseignante de cycle 3, par conséquent en ayant comme référence ma propre pratique et ma propre culture pédagogique ; je l’ai lu aussi comme praticienne de l’enseignement explicite et militante des procédures efficaces ; j’étais donc curieuse de connaître les tendances pédagogiques déplorées ou encouragées dans cette étude.

En substance, il dit ceci : si les programmes n’ont pas été appliqués correctement (une fois de plus) la faute est imputable à la lourdeur des programmes et aux enseignants « qui ont une insuffisante maîtrise des fondements disciplinaires et didactiques ». Ainsi qu’au manque d’accompagnement. Trois pistes d’interprétation mais une centaine de pages pour décrire ces enseignants inefficaces.

Ce qui me choque ici n’est pas le constat que certains enseignants échouent à faire réussir leurs élèves mais plutôt qu’on le leur reproche. Car enfin, s’ils n’ont ni les connaissances disciplinaires qu’ils sont supposés enseigner, ni les méthodes pédagogiques pour ce faire, à qui la faute ? Sûrement pas à eux. Il semblerait à lire ce rapport, que les enseignants ont été recrutés au hasard, dans la rue, sans aucune qualification. Le niveau des connaissances disciplinaires ne serait-il pas pris en compte lors du recrutement ? (« Quelques professeurs des écoles, même s’ils sont très rares parmi ceux qui ont été rencontrés, n’ont pas eux-mêmes une maîtrise optimale de la langue, surtout à l’écrit. La majorité d’entre eux manquent de connaissances, ne perçoivent pas la langue comme un système et n’ont pas la vue d’ensemble qui leur permettrait d’établir une hiérarchisation entre les notions à étudier, une progression, des relations fructueuses entre domaines.») Quant aux lacunes pédagogiques, elles ne devraient pas exister après une formation digne de ce nom.

Comme toujours, les enseignants endossent la responsabilité de tous les maux de l’éducation. A quand donc un rapport de l’IGEN sur la formation, sur les méthodes pédagogiques encouragées, sur l’idée d’efficacité, sur l’utilisation des données probantes, sur la formation continue ou initiale, laquelle, c'est de notoriété publique, propose encore et toujours les mêmes recettes menant au mur et ce, inlassablement depuis des décennies ? A ce niveau, l’obstination se fait pathologie.

