Voici un cri du cœur
relatif à l’enseignement de la lecture. Il s’intitule Research About Reading Instruction - A Time For Action. Il est écrit par Robert W. Sweet, Jr président
de l’association américaine National Right to Read Foundation.
En quelques mots bien
sentis, l’auteur s’indigne contre l’entêtement qui perdure depuis des décennies
et qui consiste à utiliser pour l’enseignement de la lecture, une approche
inefficace et déconseillée par la recherche. En voici un court résumé.
Cela fait plus d’un
siècle que l’on se penche sur l’enseignement de la lecture. R.W.Sweet évoque bien
entendu la pionnière de renommée internationale, Jeanne Chall, enseignante à
Harvard, qui en 1967, a étudié tous les travaux sur la question, depuis le début
du siècle, pour en conclure à l’absence totale de preuve justifiant
l’utilisation d’une approche globale. Au contraire, tout montrait
la nécessité d’un enseignement explicite, systématique et phonique ; une
lecture efficace était impossible par une approche globale. A ce moment même,
je note qu’en France nous étions en pleine découverte de la méthode globale, et
hormis quelques enseignants expérimentés qui rechignaient à abandonner une méthode
qui fonctionnait, c’était l’ivresse de la nouveauté. A cette époque, les
éditeurs américains ont malgré tout continué de publier des manuels et des méthodes d’approche
globale.
En 2000, le National Reading Panel s’est
penché sur plus de 100 000 études sur l’enseignement de la lecture, le rapport a été largement diffusé et les
conclusions identiques à celles de Jeanne Chall, faites plusieurs décennies
auparavant. Des millions de dollars ont été dépensés pour mettre en œuvre les
conclusions du NRP mais la communauté éducative a persisté à refuser
catégoriquement de changer ce qu’elle considérait comme « vérité ».
Un rapport de 2013
(Teacher Prep Report from the National Council on Education Quality) pointait
la défaillance des instituts de formation des enseignant dans la préparation
des professeurs à l’enseignement de la lecture. Il observait que les
professeurs étaient toujours attirés par les pratiques nocives des années
précédentes et que les administrateurs scolaires continuaient d’imposer des
manuels d’approche globale.
Aujourd'hui, la situation est
inquiétante car les statistiques nationales révèlent année après année qu’un
tiers des élèves ne lisent pas efficacement à la fin du CE2.L’effet cumulatif
sur plusieurs générations selon le National Adult Literacy Survey est qu’un
adulte américain sur deux sait pas lire du tout ou bien lit très mal. Tout cela
a un coût économique et social exorbitant. Selon l’auteur, ce n’est pas le Common
Core qui pourra y mettre un terme, ni une injection d’argent, ni la réduction
de la taille des classes, ni le choix des enseignants. Le changement se produira uniquement s’il y a une prise de conscience de l’opinion
à propos de l’usage généralisé de méthodes contre-productives.
La recherche se
poursuit. Depuis 2000, elle s’est focalisée sur la manière dont le cerveau est
affecté par l’enseignement de la lecture. Une fois de plus les conclusions confirment
celles plus anciennes. Il n’existe aucune preuve, permettant de justifier un
enseignement global. La triste vérité est ici. Aucune étude scientifique
empirique sur l’enseignement de la lecture sur plus d’un siècle, n’a jamais
conclu que la mémorisation des mots est le meilleur ou le plus efficace moyen
pour apprendre à lire l’anglais.
Il cite le chercheur Keith
Stanovich dans son ouvrage « Progress in Understanding Reading: Scientific Foundations
and New Frontiers, (2000) » qui concluait que :
«
L’enseignement direct du code alphabétique facilite l’acquisition précoce de la
lecture, cela est l’une des conclusions les plus solidement argumentées dans
toute la science comportementale. Inversement, l’idée selon laquelle apprendre
à lire est comme apprendre à parler n’est admise par aucun linguiste,
psychologue, cognitiviste dignes de ce nom, dans la communauté
scientifique. »
Mais aussi Stanislas
Dehaene (“Reading and the Brain: The New Science of How We Read” (2009)
«
L’approche globale a été officiellement abandonnée. Cependant, je la suspecte
d’être toujours présente dans l’esprit des enseignants parce que ses avocats sont
encore fermement ancrés dans leurs positions. En France, comme aux États Unis,
des efforts pour concilier les deux camps ont conduit à l’adoption d’un
compromis malsain appelé méthode mixte. »
L’auteur remarque que
certains réclament encore plus d’études. Il met en exergue l’abondance des
études existantes et la convergence de leurs conclusions qu’il qualifie de « lois
naturelles ». Non sans humour, il fait un parallèle avec la loi de la
gravité ; qui songerait à demander aujourd’hui encore plus d’études pour
prouver qu’un rocher précipité du haut d’une falaise va tomber vers le bas, plutôt
que vers le haut ou sur le côté ?
Pourtant, il en est
ainsi de l’enseignement de la lecture : plus d’un siècle de conclusions
scientifiques sur son enseignement efficace n’ont toujours pas raison de cette
croyance solidement ancrée dans les esprits.
***
Ce coup de gueule est
complètement d’actualité chez nous, mais on pourrait l’attribuer plus largement
aux méthodes pédagogiques inefficaces en général. Cet état de fait qui perdure
depuis des lustres est inquiétant car il
nuit à l’instruction des élèves, les plus vulnérables étant ceux issus de milieux culturellement défavorisés. Et
l’on sait à quel point des enfants ou des adolescents illettrés sont des proies
faciles dans le monde actuel.
Plus largement, il
serait urgent de réfléchir aux raisons de cet entêtement universel qui empêche
les acteurs de l’éducation d’ouvrir les yeux sur le monde réel et sur les
données probantes de la recherche. En ce sens, l’auteur de l’article a
complètement raison quand il dit que les « guerres de la lecture » sont
maintenant terminées. En effet, nous avons dépassé ce stade. Si guerre il y
avait, elle devrait se définir entre les partisans et les adversaires des
données probantes en éducation. On pourrait aussi dire entre ceux qui vivent
dans la réalité et ceux qui la nient. Vaste sujet d’étude.
Bibliographie de l’article
Greenberg, Julie;
McKee, Arthur; Walsh, Kate. Teacher Prep Review: A Review
of the Nation’s
Teacher Preparation
Programs. National Council on Teacher Quality, 2013.
National Adult Literacy
Survey, U.S. Department of Education, 2003.
Stanovich, Keith
E. Progress in Understanding Reading, p. 415. New
York: The Guilford Press,
2000.
DeHaene,
Stanislas. Reading in the Brain: The New Science Of How
We Read, p. 220.
London,
England: Penguin Books, 2009.
Blumenfeld, Samuel
L. Phonics for Success, pp. 146‐47. Waltham,
MA: Phonics for Success
Company, 2014.
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