Voici, une fois de plus, un
article de Philippe Meirieu qui émeut le microcosme antipédagogiste, à tel
point que J.P. Brighelli voit maintenant en lui l’incarnation du Mal. Il est à
regretter que les questions soulevées par son auteur ne soient pas développées
par un argumentaire plus construit et étayé d’exemples de pratiques
professionnelles, justifiées par la recherche. Car elles sont intéressantes. En
voici quelques-unes [1].
La place de la pédagogie
« C'est pourquoi le refus de la
pédagogie -si bien porté dans l'intelligentsia- est particulièrement
irresponsable. »
La pédagogie est née à partir du
moment où l’on est passé du préceptorat à l’enseignement collectif : il a bien
fallu à ce moment-là s’intéresser à la manière dont on transmettait, afin que
celle-ci soit le plus efficace possible, pour tous les élèves. Ce faisant, on
s’est aussi penché sur ce que l’on appelle aujourd’hui la gestion de classe
(installer les conditions optimales pour que les apprentissages se fassent au
mieux). Contrairement à ce que croient les antipédagogistes (qui se
revendiquent du courant républicain), la maîtrise disciplinaire à elle seule ne
suffit pas à enseigner efficacement. Sans un savoir-faire pédagogique, elle reste
vaine. Néanmoins, cela ne veut pas dire que toutes les pratiques pédagogiques
se valent ; certaines sont efficaces, d’autres moins, d’autres pas du tout.
Curieusement, Philippe Meirieu élude la question de l’évaluation des pratiques
pédagogiques comme si celle qu'il propose depuis des années était hors
concours, comme si son efficacité était un principe acquis.
« Avec un "esprit de
sérieux" nourri, parfois, à de savantes références (Kant, Condorcet,
Durkheim, Orwell, Arendt, etc.), on nous explique, en effet, aujourd'hui, que
la pédagogie ne serait qu'une forme de renoncement, de démagogie, quand ce
n'est pas de pédophilie! »
Dans le camp des
antipédagogistes, on rejette toute forme de pédagogie, au prétexte que
certaines d’entre elles ont fait montre de leurs limites. Ou encore mieux, on
décrète que la pédagogie n’existe pas, qu’on apprend à enseigner en enseignant,
qu’enseigner est un art complexe… Quant aux références savantes, elles prennent
soin d’écarter tout ce qui a un rapport avec la manière d’enseigner ou avec la
façon d’apprendre des élèves ; les données probantes et études expérimentales à
large échelle menées à l’heure actuelle en matière éducative n’ont pas voix au
chapitre. Quant aux sciences cognitives, elles sont tout simplement mises à l’index.
Le rejet haineux de la pédagogie et de tout ce qui concerne la façon
d’apprendre en dit long sur ses partisans qui vouent un culte aux contenus
disciplinaires, oubliant que si l’enseignant ne possède pas les outils pour les
transmettre, cela ne fonctionnera pas.
La pédagogie a toute sa place
dans l’enseignement, elle consiste à déterminer les méthodes les plus aptes à
permettre aux élèves de réaliser les apprentissages. Elle est indispensable si
l’on veut que tous les élèves puissent apprendre. Il est trompeur de dire que
la seule maîtrise des contenus disciplinaires par l’enseignant suffit à la
transmission de ces contenus. Sans le savoir-faire pédagogique, les programmes
sont inutiles ; à quoi bon maîtriser toutes les subtilités de la langue française
par exemple, si je ne sais pas les expliquer, les faire assimiler par mes
élèves. Non, le cours magistral ne suffit pas. Mais ceux qui honnissent ainsi
la pédagogie ne savent pas (ou ne veulent pas savoir) que depuis les années 60
on étudie les pratiques pédagogiques en fonction de leur rapport à
l’efficacité. On a remarqué que toutes ne se valaient pas. Comme on a remarqué
que certaines d’entre elles avaient un bon rapport à l’efficacité, en
particulier pour les élèves en difficulté. Refuser de choisir une méthode
pédagogique efficace revient à laisser de côté les élèves qui n’ont pas la
chance d’avoir une famille qui compense, cela est profondément inégalitaire.
L’enseignant efficace maîtrise les contenus, cela est une évidence ; mais il
sait exactement ce qu'il doit faire pour transmettre ces contenus avec succès.
Il est expert en pratiques pédagogiques. Dans un panel de méthodes et d’actions
pédagogiques tamisées au filtre de l’expertise et des conclusions de la
recherche, il choisira les mieux adaptées à la situation. Il est responsable de
ce choix et rendra compte des résultats.