Beaucoup des observations rapportées ici sont fondées mais en aucune manière, n’est posée la question du pourquoi. Quelques exemples pour illustrer :
 « Les prévisions de progressions – programmations annoncées ne correspondent pas exactement aux activités dont les cahiers portent la trace, surtout au cycle 3. » 
Pourquoi donc ? Parce que les enseignants sont devenus de bons petits soldats; à force de bureaucratiser la fonction, on a obtenu l’effet inverse de l’effet voulu : on coche des cases, on remplit des tableaux, on affiche des intentions, des déclarations, on signe des "contrats", des PPRE, des PPS... La lettre prime désormais sur l’esprit.
«Les photocopies abondent, avec les défauts déjà analysés : collages plus ou moins soignés sur des cahiers (ce qui occasionne une grande consommation de papier), qualité matérielle médiocre de supports uniformes ne permettant ni de percevoir la diversité des fonctions qui leur sont dévolues ni de hiérarchiser l’information. »
Depuis les lustres, on dénigre les manuels, on répète aux enseignants qu’il faut s’en détacher et se fabriquer ses outils personnels. Pourquoi ? On n’en sait rien. Qui peut prouver que les "brico-montages" de chacun sont plus efficaces qu’un manuel ? Le rapport souhaite donc un retour aux manuels, ce qui ne l’empêche pas non plus de critiquer leur utilisation quand il s’agit de s’en inspirer pour établir des progressions annuelles.
« Les inspecteurs regrettent le manque d’appropriation véritable et d’esprit critique face aux supports empruntés dont certains n’ont reçu aucune validation (sites de pairs par exemple). »
Pourquoi les sites d’enseignants fournissant des ressources et autres recettes sont-ils si nombreux et si utilisés ? Promenez-vous sur Internet et vous constaterez que leur fréquentation dépasse largement celle des espaces institutionnels. Pourquoi ? Parce que les sites institutionnels, véritables usines à gaz sont inutilisables. Parce que rares sont les circonscriptions qui mettent à disposition des enseignants des outils pratiques et en rapport avec la réalité, contrairement aux sites d’enseignants, même si par ailleurs, certains d’entre eux me semblent discutables sur le plan pédagogique. Dans quel autre métier est-on obligé de recourir ainsi à l’auto-formation entre pairs ? Quand on en arrive là, c’est peu dire que le métier manque de professionnalisme.
« Le trompe l’œil des pratiques inévitables (la langue étant partout) ne saurait masquer l’absence de travail explicite et structuré sur la langue ».
Autrement dit, on déplore l’absence de travail explicite et structuré. Mais au fait, qui et pendant combien de temps a-t-on persuadé les enseignants que la vérité était dans les méthodes de découverte ? Qu’il fallait travailler dans l’implicite, dans le jeu, sans jamais évoquer les objectifs d’apprentissage ? Personnellement, j’ai même rencontré un IEN qui déconseillait fortement de noter les titres des leçons au tableau avant de commencer. Et parce que les programmes de 2008 suggéraient un enseignement explicite et structuré, on a cru que « le dire c’est le faire » et que, du jour au lendemain, les enseignants allaient fournir un enseignement explicite, sans toutefois avoir suivi de formation à une pratique pédagogique qui ne s’invente pas, sans même qu’aucune information ne soit transmise par les circonscriptions. Nous conseillons un enseignement explicite et structuré, disaient les programmes 2008. Mais qui a expliqué ce que c’était aux enseignants, qui les a formés à cela ? Par conséquent, certains d’entre eux, voulant bien faire, ont fourni un enseignement qu’ils croyaient explicite mais qui n’était rien d’autre qu’un succédané d’enseignement traditionnel.Il est donc logique que le rapport fasse cette observation : « Parmi les inspecteurs rencontrés, certains évoquent les « ravages de l’enseignement explicite ou direct » et « la volonté de construire trop vite des automatismes ». Nous nous garderons d’affirmer que c’est une explication généralisable mais il est de fait qu’un certain nombre de maîtres ont pu recevoir des préconisations en ce sens avec plaisir et se réfugier dans des pratiques qui n’illustrent pas exactement ce qui fait l’efficacité de l’enseignement direct. » Bien évidemment, je souhaiterais que l’enseignement direct et explicite soit pratiqué, mais comment faire quand on ne sait pas ce que c’est, quand personne ne vous forme ni ne vous informe et que, pire encore, circule une désinformation de taille sur la question.

Enfin, voici une remarque récurrente : « Les maîtres ne disposent pas, pour la grande majorité d’entre eux, des outils conceptuels et didactiques pour mettre en œuvre les programmes tels qu’ils existent et même s’ils étaient allégés, et pour donner à leur enseignement toute l’efficacité attendue. »

J’arrête là cette sinistre énumération. Face à de telles observations sans doute justifiées, on s’attendrait à ce que les pistes proposées renvoient au recrutement et à la formation initiale et continue, aux pratiques pédagogiques efficaces afin que celles-ci soient enfin placées au centre. Il n’en est rien, il est suggéré par contre de : développer l’accompagnement des enseignants grâce au numérique (ah ! la magie du numérique !), à des sites et lieux d’échanges institutionnels, au travail en équipe (autre serpent de mer), à une rédaction plus précise des programmes, au rétablissement des évaluations nationales, à l’installation de liens explicites entre disciplines, à l’introduction du  numérique dans tous les champs disciplinaires, à la prise en compte du temps réel d’apprentissage[1]. Bref, rien de nouveau sous le soleil si ce n’est l’habituel bla-bla que les plus anciens d’entre nous connaissent bien. Voilà qui aidera sans aucun doute les enseignants qui n’ont ni les connaissances, ni la pédagogie, ni les outils conceptuels, à combler leurs lacunes et à proposer à leurs élèves un enseignement de qualité.

Au final, on comprend mieux pourquoi ce document n’a pas été mis en ligne sur la page IGEN du site ministériel Je ne peux résister à la tentation de reproduire ce qui se trouve en haut de cette page intitulée Publication de rapport des inspections générales : " Les rapports de l'Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale (IGEN) et de la rechercher (IGAENR) ont désormais vocation à être publiés. Cette transparence contribuera utilement au débat public sur la réussite éducative." Par conséquent, merci au site du Monde qui, en publiant ce document, a contribué à ladite transparence.

L'un des grands principes de l'Enseignement Explicite est d'attribuer l'échec de l'élève à une défaillance de l'enseignement. Alors, soyons fou et rêvons un peu. Si on transposait à la formation des enseignants l'adage de S.Engelman[2] ?

" Si les enseignants ne réussissent pas, alors, les formateurs n'ont pas enseigné."






