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mercredi 29 novembre 2006

INSEE - Les inégalités de réussite à l'école élémentaire: construction et évolution


Auteurs : Jean-Paul Caille et Fabienne Rosenwald
INSEE
11.2006

Doc

Cette enquête de l’INSEE pose la question de l’échec scolaire et de ses raisons. Plusieurs facteurs apparaissent, le plus important étant le rôle joué par la scolarité primaire dans le devenir des élèves, en particulier avant le CP. C’est bien l’école primaire qui doit fournir impérativement les bases, sans lesquelles la scolarité secondaire n’est pas possible.

1 / Les facteurs intervenant à l’entrée au CP et en Élémentaire
• Les élèves ne sont pas tous égaux devant les apprentissages, les aptitudes personnelles variant d’un individu à un autre. L’école doit avoir cela en mémoire et donner des opportunités à tous les enfants, sachant que chacun réussira selon ses spécificités propres.
• Le milieu social a aussi son importance. Nous savons très bien que les enfants de familles favorisées culturellement, réussissent mieux. Face à cette injustice sociale, il faut bien admettre que l’école ne remplit pas son rôle, puisqu’elle n’arrive pas à donner un niveau correct aux enfants défavorisés. Ce qui est corroboré par les conclusions sur les ZEP : en fin de primaire les acquis sont moindres en ZEP, en français et mathématiques. Cela peut aussi nous interroger sur la débauche de moyens accordés aux ZEP et les résultats obtenus. Conclusion : Et si tout cela ne se limitait pas à une question de moyens matériels ? Et si on se questionnait par exemple sur les méthodes pédagogiques, sur le pouvoir des enseignants, sur leur autorité, sur leur liberté pédagogique ? En complément de cela, et toujours en lien avec les familles, il faudrait ajouter un point que l’enquête n’aborde pas : le degré d’implication des parents dans la réussite scolaire de leurs enfants, indépendamment de leur milieu ou de leur culture. Nous constatons année après année une démission énorme des parents en matière éducative comme en matière scolaire, et ce n’est pas le fait unique des milieux défavorisés. On voit des parents qui n’accompagnent absolument pas le travail, qui vont dans un sens opposé de ce qui est demandé, qui exigent des bonnes notes pour leurs enfants. Des parents qui n’ont aucun sens des réalités, et qui dans les cas extrêmes, provoquent la “démission” de l’enseignant. Des parents qui considèrent l’école comme un service “clé en mains”, confiant l’enfant avec méfiance afin qu’il soit gardé et heureux, qu’il ait de bons résultats, mais sans jamais prendre le relais à la maison.
La scolarité en maternelle : Un mauvais départ a peu de chances de se transformer en réussite au cours de l’élémentaire. Le résultat aux évaluations de 6ème est le reflet de celui des évaluations de début de CP. Là, nous mettons le doigt sur un point douloureux. En effet, si un enfant arrivant en CP a un niveau faible, ce n’est pas seulement à cause de la fatalité sociale ou de ses propres déficiences. L’école maternelle, et en particulier la Grande Section, doit effectivement être un marchepied pour le CP. Des enquêtes ont montré l’importance de cette classe pour tout ce qui doit préparer à la lecture, comme la conscience phonémique et le travail sur l’oral. La GS est une classe où se font des apprentissages importants, déterminants pour la suite, comme le montre cette enquête. Ce n’est pas, comme on l’a souvent entendu et vu, un lieu exclusif de socialisation. La Maternelle doit retrouver son importance, et en particulier la classe de GS. S’il y a un progrès à faire, c’est bien là qu’il se situe, avant le CP.


2 / La progression pendant la scolarité élémentaire et au-delà
Entre le CP et le CM2, les progressions sont liées au milieu social et familial. Cette étude montre que les enfants de familles nombreuses réussissent moins bien, et ont un niveau moindre quand ils arrivent au CP. Pendant la durée de l'Élémentaire, on remarque aussi une différenciation entre filles et garçons, les filles étant meilleures en français et les garçons en mathématiques. Différence expliquée par l’intériorisation des stéréotypes sociaux, modèle dont on nous dit qu’il est également acquis par les enseignants. 
Les élèves qui ont eu un niveau faible à leur entrée au CP, auront une mauvaise scolarité élémentaire et arriveront avec un faible niveau en 6ème. Le problème est d’autant plus grave que cela est alors rédhibitoire. Ni au collège, ni au lycée ils ne pourront rattraper leur retard. Au lycée, 81 % des écarts de réussite sont apparus avant le collège. Voilà qui met en exergue la responsabilité de l’école élémentaire et tout particulièrement celle de l’école maternelle, trop longtemps passé sous silence. Il faut garder à l’esprit que ni le collège, ni le lycée, ne sont capables de remédier aux échecs amorcés en Primaire.