« En ignorant radicalement
l'histoire de cette pédagogie, ses textes fondateurs comme l'œuvre de ses
grandes "figures", ils nous expliquent, du haut de leur certitude
ignorante, que la pédagogie place l'enfant et l'adulte sur un pied d'égalité
absolue, renonce à toute transmission et réduit le maître à contempler
béatement des aptitudes qui s'éveillent chez ces "petits chéris"!
Quelle inculture de la part de ceux et celles qui défendent le patrimoine et la
culture! »
Voilà un point commun entre
Philippe Meirieu et les antipédagogistes. Tous font un regrettable amalgame
entre pédagogie et pédagogie constructiviste. Comme s’il n’existait au monde qu'une seule forme de pédagogie : le constructivisme, lequel aurait éradiqué
toutes les autres approches. Philippe
Meirieu dit : pédagogie = pédagogie constructiviste. Les
antipédagogistes le croient et disent : nous sommes hostiles à la pédagogie.
Qui fait preuve d’inculture dans l’histoire ? Et que penser de l’esprit
critique que tous prétendent inculquer à leurs élèves ?
L’autorité en éducation
« On passe ainsi à la trappe tout
le travail pédagogique. Et, par sottise ou par paresse, on entretient des
confusions systématiques. On sape, en réalité, tout le travail de construction
de l'autorité en éducation. » (...) « Et, quand le pédagogue évoque, comme il
le fait systématiquement, "la construction de la loi" par les élèves,
son adversaire fait mine de croire qu'il renonce à l'exercice de son autorité,
alors que, tout au contraire, il l'affirme... »
Le travail de construction de
l’autorité en éducation repose sur plusieurs aspects. L’autorité de statut qui
est conférée par le pouvoir légal d’exercer le métier, l’autorité de compétence
ou expertise professionnelle possédée par une personne dans un domaine du
savoir. Pour un enseignant, elle s’appuie sur la maîtrise des contenus à
enseigner et sur un savoir pédagogique. Mais aussi sur l’autorité personnelle
émanant de la personne (relations personnelles, aptitude à rassembler, à
convaincre) et enfin sur l’autorité intérieure ou maîtrise de soi permettant au
professionnel de se contrôler en toute situation. La question de l’autorité a
toujours posé problème aux enseignants qui ont du mal à accepter leur autorité
de compétence et craignent trop souvent de passer pour autoritaires s’ils y
font référence. De plus, leur autorité de compétence a été méchamment sapée par
l’intrusion des parents d’élèves dans le domaine pédagogique. Ce fut une lourde
erreur que de les laisser s’immiscer dans un domaine pour lequel ils n’ont pas
de compétence. La construction de l’autorité par les élèves présuppose que
l’enseignant lui-même ait les idées claires sur la question et qu’il ne soit
pas gêné d’assumer toutes les formes de son autorité qui garantissent à l’élève
le cadre structuré et rassurant lui permettant de profiter au mieux des
enseignements.
La motivation
« Ainsi, quand le pédagogue dit
qu'il faut "motiver les élèves", son adversaire fait mine de croire
qu'il veut s'assujettir à leurs "intérêts immédiats et spontanés" et
renoncer à toute proposition nouvelle ! Alors que, tout au contraire, le
pédagogue propose de mettre toute son énergie, toute son intelligence et toute
son imagination pour mobiliser ses élèves sur des objets culturels et des
œuvres qui leur permettront de s'exhausser au-dessus de la situation dans
laquelle ils se trouvent et dans laquelle il ne faut surtout pas les enfermer.
»
Bien sûr, il faut motiver les
élèves. L’erreur des décennies précédentes a été de croire que la motivation
devait être d’ordre non scolaire et non cognitif. Cela ne fonctionne pas. La
motivation à l’école est d’ordre scolaire. Elle consiste à donner l’envie
d’apprendre, en montrant aux élèves qu'en faisant des efforts et en utilisant
les bonnes stratégies, tous sont capables de progresser. Le plaisir à l’école
ne consiste pas à assouvir des besoins immédiats, mais à réussir une tâche
après avoir fourni des efforts. Les efforts consistent à persévérer et ce,
malgré l’éventuel déplaisir. La motivation ne réside pas tant dans le choix des
supports, mais bel et bien dans la manière de les enseigner et de les
communiquer. Bien sûr, il faut avoir de hautes ambitions pour chacun de ses
élèves, indépendamment de leur niveau de départ, et l’accès aux œuvres et
objets culturels autres que la sempiternelle recette de cuisine du gâteau au
yaourt doit être à l’ordre du jour.
