Dans un post (1) relatif à l’ABCD de l’égalité, J.M.Zakhartchouk
écrit que les instructionnistes sont prêts à imposer à leurs élèves leur morale
mais pas du tout enclins à les former à l’esprit critique. J’ignore si une
telle affirmation relève de l’ignorance ou de la malhonnêteté intellectuelle.
Il n’en reste pas moins que la sentence est tombée. Si vous êtes
instructionniste, vous n’êtes là que pour formater l’esprit des élèves à vos
propres valeurs qui, de toute évidence ne sont pas forcément recommandables. Ce
n’est pas Luc Cédelle (2) qui dira le contraire, lui qui inscrit les
instructionnistes dans l’axe du mal Dieudonné-Soral-Belghoul, réussissant
l'exploit d'atteindre le point Godwin dès les premiers mots de son billet.
De toute évidence, l’idée d’esprit critique pose un sérieux
problème. Dans la mouvance constructiviste, on croit former les élèves à
l’esprit critique en leur donnant à apprendre un catéchisme c’est-à-dire une
liste de ce qui est bien, de ce qu’il faut penser, et puis une autre liste de
ce qui est mal. Exactement comme le faisait l’école d’antan avec ses leçons de
morale. Sauf qu’aujourd’hui les contenus ont changé : on n’apprend plus « qui
vole un œuf vole un bœuf » mais qu’il est mal d’être raciste. L’élève exprime
son esprit critique en répétant à l’envi ce qui lui a été inculqué par
l’enseignant. En aucune manière, il ne s’agit d’un jugement forgé par lui-même.
Mais l’enseignant doit s'en satisfaire.
Avant d’aller plus loin, présentons l’instructionnisme
puisque de toute évidence, ceux qui n’appartiennent pas à ce courant s’en font
une idée fausse. C’est un courant pédagogique prônant la transmission directe
des connaissances et habiletés. Contrairement au courant constructiviste qui
lui, croit qu’une transmission indirecte par voie de découverte par exemple est
plus appropriée. Parmi les instructionnistes on trouve des partisans de l’école
traditionnelle d’autrefois et des défenseurs de l’Enseignement Explicite, les
deux présentant de grandes différences au niveau de la pratique pédagogique et
de l’utilisation des données probantes.
Les lignes qui suivent proposent une mise au point sur la
pensée critique à l’école, dans le cadre de l’Enseignement Explicite.
Une chose est sûre : la pensée critique est difficile à
enseigner. C’est pourquoi sans doute, il est plus facile de donner à apprendre
des mantras. La pensée critique consiste à envisager tous les aspects d’une
question, à raisonner sereinement, à argumenter sur des preuves, à
contre-argumenter, à faire des déductions. C’est la quintessence du
raisonnement.
Le rapport américain Nation At Risk, en 1983, insistait sur
les défaillances des élèves à raisonner de manière critique et argumentée. À la
suite de cela, on a vu fleurir aux États-Unis une multitude de méthodes
supposées enseigner l’art de la pensée critique. Méthodes qui se sont révélées
de la plus haute inefficacité. De fait, elles reposaient sur une conception de
base erronée : la pensée critique serait une habileté comme les autres, par
conséquent enseignable comme les autres. Or ce n’est pas le cas, la science
cognitive a montré que la pensée critique était un mélange complexe de
processus de pensée et de contenus. Si on enseigne des maximes montrant comment
il faut penser, sans que l’élève n’ait les connaissances d’arrière-plan
adéquates et sans pratique, il ne sera
pas capable d’une véritable pensée critique. Voilà qui explique sans doute
pourquoi après des années d’inculcation d’une pensée critique relative à la
Shoah, par exemple, il y a aujourd’hui tant de jeunes qui succombent aux
sirènes de Dieudonné ou se montrent irrespectueux lors des visites scolaires
dans les camps.
La recherche en sciences cognitives a montré que la pensée
critique dépend de la possession d’informations ; tout ce que nous lisons ou
entendons est interprété à la lumière de
ce que nous savons déjà. Bien souvent, on focalise sur la structure de surface. Enseigner la
pensée critique consiste à permettre aux élèves d’aller plus loin et
d’atteindre la structure profonde d’une question. On ne peut pas penser de manière critique sur
un sujet que l’on ne connaît pas ou que l’on connaît mal. On ne peut donc pas
l’enseigner en soi, mais toujours dans le contexte disciplinaire, en modelant
le raisonnement : questionner ce que l’on sait, considérer tous les aspects du
problème … En histoire par exemple, on peut initier les élèves à interroger un
document en se demandant qui l’a écrit, quand, dans quel contexte spécifique…
Mais l’élève aura beau se poser toutes ces questions, s’il ne possède pas les
informations pour y répondre, cela lui sera inutile. Cela n’a de valeur que
s’il possède les connaissances pour exercer sa pensée.
Tous les élèves, même les plus petits ont accès à la pensée
critique, s’ils ont les connaissances
nécessaires à cet exercice. Dans le cadre disciplinaire, l’enseignant doit
rendre la démarche explicite et procéder par étapes, donner plusieurs exemples
et montrer comment l’appliquer au contenu de la leçon en cours. La pratique
permettra aux élèves de s’approprier cette façon de raisonner et de l’appliquer
dans d’autres circonstances à condition qu’ils possèdent les informations
nécessaires.
L’Enseignement Explicite, par ses principes, s’emploie à
transmettre aux élèves les connaissances et habiletés et à les installer en
mémoire à long terme. En même temps, il modèle l’exercice de la pensée
critique, dans un contexte disciplinaire. Ce faisant, il forme les élèves à
réfléchir en justifiant, en argumentant, en prenant conscience des raisonnements
et cheminements qui s’exercent lors de l’acte de penser. Et en donnant aux élèves
l’habitude quasi réflexe de toujours affirmer quelque chose en expliquant
pourquoi. Ainsi, la pensée critique est au cœur de l’Enseignement Explicite,
elle aide les élèves à exercer leur capacité à raisonner sur tous les sujets
enseignés et sans qu’à aucun moment on ne puisse prendre cela pour un
endoctrinement quelconque.
C’est pourquoi les procès d’intention relatifs à
l’enseignement de la pensée critique
chez les instructionnistes, en tout cas chez les enseignants explicites que je
connais bien, sont complètement infondés. Ils donnent à penser que leurs auteurs
auraient meilleur compte de faire leur autocritique à la lumière par
exemple des apports des sciences cognitives et au regard des résultats qu’ont
donné leurs propres pratiques auprès des élèves depuis plusieurs décennies. De toute
évidence, la pensée critique est un art assez mal réparti et là, je ne parle pas des élèves.
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