Voici une notion très
importante, que tout enseignant devrait connaître. Mais ne comptez pas sur les
formateurs des ESPE pour vous en informer, ni sur la formation continue dans
les circonscriptions. Cela aurait dû être un véritable pavé dans la mare quand
elle a été mise à jour, mais il n’en a rien été. Tout simplement car elle
remettait en question les pratiques pédagogiques officielles. On ne touche pas
à la doxa.
Elle est issue des
travaux de David Geary, basés sur la psychologie évolutionniste. (Geary 2002,
2005, 2007). Selon lui, il faut distinguer les connaissances biologiquement
primaires des connaissances biologiquement secondaires.
Les connaissances
primaires sont celles acquises naturellement et facilement au cours de notre
évolution ; on les acquiert inconsciemment par le simple fait d’être
immergé dans la société. Il en est ainsi des connaissances comme apprendre la
langue maternelle, reconnaître un visage. Nous n’avons pas besoin que l’on nous
enseigne à résoudre un problème par l’analyse moyens-fins. Tout être humain
acquiert ce type d’habileté sans problème.
Il en va autrement des
connaissances secondaires. Elles concernent tout ce qui est culturel, c’est-à-dire
apporté par les sociétés relativement avancées. Même si elles reposent sur les
connaissances primaires, elles diffèrent de celles-ci. Prenons l’exemple de la
lecture/écriture, qui à l’échelle du temps, est une invention relativement
récente ; nous n’avons pas évolué vers la lecture/écriture de la même
façon que nous avons évolué vers l’écoute ou la langue parlée. Pour ce qui
relève de la langue orale, personne n’imaginerait l’enseigner en expliquant
comment placer ses lèvres, sa langue, sa respiration. Cela serait inutile car c’est
une habileté que nous possédons suite à l’évolution par immersion dans le
groupe social qui parle et écoute. Il en va différemment de la lecture/écriture
car nous n’avons pas évolué pour acquérir cette habileté spontanément. L’immersion
dans une société qui écrit et qui lit ne garantit rien. Les preuves en sont
nombreuses encore aujourd’hui. Nous avons besoin, pour maîtriser ces habiletés,
qu’elles nous soient enseignées explicitement.
Voilà le pourquoi de l’école :
enseigner les connaissances biologiquement secondaires. Si l’on considérait que
celles-ci peuvent s’acquérir par simple immersion, cela aboutirait à des
apprentissages minimaux et superficiels, donc inutiles. Et, de fait, c’est ce
qui se produit quand les méthodes pédagogiques font fi de ce préalable
essentiel et tentent de mettre en œuvre l’apprentissage naturel, indifféremment
des types d’habiletés à traiter. L’École doit être le lieu d’acquisition des
connaissances secondaires, non par immersion ou imprégnation mais par un
enseignement explicite et clair.
Pourquoi l’enseignement
des connaissances secondaires doit-il être explicite ? Les psychologues
cognitivistes (Sweller en particulier, 2003, 2006) ont mis en évidence les
principes de l’architecture cognitive humaine qui expliquent pourquoi l’enseignement
doit être explicite avec un focus sur la charge cognitive. L’ouvrage
de Chanquoy, Tricot et Sweller est une excellente synthèse sur la question.
Pourquoi est-ce
important de savoir cela ? Tout simplement car cela nous éclaire sur les
raisons de l’inefficacité des pratiques pédagogiques constructivistes. L’erreur
des constructivistes a consisté à ne pas faire la différence entre les types de
connaissances. Constatant que certaines connaissances s’acquéraient de manière
naturelle, ils en ont déduit qu’il en était ainsi de toutes les autres, y compris
des connaissances culturelles. Aucune étude n’a été menée pour transformer
cette hypothèse, à la base logique, en principe établi. Il est vrai que quand
le constructivisme est apparu en pédagogie, on ne savait rien des principes de
Geary, ni de l’architecture cognitive. Néanmoins, une fois que ces découvertes
furent faites et l’objet d’un consensus scientifique, aucune remise en cause n’a
été opérée par les tenants du constructivisme, tout a continué comme si rien ne
s’était passé. Je ne peux m’empêcher de souligner l’ironie de la situation :
ceux qui prétendent éduquer les élèves à
l’esprit critique et scientifique, qui disent former le citoyen libre et
éclairé de demain, sont ceux-là même qui ne remettent pas en cause leur édifice
pédagogique quand la science leur fournit les données probantes de son échec.
À l’heure actuelle, les
sciences cognitives font partie à part entière des sciences de l’éducation et
leurs apports nous permettent des pédagogies de plus en plus efficaces. Heureusement,
grâce à Internet [1],
on peut se féliciter de la circulation des idées ; il n’en reste pas moins
que les grands chambellans de la pédagogie restent sur leur mantra : hors
du constructivisme point de salut.
Je partage complètement votre point de vue. N'importe quelle captation de conférence d'André Tricot sur cette question suffit à nous convaincre de la portée révolutionnaire (je pèse mes mots) de cette théorie évolutionniste des apprentissages.
RépondreSupprimerMerci
José