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samedi 21 avril 2012

L’impossible débat : Pédagogies de découverte vs Pédagogie Explicite


Contrairement à ce que l’on entend ici et là, la question, Pédagogie Explicite vs Pédagogie de découverte, est très bien posée. Il s’agirait, dans l’absolu, de voir quelles formes pédagogiques conviennent le mieux aux apprentissages de tous les élèves. Quels sont respectivement leurs points faibles et leurs forces, quels arguments peuvent être présentés pour les justifier et surtout sur quelles données probantes elles s’appuient.

 Mais cela pourrait exister dans un pays imaginaire où pour commencer, on serait d’accord sur les objectifs de l’école : fournir aux élèves des apprentissages scolaires (i.e. culturels et non naturels) leur permettant de former leur esprit et de devenir ainsi des citoyens éclairés. On fait mine de partager cette ambition sous couvert de “valeurs républicaines” ; les uns mettent derrière ce terme un retour à l’ancien temps, celui de l’encre violette et des coups de règle, les autres y voient aussi un retour à un temps ancien, certes un peu moins, celui des mouvements pour l’Éducation nouvelle.  Mais au fond, qui se soucie d’efficacité ? Qui prouve que telle méthode est bonne ?  Le débat serait aussi possible dans un pays imaginaire où chacun accepterait de se confronter aux preuves, aux résultats de terrain, aux résultats des dernières recherches en sciences cognitives.

Mais la réalité est hélas toute autre. Non seulement, ni les uns ni les autres ne sont d’accord sur les véritables buts de l’École, mais de plus, la discussion est impossible car les argumentaires reposent pour les uns sur des idées, pour les autres sur des données probantes, pour d’autres encore, certes en minorité, sur une tradition. Mais qu’est-ce qui est plus crédible : une idée aussi séduisante soit-elle, parée de toutes les vertus humanistes possibles, une preuve au regard de l’efficacité, ou l’attachement à une tradition ? On tombe alors dans le dialogue de sourds, dans la caricature, dans la mauvaise foi. C’est ce qui se passe depuis de nombreuses années dans le “débat” français et cela n’est pas prêt de s’arrêter.

Quand on soutient que l’efficacité de l’enseignement peut être obtenue par des méthodes fortement guidées, et que cela est démontré par de nombreuses études en psychologie cognitive [1], alors on vous traite de néolibéral (ce qui n’est pas un compliment), et de partisan de l’individualisation (autre insulte). Or, un enseignement guidé n’a aucun rapport avec l’individualisation puisque justement il s’adresse à des groupes classes ; le reproche est un peu fort de café de la part de ceux qui revendiquent à grands cris la différenciation pédagogique pour chaque élève (dont au  passage il a été montré qu’elle n’améliorerait en rien les résultats scolaires [2]).

Les constructivistes, au pouvoir pédagogique depuis plus de quarante ans, ne digèrent pas les échecs des pratiques qu’ils ont imposées aux enseignants. Plutôt que de les remettre en cause et de se pencher sur ce qui n’a pas fonctionné [3], ils préfèrent user d’arguties spécieuses mais maintenant éculées, dans le style : nos théories n’ont jamais été correctement appliquées et l’enseignement traditionnel et magistral n’a jamais été éradiqué des écoles. À ce stade, on est en droit de se demander s’il s’agit de mauvaise foi ou d’imbécillité. Quiconque a fréquenté les écoles françaises depuis les dernières décennies – et c’est personnellement mon cas – n’aura pas manqué de constater à quel point règnent les méthodes de découverte, à quel point la transmission directe et explicite est bannie des classes, à quel point les élèves sont lancés tout seuls dans la complexité, à quel point ce type d’enseignement nuit aux élèves socialement défavorisés que leurs familles ne peuvent aider scolairement.

Et puis, comme la plupart de ceux qui refusent de voir leurs idées contestés, ils refusent d’admettre la critique qui consiste à mettre l’échec de l’école sur le dos des pratiques laxistes centrées sur l’enfant. La centration sur l’enfant, qu’ils ont revendiquée comme un but en soi, panacée de toutes les difficultés d’apprentissage leur revient au visage.

Posé ainsi, l’argument ne fait pas sens. Après tout, si le laxisme ou la centration sur l’enfant permettait aux élèves d’apprendre mieux, qui songerait à le leur reprocher ? Non, ce qu’on peut et qu’on doit leur reprocher, c’est le manque d’efficacité, c’est tout. C’est le choix d’outils pédagogiques ne permettant pas d’atteindre les buts fixés par les programmes.

