Dès
qu’un problème de société surgit, le réflexe premier de nos dirigeants est de
faire appel à l’école : violence, racisme, homophobie, accidents de la
circulation, addictions, obésité…La liste n’est pas exhaustive et risque encore
de s’agrandir, au vu des nombreux problèmes sociétaux qui apparaissent jour
après jour. Nul ne peut douter des louables intentions qui motivent cet
élargissement des buts assignés à l’école. La semaine dernière encore, le
journal télévisé faisait un grand reportage sur ces élèves qui arrivent à l’école
le ventre vide. Solution : certaines écoles bienveillantes organisent des
petits déjeuners. Un spécialiste du cerveau était même convoqué pour expliquer
les besoins du cerveau en sucre pour la concentration en classe. Curieusement,
rien sur la responsabilité des parents ; pourtant, il y aurait de quoi faire un
reportage ; quand des parents ne sont pas en mesure de fournir un petit
déjeuner à leurs enfants avant de partir à l’école, qu’en sera-t-il de leur éducation
sur le long terme et donc de leur avenir ? Je précise qu’il ne s’agissait pas
dans le reportage de personnes démunies au point de ne pas pouvoir nourrir leurs
enfants, mais simplement de parents incapables de les obliger à manger.
Curieusement aussi, le reportage était muet sur les quantités de sucreries que
les enfants (les mêmes qui ne prennent pas de petit déjeuner) ingurgitent lors
des récréations. Pourquoi les écoles soucieuses de l’équilibre alimentaire des
élèves n’interdisent-elles pas les
sucreries des récréations ?
Nous
voyons donc augmenter sans cesse le nombre de tâches que nous devons réaliser
dans les classes. Le projet de socle commun définit 5
grands domaines de formation. Nous
avons bien noté qu’il ne s’agit plus de disciplines, ni d’enseignements. La
formation du citoyen relève du 3ème domaine, et vient avant la
compréhension du monde.
Certes,
cela n’est pas une nouveauté : c’est un fait que l’école minore
l’importance de l’instruction au profit de l’éducation. Mais les injonctions éducatives ont beau se multiplier, les résultats, eux se font
attendre, la violence persiste, ainsi
que le racisme, l’obésité, la mal nutrition… La kyrielle d’observatoires
consacrés aux divers problèmes n’a jamais mis en évidence aucune amélioration. Il
est singulier de persister de la sorte à donner des injonctions pédagogiques
sans se soucier des résultats ou plutôt de leur absence. Il est facile de
dire : il faut former le citoyen de demain, il faut donner aux élèves l’esprit critique et de jugement, en même temps que
le sentiment d’appartenance à une collectivité sans donner d’autre piste crédible
que la philo à l’école maternelle ou autres billevesées. Et tout en réduisant,
de fait, la place accordée à l’enseignement des disciplines et de la culture
générale. Plus on prétend former les personnes, plus les résultats s’éloignent
du modèle souhaité.
On
a changé les objectifs de l’école lorsqu’on est passé d’un but affiché
d’instruction à celui d’éducation et maintenant de formation des personnes. On s’est
imaginé que l’instruction était incompatible (voire même contre-productive)
avec la formation des individus et avec celle du citoyen éclairé ; comme
s’il existait une autre voie que celle de la connaissance pour former le
citoyen. C’est là que réside l’erreur. La formation du citoyen éclairé passe
par l’instruction, sans quoi, on obtient un être docile, malléable qu’il sera
facile d’endoctriner.
Dans
le chapitre Formation de l’individu,
il y a entre autres choses, la formation de l’esprit critique et l’estime de soi, traités spécifiquement, comme
si on pouvait y former ex nihilo, en dehors de toute connaissance. Il faut bien
admettre que ces deux éléments ne peuvent être enseignés isolément et
spécifiquement. Les expériences qui ont eu lieu aux États-Unis l’ont bien
montré : les cours d’esprit critique ou d’estime de soi se sont révélé des
fiascos ; Jean Twenge l’a très bien décrit dans ses travaux.
De la même manière, enseigner l’esprit critique ne peut se concevoir que dans
un champ disciplinaire, sans quoi cela revient à formater les esprits, à dire
le bien et le mal, en aucun cas à former un esprit libre. Voir les travaux
de Daniel Willingham sur la question.
Pour
les valeurs telles que la solidarité, l’ouverture aux autres, la tolérance, la
non-violence, il faudrait réaliser que
même si l’école, par son fonctionnement, véhicule ces valeurs-là, c’est la
famille qui représente la plus grande influence. Ces valeurs, même si elles
nous semblent universelles, ne sont pas partagées par toutes les familles ; dès lors, on
comprend mieux les difficultés de l’école pour atteindre le but fixé. Difficultés
alourdies par la nécessité d’agir « dans le respect de l’éducation donnée
par les familles» comme le précise le Socle commun. Comment transmettre par
exemple l’idée de non-violence et de respect de l’autre quand un parent d’élève
vient agresser verbalement ou physiquement l’enseignant à la sortie, devant les
élèves ? Il
en est de même pour des sujets comme l’obésité, la malnutrition, le tabagisme.
On peut certainement expliquer aux élèves pourquoi cela est mauvais et, dans le
meilleur des cas, réaliser une
sensibilisation au problème, mais il est mensonger de faire croire que l’école
à elle seule, est susceptible de changer les mentalités profondes et les
comportements des familles.
En
annonçant que désormais l’école va former l’individu et le futur citoyen, on
choisit de délaisser l’enseignement systématique et explicite des disciplines
et de la culture générale qui de fait, sont la base de l’esprit critique et du
jugement, tant souhaités pourtant par les textes officiels.
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