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jeudi 19 juin 2014

Les réformes successives: qui ont-elles servi ?

Le ministre de l’Éducation Nationale s’est adressé aux parents d’élèves pour expliquer à quel point les nouveaux rythmes scolaires sont une opportunité extraordinaire et pour les convaincre que seul l’intérêt des enfants a été au centre de la réflexion. La manœuvre est pitoyable.

Dans cette logorrhée de poncifs aussi éculés qu’erronés, une phrase a attiré mon attention.
« L’école a trop souvent changé en fonction de l’intérêt des adultes et non de celui des enfants. »

Selon M. Hamon donc, tous les changements réalisés à l’école auraient servi l’intérêt des adultes et non celui des enfants. Surprenant, car depuis des lustres, on nous vend les changements successifs comme uniquement motivés par l’Intérêt de l’Enfant.

Je me propose donc de faire un inventaire de tous les changements supposés avoir servi les intérêts des enseignants (puisqu’ils sont au premier rang des adultes désignés par le ministre) et des conditions d’exercice censées les combler.

Commençons par les conditions économiques qui se déclinent par un salaire gelé jusqu’en 2017 accompagnées en conséquence d’une perte de pouvoir d’achat. Un salaire qui est nettement au-dessous de la norme européenne : 11 % de moins par rapport à la moyenne. Actuellement, on recrute à Bac + 5 pour un salaire représentant 112% du Smic.

Logiquement, un tel affaiblissement économique devrait s’accompagner d’un allègement des tâches. Dans l’Éducation Nationale, allez chercher pourquoi, c’est le contraire qui se produit. Notre détérioration des revenus, est accompagnée d’un alourdissement des obligations de service. Ainsi, les enseignants sont obligés de travailler gratuitement : 20 min par jour d’accueil obligatoire non pris en compte dans le quota d’heures. Obligation de rattraper des journées déjà travaillées. Dans quel autre corps de métier oserait-on imposer aux salariés de travailler pour rattraper une journée n’ayant pas été vaquée ? (Ex : travail le mercredi 12 juin 2014 pour rattraper une journée de pré-rentrée bien effectuée). Obligation pour les enseignants de maternelle d’attendre la venue des parents pour terminer leur journée. Ce qui représente un temps considérable sur une année scolaire. Enfin, l’enseignant, contrairement aux autres professions, n’a pas droit à une pause dans la journée alors que le Code du travail prévoit une pause minimale de 20 minutes lorsque le temps quotidien de travail atteint 6 heures.(art L 3121 – 33 )
Les dernières années ont vu le métier se bureaucratiser à l’excès. L’enseignant de primaire doit remplir des rapports, cocher des cases, créer des fiches actions, rédiger des projets, signaler à la hiérarchie ses moindres faits et gestes (utilisation des 108 heures, comptes rendus de réunions …) remplir des livrets d’évaluation, les dossiers PPRE, APC ou autres PPS … Les tâches administratives et bureaucratiques sont en voie d’être la partie la plus importante du métier au détriment du questionnement pédagogique.

À cette charge bureaucratique vient s’ajouter la multiplication des tâches d’enseignement par l’alourdissement des programmes, alors que le temps de présence devant les élèves a baissé (APC). C’est ainsi que l’école primaire, censée régler tous les problèmes sociaux doit maintenant faire plus de sport, enseigner une langue vivante, l’histoire des arts, la morale laïque, le B2I, la sécurité routière, le développement durable, l’hygiène dentaire, le porter secours, lutter contre l’homophobie, contre le racisme et contre toute forme de discrimination, contre l’obésité, le tabagisme …Tout en se focalisant sur les fondamentaux !

Et que dire de la perte de l’autorité professionnelle des enseignants, induite par l’ingérence pédagogique des parents d’élèves, par l’obligation d’utiliser des méthodes pédagogiques non efficaces et par la propagation de mythes pédagogiques. C’est ainsi, pour ne citer qu’un exemple, que l’on persuade les enseignants qu’en faisant rédiger les règles de classe par les élèves, ceux-ci seront plus enclins à les respecter ; principe erroné mais pratique courante dans les écoles. Autrement dit, on exige des résultats tout en orientant les enseignants vers des pratiques non efficaces ; et il est difficile, en dépit de la liberté pédagogique, de s’aventurer hors des sentiers officiels.

Parlons enfin de la gestion des comportements qui se révèle problématique pour beaucoup d’enseignants, non formés et n’ayant plus l’autorité indispensable. L’enseignant est démuni devant les « élèves perturbateurs » et bien souvent il ne doit son salut qu’à une éventuelle autorité personnelle. Bref, il se retrouve seul. On n’enseigne pas aux enseignants les pratiques susceptibles de gérer les comportements. Et pourtant elles existent et sont efficaces (voir par exemple, PBIS ou Soutien au comportement positif). Tout ce qui est proposé va à l’encontre des principes permettant une meilleure gestion de classe, voir l’exemple cité plus haut sur les règles de classe. Et pourtant, quand les IUFM puis les ESPE ont remplacé les archaïques Écoles normales d’instituteurs, ce devait être un véritable progrès qui profiterait aux élèves.

