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dimanche 29 janvier 2017

De quelles autres preuves avez-vous besoin ?



Voici la traduction d’un billet d’Anthony Radice qui propose un point de vue très juste sur la crise éducative française, avec toute la lucidité qu’apporte une vision extérieure. Finalement, il est assez drôle de constater que l’expérience française est de loin la plus grande entreprise prouvant l’inefficacité du constructivisme. Le projet Follow Through et autres méga-analyses sont battus. Nous pouvons être fiers de dire que notre expérience éducative, menée depuis une quarantaine d’années sur une population scolaire entière a fourni des preuves en quantité.  Mais, qu’importent les résultats, nous continuons à expérimenter, on ne sait jamais…
Bonne lecture.
👀

Il y a de cela quelques décennies, la France avait le système éducatif le plus équitable au monde. C’était aussi l’un des plus cohérents. Il était internationalement connu pour sa ferme volonté de donner à tous les citoyens la même éducation, le même programme, dans chaque école du pays. Mais, depuis les années 60, les idées progressivistes[i] se sont implantées dans les instituts de formation des maîtres. Même si le curriculum est d’abord resté inchangé, les méthodes utilisées ont commencé à accentuer les écarts de réussite entre les classes sociales. Une approche plus constructiviste, avec insistance sur l’apprentissage par découverte et éloignement des pratiques plus explicites, a fait que progressivement, les élèves à petit bagage culturel n’ont plus reçu de l’enseignant la nourriture nécessaire pour avancer. 

Ironiquement, les résultats de cette première approche des idées progressivistes, constituèrent l’une des preuves utilisées par les concepteurs de la loi Jospin de 1989, laquelle abolit la cohérence curriculaire nationale et imposa le constructivisme dans les écoles primaires de France. Toutes les écoles primaires furent sommées d’adopter les méthodes centrées sur l’enfant, d’adapter le curriculum aux besoins spécifiques de la population. Les défenseurs de cette révolution montraient du doigt les écarts grandissant des décennies précédentes et les attribuaient à un curriculum élitiste supposé desservir les intérêts des élèves les plus pauvres et des immigrés.

Une autre ironie de la campagne constructiviste fut que, l’un de ses partisans, Pierre Bourdieu, lui-même issu d’un milieu modeste, mais ayant eu accès à une éducation de qualité dans son jeune âge dans les années 50, était parvenu au statut de mentor en matière éducative. Il militait pour éradiquer le système qui lui avait permis de s’élever. Il fermait la porte après lui.  

Ceux qui ont étudié les dégâts causés par l’idéologie progressiviste aux États-Unis et au Royaume Uni, ne seront pas surpris des conséquences de cette révolution à la française. Tous les élèves ont subi une baisse de la réussite scolaire, mais le déclin était pire pour ceux issus de milieux défavorisés. Les classes moyennes étaient protégées du désastre dans une certaine mesure, en raison du capital culturel qu’elles pouvaient transmettre à leurs enfants en dehors de l’école. 

La crise de l’École française est particulièrement instructive pour nous, parce que ce fut une expérience naturelle fortuite menée à une large échelle. Le curriculum et la pédagogie furent radicalement transformés, mais d’autres facteurs restèrent à l’identique. Les écoles primaires françaises continuèrent d’être financées. Les standards académiques de recrutement des enseignants du primaire restaient élevés. Nous constatons toujours ce déclin catastrophique des performances et de l’équité. Les évaluations officielles concernent l’ensemble de la population scolaire, et expriment par conséquent un résultat général et non un cas isolé. 

Le système scolaire français centralisé donne une clarté que nous ne trouvons pas dans l’histoire scolaire du Royaume Uni ou des États-Unis, où quantités de variables viennent troubler nos évaluations et nos preuves. Ici, nous avons des directives explicites qui font appliquer les idées constructivistes dans les écoles primaires du pays et des résultats désastreux patents

Est-il besoin de preuves supplémentaires ? Aucune expérience bâtie de toutes pièces ne pourrait valoir l’expérience nationale français, conduite sur l’école tout entière sur plus d’un quart de siècle. Les résultats sont là, et ils sont concluants ; un enseignement explicite et un curriculum cohérent sont synonymes d’excellence et d’équité, alors que des méthodes centrées sur l’enfant et des programmes personnalisés conduisent au déclin et à l’inégalité.

Vous êtes libres de les ignorer, mais les preuves sont là, visibles par tous. 

Pour plus de détails, lire le chapitre 7 dans le dernier ouvrage de E.D.Hirsch, Why Knowledge Matters, « The Educational Fall of France ». 

Pour une vue de l’intérieur de la crise éducative française, lire ce billet.

Anthony Radice, 27/01/2017



[i] Ndt . Je traduis le terme anglais progressivism, utilisé pour décrire le courant éducatif centré sur l’enfant et les méthodes de découverte, par progressivisme, plus adapté que ne le serait le terme progressisme, beaucoup moins spécifique au milieu éducatif.