[1] Au passage, sont comptées 22 heures d’enseignement sur 9 ½ journées, déduction faite des récréations, ce qui est faux. Sur 9 ½ journées les récréations représentent 2 h 15.
[2] Si l’élève n’a pas appris, alors le maître n’a pas enseigné.






samedi 23 novembre 2013

Enseignement explicite ≠ Enseignement traditionnel

       L’enseignement explicite est de plus en plus connu et utilisé mais il souffre encore d’être confondu, volontairement ou pas, avec l’enseignement traditionnel. Peut-être est-ce son appartenance à la famille instructionniste[1], comme l’enseignement traditionnel, qui pousse des personnes peu au fait des questions pédagogiques à une telle confusion. Ainsi, beaucoup de personnes se persuadent que le modelage explicite n’est rien d’autre qu’un exposé magistral. En quoi et pour qui cet amalgame est-il gênant ? Il est gênant car il est porteur d’une idée fausse ; la pédagogie a déjà son lot d’idées fausses et autres mythes, n’en rajoutons pas. Il est gênant pour les enseignants explicites qui se voient reprocher des façons de faire qui ne sont pas les leurs. Par contre, certains enseignants traditionnels pensent par ce biais redorer l’image écornée de leur pratique tout en s’accordant le mérite de la primauté. L’enseignement explicite est une pratique bien particulière, ses procédures ont été définies avec une grande précision et les quelques lignes ci-dessous vont montrer les principales différences et divergences par rapport à l’enseignement traditionnel.

Fondements
Comme son nom l’indique, l’enseignement traditionnel repose sur une tradition pédagogique : la façon d’enseigner en usage avant les années 60 et la mouvance de l’Éducation nouvelle. Il considère qu’une bonne maîtrise des savoirs enseignés suffit à l’enseignant pour transmettre efficacement. Il ne s’interroge pas sur la manière d’y parvenir. Aujourd’hui, les enseignants traditionnels refusent les apports des sciences de l’éducation ainsi que les données probantes fournies par la recherche.
L’enseignement explicite s’inscrit dans un courant pédagogique cherchant à avoir une pratique efficace auprès de tous les élèves. Il s’appuie sur les données probantes tirées d’expériences à grande échelle ainsi que sur les apports de la psychologie cognitive (architecture cognitive) et de la psychologie des apprentissages. Ses procédures ont été définies en tenant compte de ces apports puis elles ont été expérimentées dans les classes, avant d’être proposées aux enseignants.

Contenus enseignés
L’enseignement traditionnel est axé sur la transmission de savoirs que les élèves doivent restituer. En enseignement explicite, il s’agit de transmettre des savoirs mais aussi des habiletés, et des savoir-être. Tout cela s’enseigne selon la procédure explicite, y compris les comportements.
La gestion de classe en enseignement explicite est très importante, c’est le préalable à l’enseignement. Elle concerne les règles de classe mais aussi les comportements spécifiques attendus lors des divers moments de la journée, la gestion du temps, celle des conflits. L’enseignement explicite pratique abondamment le renforcement positif alors qu’en enseignement traditionnel, la gestion de classe se limite aux sanctions en cas de manquement aux règles.

Procédures de transmission
L’enseignant traditionnel fait une leçon magistrale ; il privilégie le monologue. Il s’agit d’un exposé suivi d’une phase d’exercisation. Il y a peu d’interaction avec les élèves. Il s’attache à transmettre les contenus alors que l’enseignant explicite se préoccupe de la compréhension et du maintien en mémoire de ces contenus par les élèves, c’est-à-dire de ce qu’il advient d’eux une fois la transmission effectuée. En enseignement traditionnel, la vérification de la compréhension a lieu après les exercices ou lors de la correction. En enseignement explicite, elle a lieu dès le modelage et tout au long de la pratique guidée. Voilà pourquoi le dialogue est privilégié : l’enseignant explicite pose de multiples questions aux élèves pour vérifier le niveau de compréhension. Ceux-ci ne sont jamais laissés seuls devant un problème tant qu’ils n’ont pas une pratique fluide. Le guidage de l’enseignant est fort au début puis s’amenuise peu à peu. Cela évite nombre d’échecs lors de la pratique autonome. L’enseignant traditionnel donne les exercices d’application directement après l’exposé magistral ; ce n’est qu’au moment de la correction des exercices qu’interviendront éventuellement les rétroactions concernant les erreurs commises. En enseignement explicite, la rétroaction ou correction raisonnée des erreurs intervient tout au long de la démarche afin d’éviter que les erreurs ne cristallisent dans l’esprit des élèves.
Le modelage explicite, utilise largement la méta-cognition, ce que ne fait pas l’exposé magistral dans la méthode traditionnelle. Il annonce les objectifs d’apprentissage, les tâches attendues, le déroulement ; lors des explications, l’enseignant « met un haut-parleur » sur sa pensée et oralise son raisonnement.  Sont mises à la disposition des élèves toutes stratégies pouvant aider aux apprentissages : comment utiliser sa mémoire, comment organiser sa pensée, comment réaliser certaines procédures spécifiques. Ainsi les élèves sont des acteurs conscients de leurs apprentissages, ils savent comment faire pour retenir, ou pour réaliser des tâches de plus en plus complexes.
L’enseignement traditionnel fait abstraction de l’alignement curriculaire (adéquation entre ce qui a été enseigné et ce qui est évalué). En enseignement explicite, on n’évalue jamais ce qui n’a pas été enseigné explicitement ; les élèves ne se trouvent donc jamais face à des questions pièges que seuls un petit nombre d’entre eux seraient capables de résoudre.
Chaque notion enseignée en pratique explicite fait l’objet d’une synthèse à la fin de la leçon (ce qui est à retenir) ce qui favorise la mémorisation. Habitude inexistante en enseignement traditionnel.

