Entretien
avec John Sweller, suite. Ci-dessous le billet 5.
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5 / La motivation : quel rapport avec la théorie de la charge cognitive?
OL : Donc la théorie
de la charge cognitive a un rapport complexe avec la motivation. C’est ce
qu’écrit Michael Persan sur le sujet. Il mentionne votre travail de 2005 avec
Merrienboer, dans lequel vous parliez de 4 développements majeurs dans la
recherche sur la charge cognitive. L’un
d’entre eux disait que nous devrions tenir compte de la motivation des
apprenants ainsi que du développement de leur expertise pendant les cours ou
programmes d’entraînement à long terme. Et que la théorie de la charge
cognitive commençait à s’y intéresser. Mais ensuite, Pershan montre comment en
2012, lors d’une interview, vous disiez : « l’une des conclusions
auxquelles j’ai abouti avec la théorie de la charge cognitive est qu’il y a des
personnes qui voudraient faire de cette théorie une théorie pour tout. Ce n’est
pas ce qu’elle est. Elle n’a rien à dire à propos de facteurs importants de
motivation. Cela n’en fait pas partie. » Aujourd’hui, où en êtes-vous sur
cette question de la charge cognitive et de la motivation ?
JS: La motivation est extrêmement importante. Je tiens à
souligner ce point avant de poursuivre. Je ne pense pas, même si au début je croyais
que cela pouvait être possible, je ne pense pas que les théories de la
motivation doivent être mélangées à celles de la cognition. Cela ne veut pas
dire que la motivation n’est pas importante. Cela veut juste dire que vous ne
pouvez pas transformer la théorie de la charge cognitive en une théorie de la
motivation ; cela ne signifie pas pour autant que vous ne pouvez
absolument pas utiliser une théorie de la motivation en conjonction avec la
théorie sur la charge cognitive. Donc, c’est vraiment une autre façon de
dire : vous pouvez rendre toute chose motivante ou démotivante. Vous
pouvez donner des problèmes à résoudre, apprendre par la résolution ; beaucoup
de personnes disent que la raison pour laquelle elles utilisent la résolution
de problèmes, c’est car elle est motivante. C’est motivant parfois, pour
certaines personnes, mais en même temps c’est très démotivant pour les autres.
Beaucoup de personnes ont développé une phobie des mathématiques en raison de
leur démotivation. « J’ai essayé de résoudre ce problème, en vain, je
n’y suis pas parvenu, je ne veux plus entendre parler de
mathématiques ! » C’est la même chose avec les exemples résolus. Vous
pouvez organiser les exemples résolus de telle sorte que les gens sont
complètement démotivés. « Je ne supporte plus ces exemples résolus. C’est
d’un ennui ! » Vous pouvez les rendre intéressants. Tout ce que vous
enseignez peut-être rendu soit intéressant, soit ennuyeux. Cela peut être
motivant ou non motivant. Mais cela n’a aucun rapport avec la théorie de la
charge cognitive.
Quand vous regardez les alternatives que nous trouvons dans
la théorie de la charge cognitive, toutes pourraient être motivantes ou non,
devraient-elles l’être ? Bien sûr que oui ! La motivation est
essentielle pour toute chose ; comme quand vous êtes en classe, vous pouvez
donner un cours parfait dans une perspective cognitive, mais dispensé de telle
manière, que les élèves regardent par la fenêtre et s’ennuient. Peu importe si
le cours est excellent sur le plan de la charge cognitive. Ils ont décroché et vous
n’avez pas pu faire grand-chose pour cela.
L’absence de motivation signifie simplement que vous
utilisez les ressources de votre mémoire de travail pour autre chose que ce
vous devriez faire. En d’autres termes, au lieu d’utiliser les ressources de votre
mémoire de travail sur les mathématiques, vous les utilisez sur ce qui se passe
dehors. Il y a peut-être une connexion ici. Mais jusqu’alors, le lien n’est pas allé
très loin. Si cela devait changer, alors je changerais mon opinion, comme vous
pouvez le conclure en regardant l’histoire de la théorie de la charge
cognitive. J’ai tendance à hésiter sur le sujet. Actuellement, j’émets des
doutes simplement en raison de l’histoire du statut de l’échec comme étant
capable d’amener la motivation dans les structures cognitives que nous
utilisons dans la théorie de la charge cognitive. C’est ce qui me fait penser
que nous devrions considérer la motivation, mais c’est un sujet à part. J’ai
compris d’après votre courriel que vous allez parler avec Andrew
Martin. Andrew, comme vous le savez est un chercheur très motivé.