Les constructivistes ont fait plusieurs erreurs : d’abord ils sont partis du principe que la théorie constructiviste portant sur l’apprentissage pouvait s’appliquer à l’enseignement. Fort de cette conviction, ils ne se sont pas préoccupés d’en valider le principe, la considérant comme vérité universelle. Cela montre bien qu’ils sont guidés par des idées et non par des preuves. Puis ils ont déclaré que, par conséquent, le meilleur outil pour enseigner était l’utilisation de méthodes de découverte et un enseignement faiblement guidé. Cela est passé du stade de l’hypothèse à celui de vérité, puis d’injonction pédagogique auprès des enseignants, sans aucune étude intermédiaire. La classification d’Ellis & Fouts [4], qui fait consensus dans le monde scientifique, leur était (et leur est toujours) inconnue, ce qui est un peu normal vu qu’ils ne se situent pas dans un argumentaire scientifique mais idéologique. Cela est néanmoins très grave, aussi grave que de mettre sur le marché des médicaments n’ayant pas l’autorisation de mise en vente sur le marché.

Aujourd’hui, l’Enseignement Explicite sort timidement de l’ombre et commence à inquiéter les tenants de l’implicite. Certains le rejettent en bloc en l’assimilant à l’enseignement traditionnel dont pourtant il est fortement éloigné, mais la mauvaise foi tient lieu d’argument. D’autres, dans une position un peu ambiguë, croient que l’on peut mélanger constructivisme et Enseignement Explicite même si cela est un non-sens sur le plan cognitif. En effet, l’Enseignement Explicite pense toutes ses procédures pour éviter la surcharge cognitive et pour obtenir la meilleure acquisition des compétences en transmettant directement, en partant du simple pour aller vers le complexe, en procédant pas à pas, en donnant une pratique abondante, une correction raisonnée, en participant au surapprentissage, en libérant la mémoire de travail afin qu’elle se consacre au raisonnement. De tout cela, les méthodes de découverte sont incapables : elles surchargent cognitivement l’enfant en le mettant face à des situations complexes qu’ils n’a pas les moyens de résoudre, elles ne donnent pas assez de pratique, elles n’associent pas cognitivement l’élève à ses apprentissages, elles laissent les erreurs s’installer, l’accès direct à la complexité ne permet pas la mise en mémoire des informations. Ces deux méthodes sont donc complètement incompatibles dans l’étape d’acquisition des connaissances et habiletés. Certes l’Enseignement Explicite n’a pas le monopole de l’efficacité, et par conséquent toute autre méthode portant ses fruits doit avoir pignon sur rue. Mais encore faut-il que les preuves soient là, bien tangibles et que la validité ne repose pas sur l’opinion de quelques-uns, qu’ils soient praticiens ou formateurs.

Méfions-nous donc des labels “explicite” qui commencent à parsemer certaines pratiques constructivistes pensant ainsi redorer le blason de méthodes maintenant assimilées dans l’opinion au laxisme, à l’inefficacité et à l’injustice sociale. L’Enseignement Explicite est porteur d’un véritable rapport à l’efficacité, il s’appuie sur des études probantes et sur tout ce que nous savons maintenant du fonctionnement du cerveau humain. En aucune manière, il n’est compatible avec l’utilisation de méthodes de découverte comme moyen d’apprentissage.

Pour conclure, il n’est donc pas excessif d’affirmer que le débat est actuellement impossible. Il le sera un jour lointain, quand les données probantes auront pénétré le champ éducatif et que les argumentations se feront sur des preuves tangibles. Tant que les uns argumenteront sur le plan idéologique et les autres sur celui des données, cela restera une vaste mascarade dans laquelle la mauvaise foi côtoiera les procès d’intention et les raccourcis mensongers. En attendant ce temps hypothétique, les enseignants font ce qu’ils peuvent, certains élèves s’en sortent mais beaucoup n’ont pas cette chance. Les officines de soutien scolaire prolifèrent. Les traditionnalistes refont surface en revendiquant le bon vieux temps des plumes Sergent Major. Les erreurs sont humaines mais à ce stade, la persévérance frise l’acharnement.



[1] . Résumé : Mettre les élèves sur le chemin des apprentissages (Richard E. Clark, Paul A. Kirschner, John Sweller)

Pourquoi un enseignement peu guidé ne fonctionne pas : une analyse de l’échec de l’enseignement constructiviste, et autres pédagogies par découverte, par situations problèmes, par expériences et enquêtes (Paul A. Kirschner, John Sweller, Richard E. Clark)

Résumé : Les conséquences pédagogiques de la théorie psychologique évolutionniste de David C. Geary (John Sweller)




[3] . Mais encore faudrait-il qu’ils fassent preuve d’esprit dynamique tel que défini par l’étude de Carol Dweck.


Synthèse : La taxonomie d’Ellis et Fouts : voir ici






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