Tout le monde a une idée sur l’école,
que l’on y soit de près ou de loin lié. Ceux qui en parlent le plus en public
ne sont pas forcément ceux qui en parlent le mieux et les idées
« populaires » sur l’école ne sont pas a priori les meilleures. Cela
étant, l’école reste un sujet brûlant, source de polémiques souvent inutiles et
contreproductives.
Philosophes et sociologues
monopolisent souvent le débat dans une approche qui, si elle est complètement
légitime, n’en reste pas moins élitiste et de fait contribue à faire de la
question un sujet fumeux dans lequel les acteurs ne se reconnaissent absolument
pas. J’entends par acteurs de l’école les personnes qui la connaissent le
mieux, celles qui la font fonctionner, souvent envers et contre tous, celles
qui sont sur le terrain. À côté de cela, les débats autour des méthodes pédagogiques, qui
sont parfois le fait d’enseignants, parfois le fait de formateurs ; ils
dérapent assez vite et ne font guère avancer les choses. Enfin, les
kyrielles d’ouvrages raillant l’école et le système éducatif ou encensant
d’hypothétiques résultats et d’utopiques méthodes.
Contrairement à ce que l’on pourrait
imaginer, cette abondance de paroles et d’écrits autour de l’école ne fait
qu’enliser le débat et le rendre illisible. Comme si toutes les idées, toutes
les perspectives, toutes les propositions étaient énoncées pêle-mêle et placées
sur un même plan. Un examen plus attentif révèle que systématiquement, on
confond la fin et les moyens. Ainsi, discuter de méthodes pédagogiques signifie
parler de moyens ; pour que des méthodes soient comparables et justifient
une discussion ou un questionnement, elles doivent servir une même ambition. En
l’état actuel des choses, les débats pédagogiques opposent deux courants, le
constructivisme et l’instructionnisme. Ce dernier a intégré l’idée que l’école
doit former des citoyens libres et éclairés ; pour cela, il considère comme
importante la transmission directe de connaissances et habiletés ou contenu culturel
(apprentissages dits biologiquement secondaires) qui s’acquièrent par un
enseignement spécifique et conscient et non de manière naturelle. Il parle des
moyens choisis pour plus d’efficacité dans ces transmissions. En face, le constructivisme répond en
décrivant les moyens choisis de son côté : transmission indirecte par
découverte, élève au centre, importance du groupe, débats « démocratiques »...
Mais implicitement, il n’a pas en tête les mêmes ambitions ni la même vision de
l’école : il veut créer la société de demain, éduquer les enfants à certaines
valeurs. On comprend alors que dans ce type de perspective, la transmission culturelle
ne soit pas prioritaire, que les moyens pédagogiques diffèrent et que les
données probantes ne soient pas nécessaires. Il fait de l’école un modèle
réduit de la société souhaitée et cela lui suffit. Les instructionnistes eux, vont
parler d’efficacité de la transmission, s’appuyer sur les données probantes
pour s’assurer que les connaissances et habiletés sont bien acquises. De fait,
les interlocuteurs ne parlent pas de la même chose. Il y a crispation quand on
évoque la notion d’efficacité, terme honni par les constructivistes qui
n’aiment pas les mesures, qu’elles concernent leur enseignement ou l’apprentissage
des élèves. Hélas pour eux, les mesures de leurs pratiques, même externes à
l’école, ne fournissent pas non plus un retour positif, que ce soit au niveau
de l’estime de soi, de l’épanouissement, de l’esprit critique ou même de la vie
démocratique, qui pourtant font partie de leurs ambitions éducatives déclarées.
Et cela est maintenant visible aux yeux de tous.
Définir avec précision les buts de
l’École est une question qui doit précéder toute réflexion sur les moyens. Le
rôle de l’École a changé au cours des siècles et changera encore. Cette
question ne devrait être réservée ni aux salons parisiens ni aux alcôves du
ministère car c’est un sujet politique fondamental s’adressant à tous les
citoyens. Il n’en est pas pour autant facile. On sait par exemple que pour certains
l’école doit former l’homme du futur, pour d’autres elle doit en faire des
citoyens éclairés, pour d’autres elle doit former la société de demain, pour
d’autres encore elle sera une pépinière de travailleurs etc… Quoi qu’il en soit,
s’agissant d’école publique, il serait bon que cette institution ait une
ambition claire et explicite. J’insiste sur la clarté car en l’état actuel des
choses, la confusion est reine. On trouve dans les textes officiels une sorte
de mélimélo affectant à l’école des missions telles que : la formation du
citoyen, la transmission de valeurs dites républicaines, la lutte contre
l’injustice, l’intégration dans la société, la réussite des élèves, leur
épanouissement, l’éveil à la curiosité, la sociabilisation, la transmission
d’une morale, l’éducation… Selon les ministres, la place des
enseignements culturels ou des apprentissages scolaires fondamentaux occupe une
place plus ou moins importante. L’impression générale reste un savant désordre
mêlant intentions et moyens. L’un discute fins et l’autre répond moyens ou
l’inverse. On ne pourra débattre pédagogie, c’est-à-dire moyens, uniquement
lorsque l’on sera d’accord sur le but à atteindre. Pour faire court, il est
évident que si l’école se donne pour but de changer la société selon un certain
modèle, elle ne proposera pas les mêmes activités que s’il s’agit pour elle de
construire un adulte intellectuellement autonome et capable de pensée critique.
De de toute évidence, la question,
éminemment politique, effraie ceux qui sont au pouvoir, et ce quelle que soit
leur étiquette. Au total, les choses restent en l’état depuis plusieurs
décennies, les ministres défilent, certains parviennent parfois au terme de
leur mandat, ce qui est un exploit. Et d’année en année, les élèves quittent
l’école à la fois peu savants mais aussi démunis des qualités que l’école est
supposée cultiver, telles que l’estime de soi et l’esprit critique
pour ne citer qu’elles. Jusqu’où faut-il aller pour qu’enfin la vraie question
soit posée : à quoi doit servir l’école dans notre société ? Ce
serait alors le moment de convoquer tous les penseurs, professionnels ou non, les politiques, les
praticiens, les « usagers », les citoyens. Puis viendrait le temps
des débats pédagogiques entre professionnels. En l’état actuel des choses, la
cacophonie continue. La refondation annoncée présente ses propositions dans le
cadre d’une École de la République, laquelle devrait « améliorer la formation de l’ensemble de la
population, accroître sa compétitivité, lutter contre le chômage des jeunes,
réduire les inégalités sociales et territoriales, favoriser la scolarisation
des élèves en situation de handicap et recréer une cohésion nationale et un
lien civique autour de la promesse républicaine. » Magnifique déclaration
d’intention ! Il y manque tout de même la lutte contre la maladie, la
mort, la guerre, la méchanceté et autres fléaux de notre siècle. Et qui a dit
que l’on confondait la fin et les moyens ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires sont modérés. Ne seront retenus que ceux qui sont en rapport avec le sujet, clairement énoncés, courtois, et non injurieux.