3 / La question des redoublements
Le constat sur la baisse des redoublements (une baisse de moitié en 20 ans) n’est pas le fruit d’une amélioration du niveau, mais simplement celui des injonctions officielles. Le redoublement est considéré comme inutile, voire néfaste (surtout coûteux pour l’institution) ; faire redoubler un élève aujourd’hui est le véritable parcours du combattant, et c'est très mal vu par la hiérarchie. L’enquête n’a pas étudié sur ces 20 ans les variations du niveau en 6ème. Cela aurait permis sans doute de constater les “améliorations” !
Cette quasi-disparition des redoublements a profité aux élèves de milieux défavorisés, nous dit-on, mais l’enquête montre que leur niveau ne s’est pas amélioré pour autant et que les écarts persistent tout de même. Tout est dans le sens du mot “profité”. Le bon sens voudrait qu’un élève redouble quand il a des difficultés, et que le faire passer malgré tout ne résoudra pas ses problèmes. La classe supérieure va lui proposer de nouveaux enseignements qu’il ne pourra pas faire siens, car il ne pourra pas les agréger à ceux du niveau inférieur qu’il ne possède pas. 
L’enquête affirme donc que le redoublement, qu’il soit tardif ou non, est inutile en terme de résultats en 6ème : seulement un quart des redoublants ont de meilleures évaluations. 
Trois remarques à cela : 
1. On peut bien sûr mesurer et observer les comportements des redoublants. Mais doit-on pour autant extrapoler que s’ils n’avaient pas redoublé ils auraient été meilleurs ? Depuis que l’on ne fait plus (ou pratiquement plus) redoubler, on aurait dû noter une amélioration des résultats en 6ème. Or ce n'est pas le cas.
2. Si cela profite à un quart des redoublants, c’est déjà bien. On ne peut donc pas proclamer l’entière inutilité.
3. Puisque l’on a supposé que les enfants ont tous des aptitudes spécifiques et différentes, et puisque le redoublement n’est pas la solution pour tous, cela conduit à imaginer que certains enfants devraient être orientés dans des filières plus spécifiques à leurs individualités (les trois quarts à qui cela ne sert pas de redoubler).
L’enquête rebondit sur la possibilité de mettre en oeuvre des aménagements dans la classe pour les élèves en difficulté (PPRE). Cela veut dire que ces élèves manqueraient une partie de l’enseignement dispensé en classe, et que donc tout n’est pas utile dans cet enseignement. Cela veut dire aussi du personnel supplémentaire et qualifié pour s’occuper de ces enfants-là. Les enseignants de terrain savent bien que tout cela est également inutile et les résultats plus que douteux.


4 / L’âge d’entrée à l’école
Les enquêteurs se sont interrogés sur l’âge de l’entrée en Maternelle et ont mesuré l’impact d’une entrée à l’école dès 2 ans, sur le plan scolaire. Il s’est avéré que ces élèves-là arrivent en CM2 avec un niveau identique aux autres. Et aux évaluations de 6ème , ils ont des résultats identiques aux autres (avec même un très léger désavantage, un item sur 100). Le bénéfice scolaire d’une scolarité dès 2 ans n’est donc pas montré. Mais cette question, souvent soulevée, n’est pas scolaire. Les partisans de la scolarité à 2 ans y voient une façon de mettre en place des garderies gratuites et généralisées pour tous, et ne parlent en aucune façon d’intérêt relatif aux apprentissages scolaires.


5 / Les enfants nés en début d’année
Enfin, cette enquête détruit le mythe des enfants nés en début d’année en montrant que leurs résultats ne sont pas meilleurs et que l’avantage qu’ils avaient en début de CP est vite perdu pendant la scolarité.
Une enquête intéressante, qui a le courage de s’attaquer à certaines réalités. Et qui devrait susciter un questionnement de fond sur l’école Primaire, en commençant par sa partie Maternelle. Il est absolument anormal que des élèves arrivent en CP en ayant déjà du retard, alors qu’ils sont à l’école depuis l’âge de 3 ans, et parfois celui de 2 ans. Ces années cruciales devraient donner aux enfants, issus de milieux défavorisés en particulier, ce qui culturellement et linguistiquement leur manque à la maison. En l’état actuel des choses, l’École n’est profitable que pour ceux dont les parents peuvent pallier ses insuffisances.