Il a parlé de la théorie de la charge cognitive et de la motivation. Je ne pense
pas qu’il ait tenté de les unifier dans une seule théorie.
OL: C’est à peu près
ce qu’il a fait. Voici un diagramme qui figure dans ses travaux, je suis sûr
qu’il va vous intéresser.
OL: C’est extrait
d’un article intitulé « Baisser la charge cognitive augmente la motivation ».
Donc, il parle, d’une certaine façon, des potentielles relations causales mais
il répète à plusieurs reprises dans l’article : « Ce n’est ni
prescriptif ni exhaustif ». Il suggère simplement des relations entre ces
diverses constructions et l’approche pédagogique, lesquelles nécessitent
d’autres recherches. C’est ce que j’en ai retenu.
JS: Oui, je lui demanderai des explications sur certaines
relations de son diagramme que ne comprends pas. Par exemple, ici figure le désengagement.
Mais je ne comprends pas pourquoi il est lié à l’utilisation de différentes
modalités.
OL: Je pense que cela
signifie que si vous utilisez différentes modalités, si vous évitez la
redondance, et si vous consacrez un temps d’enseignement approprié, cela peut
aider à augmenter la motivation.
JS: Oui, mais je dois savoir pourquoi des effets
particuliers de la charge cognitive sont liés à des émotions particulières. Je
dois demander à Andrew pourquoi par exemple, des modalités différentes conduiraient
à un désengagement alors que les pratiques mentales, les exemples résolus, la
pratique guidée, ne le feraient pas. Je suis sûr qu’il y a une réponse
satisfaisante.
OL: Regardons plus
haut dans l’article et lisons ce qui concerne le désengagement.
Le désengagement est complexe
et peut intervenir pour plusieurs raisons (Finn & Zimmer, 2013). Cela peut
venir du fait que les élèves n’ont pas les habiletés particulières dans tel
domaine comme la littéracie ou la maîtrise mathématique, ou les habiletés d’auto-régulation
comme l’étude et les habiletés organisationnelles (Covington, 1992, 2000). Dans
certains cas, il y a des problèmes de motivation comme une auto-efficacité basse
(Bandura, 2001), une dévalorisation du domaine d’étude ou des tâches qu’il contient
(Wigfield & Eccles, 2000), ou encore un contrôle incertain conduisant à une
impuissance (Abramson et al., 1978 ; Weiner, 1985). Dans une perspective de
psychologie cognitive, cela peut être la fonction d’une consigne ou tâche qui
surcharge la capacité cognitive de certains apprenants ou rend le matériel
enseigné inintéressant et ennuyeux, répétitif, conduisant à l’abandon de tout
effort (Sweller, 2012). Les approches par LRI (Load Reduction Instruction) peuvent
être un moyen de considérer nombre de ces facteurs qui peuvent soutenir le
désengagement. Ici, la discussion se concentre sur l’utilisation de différentes
modalités, évitant la redondance, augmentant la cohérence, et fournissant un
temps d’enseignement approprié. (pg. 33)
JS: Oui, je comprends cela.
OL: Donc,
ici « un moyen de considérer nombre de ces facteurs qui peuvent
soutenir le désengagement ». Mais je vois ce que vous voulez dire. On
pourrait dire cela de presque toutes les constructions dans le schéma de la
roue de la motivation et de l’engagement.
JS: Exactement. Et je dois savoir d’Andrew pourquoi
certaines constructions vont ensemble et d’autres pas.
OL: Ok, bien. Donc,
maintenant, vous pensez qu’elles sont relativement indépendantes ?
JS: Je pense que oui mais je suis sûr qu’Andrew a des
raisons pour connecter ces constructions particulières.
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