Élèves en difficultés et échec scolaire
L’attitude des deux écoles est diamétralement opposée. L’enseignant traditionnel va imputer l’échec à l’élève qui n’a pas compris. Dans le meilleur des cas, il proposera un redoublement à la fin de l’année scolaire. L’enseignant explicite assume la responsabilité de l’échec selon l’adage de S.Engelmann : « Si l’élève n’a pas appris, alors le maître n’a pas enseigné ». Ce n’est pas du misérabilisme mais une prise en compte de la réalité observable. Les raisons peuvent en être multiples, une explication insuffisante, des connaissances pré-requises non maîtrisées etc. L’enseignant explicite a donc cette habitude d’ajuster son enseignement en fonction de la réaction des élèves et ce de façon immédiate.
Les élèves en difficulté profitent particulièrement des procédures explicites qui mettent l’accent sur la compréhension, ne passent pas à la notion suivante quand la précédente n’est pas maîtrisée et qui s'appliquent à ne pas susciter de surcharge cognitive. Si malgré tout, des difficultés persistent, l’élève en difficulté se voit donner des explications supplémentaires, et un guidage plus intense. Il bénéficiera d’une pratique plus importante.

Ces différences présentées ici sommairement, on l’aura compris, ne sont pas anecdotiques : elles reposent sur des divergences fondamentales. Le caractère transmissif direct de l’enseignement explicite est insuffisant pour le confondre avec l’enseignement traditionnel. C’est une bonne chose de transmettre directement, sans passer par le biais des situations de découverte[2], mais encore faut-il s’interroger sur l’efficacité du comment. C’est le résultat de ce type d’interrogation qui a donné naissance à l’enseignement explicite.Ce petit jeu des différences, je l’espère, contribuera à une plus grande vigilance quant à l’usage souvent abusif du terme explicite, y compris dans les publicités de certaines maisons d’édition traditionnelles. Chaque enseignant étant libre de ses choix pédagogiques, il serait normal de les assumer entièrement plutôt que d’utiliser à tort et à travers des étiquettes dont on ignore ce qu’elles représentent. Non, l’enseignement explicite n’est pas de l’enseignement traditionnel.






[1] Famille pédagogique basée sur une transmission directe en opposition avec la transmission indirecte via la découverte.

mercredi 20 novembre 2013

Pathos et pédagogie



J’écrivais récemment « … il y a en éducation deux courants distincts : celui qui s’appuie sur les données probantes et a pour but l’efficacité de l’enseignement et celui qui s’appuie sur des choix idéologiques ou philosophiques pour déterminer les méthodes pédagogiques à privilégier. » Si ce constat reste vrai, il faudrait néanmoins le compléter. Les données probantes sont des preuves de l’efficacité de telle ou telle méthode. Elles tiennent lieu d’argumentaire. Les méthodes s’appuyant sur des choix idéologiques sans toutefois les assumer et ayant peu de données tangibles pour convaincre, usent et abusent du pathos pour persuader.