Tout récemment, le rapport Fotinos faisait état d’une nette dégradation des rapports entre enseignants et parents d’élèves. Dégradation bien palpable sur le terrain. Les enseignants ne sont plus respectés et sont régulièrement l’objet de harcèlement, d’agressions verbales ou même physiques. Pourquoi cela ? Car les parents consommateurs d’école ont des attentes qui ne correspondent pas aux objectifs assignés à l’école, et que leurs attitudes agressives, si elles ne sont pas encouragées, ne sont pas pour autant sanctionnées. Dans une agression de ce type contre un enseignant, l’opinion, quand ce n’est pas la hiérarchie, mettra systématiquement en cause l’enseignant. L’accueil des parents dans l’école et dans les équipes éducatives, même s’il était motivé par de nobles intentions a contribué dans la réalité des choses à une ingérence pédagogique au sens large.

On pourrait enfin ajouter pêle-mêle les projets d’école, l’évaluation par compétences, les livrets d’évaluation, les cycles, les concertations de cycles, d’école, les réunions d’intégration... Qu’est-ce que toutes ces choses, que l’on nous a vendues comme des panacées ont changé aux résultats : absolument rien dans le meilleur des cas, une détérioration dans l’autre. Qu’est-ce que ces choses ont apporté au métier d’enseignant : une nette détérioration des conditions d’exercice. Et cela n’est pas une vue de l’esprit. Dans l’Éducation Nationale une personne sur 4 est touchée par le stress résultant d’une « situation à risques pour la santé où les exigences du travail sont importantes, la demande psychologique forte et où les ressources disponibles dans le travail pour y faire face sont insuffisantes, la latitude décisionnelle faible » Enquête qui résume avec précision l’état des lieux.

On comprendra mieux, que, contrairement à ce que prétend le ministre, les réformes successives n’ont absolument pas servi les intérêts des adultes, en tout cas pas celui des enseignants, bien au contraire. C’est une énormité, pire encore un mensonge. La meilleure preuve en est le désintérêt pour la profession et la difficulté de recrutement. 5 années d’études après le bac + un concours (certes pas très difficile) + un salaire de base dérisoire + une déconsidération sociale assurée + l’assurance d’obtenir un poste des quartiers très difficiles sans avoir été formé à ce type de public. Et les décideurs se demandent encore pourquoi une telle désaffection…

Il faudrait peut-être cesser d’opposer l’intérêt des adultes ou plutôt des enseignants et celui des élèves. Si l’enseignant était « bien dans son métier », s’il n’avait plus à subir toutes les pressions évoquées ci-dessus, alors, il serait bien plus efficace dans ses actions pédagogiques, et ce quelle que soit la méthode utilisée. C'est pourquoi il me semblerait plus juste d'affirmer haut et clair que les réformes des dernières décennies  ont desservi l'intérêt des élèves  ET celui des enseignants.

lundi 2 juin 2014

Apprentissage de la lecture : 8 croyances néfastes

Ce post m’est inspiré par K.Hempenstall qui, dans un article très intéressant sur les données probantes en éducation cite quelques-unes des croyances tenaces qui continuent d’obérer lourdement l’enseignement efficace de la lecture.  Leurs auteurs sont des « spécialistes » américains, ayant ou ayant eu pignon sur rue. La bien-pensance pédagogique française qui nous dit le vrai et le faux depuis des décennies a fait sienne la doctrine éducative américaine dite progressiste, s’inscrivant dans ses pas en dehors toute réalité même quand les résultats des élèves contredisent de manière criante les principes.
Voici donc quelques-uns de ces principes. Je ne les commenterai pas, un prochain article présentera le travail de Kerry Hempenstall. Leur lecture seule permet de comprendre à quel point une pratique éducative éloignée des données probantes et du monde réel peut être nuisible aux élèves et en particulier aux élèves issus de milieux défavorisés.

  • Apprendre à lire est un processus aussi naturel qu’apprendre à parler (National Council of Teachers of English, 1999
  •  Les enfants n’apprennent pas à lire afin de pouvoir lire un livre, ils apprennent à lire en lisant des livres (NZ Ministry of Education, cité dans Mooney 1988
  •  Les lecteurs fluents identifient les mots comme des idéogrammes (Smith 1973)
  • Une lecture habile utilise la prédiction à partir du contexte (Emmitt 1975)
  • L’anglais est une langue trop irrégulière pour que l’approche phonique puisse être utile (Smith 1999)
  • La précision n’est pas nécessaire à une lecture efficace (Goodman 1974)
  •  Une bonne orthographe est la conséquence de l’acte d’écrire (Goodman 1989)
  • Tenir compte des styles d’apprentissages améliore les résultats scolaires (Carbo, & Hodges, 1988; DEECD, 2012b; Dunn & Dunn, 1987)