Il n’est pour s’en convaincre qu’à lire les espaces dédiés sur Internet. Quand on ne peut expliquer le bien-fondé d’une méthode par des arguments concrets, alors on essaie de persuader par les qualités personnelles des individus qui la pratiquent ; comment ne pas être ému par des enseignants parés des plus dignes vertus : on croise alors des maîtresses bienveillantes, attentives, protectrices, authentiques, passionnées, généreuses. Celles-ci relatent volontiers le quotidien de leur classe en prenant soin de mettre en évidence leurs propres qualités humaines, lesquelles conduisent leurs élèves à la béatitude scolaire.

Ce qui me heurte dans cette façon de procéder n’est pas tant la tendance démagogique en soi qui est un travers de l’humaine nature, mais plutôt qu’elle signe une déprofessionnalisation grandissante du métier. Quand on en est réduit à avancer les qualités personnelles d’un enseignant pour prouver qu’il réussit dans sa tâche, c’est bien le signe que ce métier n’en est pas un. Quand l’humanité et la générosité supplantent les résultats obtenus ou la validité des actions pédagogiques, c’est le signe que rien ne va plus. Un médecin bienveillant et charismatique qui pratiquerait encore la saignée serait-il un bon médecin ?

Ce faisant, je ne cherche pas à dire que les qualités humaines ne sont pas nécessaires pour enseigner, simplement je dis qu’elles ne sont pas à elles seules suffisantes. Ce qu’on demande aux enseignants, c’est d’enseigner avec succès. S’ils ne savent pas comment procéder efficacement, ils auront beau être parés de vertus personnelles dignes de tous les saints, ils ne parviendront à rien en termes de résultats, si ce n’est à berner les élèves, leurs parents et tous ceux qui auront la faiblesse de succomber au discours émotionnel.

Comme le soulignait très justement Clermont Gauthier en 2007, « S’il n’y a pas une forme d’expertise formalisée par la recherche, partagée par un groupe et reconnue sur le plan social, alors le travail qu’accomplit l’enseignant peut, à juste titre, être confié à n’importe quels autres acteurs dont les services et les conditions seront négociés à rabais. » C’est ce qui risque de se produire quand on met en avant les qualités humaines individuelles au lieu de focaliser sur les véritables compétences professionnelles, à savoir le choix des meilleures stratégies disponibles et dont les résultats ont été validés.

Le discours émotionnel, omniprésent depuis quelques décennies, plaît car il caresse la bête dans le sens du poil, il rassure les parents d’élèves ainsi persuadés que leurs progénitures seront heureuses et aimées dans ce lieu réputé hostile qu’est l’école. Il fait passer au second plan la réussite véritable des apprentissages et leur importance dans le cheminement des élèves. Il répand cette idée fausse selon laquelle une méthode est bonne dès lors qu’elle est « populaire ».


dimanche 17 novembre 2013

Oubli

Le blog Pragmatic Education propose un court article très clair faisant le point sur la question de la mémorisation. Cela nous permet de mieux comprendre pourquoi nos élèves semblent oublier ce qu’ils ont appris, une fois l’échéance passée, de l’examen ou de l’évaluation.

Voici un tableau simplifié d’après le  modèle de Robert Bjork. Il fait apparaître la qualité de la rétention et celle de la récupération des données. La qualité de mémorisation dit à quel point une chose a bien été apprise, c’est-à-dire bien stockée en MLT. La qualité de la récupération dit à quel point l’information est accessible.


Voilà qui explique pourquoi bachoter n’est pas efficace à long terme. Les informations accumulées lors du bachotage sont facilement accessibles (bonne capacité de récupération des données) c’est pourquoi le jour de l’examen, on y accède aisément. Mais le stockage en MLT a été mal fait (l’information a été mal apprise), cela explique que, quelques temps après, l’oubli s’est installé. Le bachotage a consisté à bourrer la MLT et maintenant tout est oublié.

Cela illustre par exemple les difficultés rencontrées avec une langue étrangère apprise et maîtrisée à un moment puis tombée dans l'oubli. Les informations sont là en MLT mais la capacité de récupération est mauvaise : on n’a plus accès aux données. Les informations sont maintenant enterrées. On les récupèrera assez facilement, par un séjour dans le pays par exemple.

Dans tous les cas, quel que soit le type d’information à maîtriser, cela se fait par deux voies indissociables : augmenter la qualité du stockage et celle du pouvoir de récupération. L’enseignement doit tenir compte de cela. On peut se reporter aux travaux de D.Willingham et à ses suggestions  comme par exemple, apprendre au-delà du point de maîtrise ou alors susciter un engagement actif au moment même de l’apprentissage (avoir l’intention de retenir l’information). Voir par exemple :