Enseigner ce qui fait sens.
« Quand le pédagogue explique
qu'il faut enseigner "ce qui fait sens" pour l'enfant, son adversaire
fait mine de croire qu'on ne doit lui apprendre que ce qu'il peut utiliser tout
de suite dans sa vie quotidienne pour résoudre des problèmes matériels à très
court terme ! »
Honnêtement, comment peut-on
utiliser un tel slogan et puis se plaindre qu'il soit mal interprété ?
Malheureusement, l’explication que tente d’en donner Philippe Meirieu ne fait
que rajouter de la confusion : « Alors que, tout au contraire, le pédagogue
travaille à rechercher des dimensions du sens capables de toucher le sujet dans
ce qu'il a de plus universel : il cherche à le mobiliser en le confrontant aux
questions fondatrices de la culture et ne répugne surtout pas à lui demander un
effort dès lors qu'il s'agit d'entrer dans l'intelligence des choses humaines.
» Tout ce qu'on enseigne ne fait pas a priori sens d’emblée. Est-ce que la
lecture fait sens pour un enfant de 6 ans ? Est-ce que le calcul fait sens pour
le même enfant ? Le rôle de l’enseignant est justement de donner du sens à ce
qui a priori n’en a pas pour l’enfant auquel il s’adresse. Tout ce qui est
enseigné, quelle que soit la discipline, doit faire sens. Sinon, l’enseignant a
échoué. Comment ? Par une méthode pédagogique capable de mettre en exergue ce
sens, par des procédures ne laissant rien au hasard et tenant compte des
impératifs dictés par l’architecture cognitive des élèves, qui est maintenant
bien connue. Pour comprendre (= faire du sens [2]), l’enfant doit déjà posséder
en mémoire à long terme un certain nombre de connaissances et d’habiletés.
Certaines sont indispensables pour lui permettre d’accéder à la nouvelle
information. C’est d’ailleurs pour cela que l’on doit enseigner les choses dans
un certain ordre, avec une progression particulière et de manière progressive.
Or, il ne semble pas que le constructivisme en vigueur depuis plusieurs
décennies ait mis un point d’honneur à enseigner ce que l’enfant était capable
de comprendre. Quand on part du complexe, quand on met l’enfant en situation de
découverte sans s’assurer que chacun possède tous les éléments pour parvenir à
la résolution, alors on n’enseigne pas ce qui fait sens ; dans ce cas, les bons
élèves s’en tirent à peu près ; les moyens pataugent et risquent même de
retenir des modes de résolution erronés (qui seront difficiles à oublier) ;
quant aux autres, leurs acquisitions sont nulles, leur estime de soi bien piètre, et la
motivation s’enfuit au galop.
Quoi qu'en dise Philippe Meirieu,
c’est un fait et non une vue de l’esprit que, depuis plusieurs décennies, les
enseignants ont focalisé leurs pratiques sur les sujets de la vie quotidienne,
sur les supposées préoccupations personnelles des élèves… car on leur avait dit
qu'elles « faisaient sens ». Il s’agit du fameux « vécu de l’enfant ». Alors,
peut-être les enseignants n’ont-ils rien compris aux injonctions de leur
hiérarchie, peut-être ont-ils mal interprété la pensée pédagogique dominante qu'on a tenté de leur inculquer ; en tout cas rien n’a été fait pour les
écarter de ce chemin que l’on nous dit maintenant erroné.
Des élèves actifs
« Quand le pédagogue parle de
"rendre l'élève actif", son adversaire fait mine de croire qu'il veut
promouvoir le bricolage généralisé... alors qu'il s'agit, tout au contraire,
d'insister sur l'importance des activités mentales et d'un vrai travail
intellectuel. Quand le pédagogue parle de mettre en place des "travaux de
groupe", son adversaire fait mine de croire qu'on abandonne les élèves à
eux-mêmes, sans objectif ni consigne... alors qu'il s'agit, tout au contraire,
de concevoir des dispositifs structurés, à partir d'apports individuels
maîtrisés et selon des règles de fonctionnement minutieusement élaborées. »
L’élève doit être actif sur le plan
cognitif ; malgré les bonnes intentions de Philippe Meirieu, les élèves actifs qu’il décrit se sont très
vite transformés en élèves agités, ce qui n’est pas la même chose. Et les
travaux de groupe chers aux constructivistes se sont bien souvent révélés être
contre-productifs sur le plan des apprentissages ; en quelques secondes la
classe active s’est transformée en classe agitée.
Comment rendre les élèves actifs
cognitivement ? Les solutions reposent une fois de plus sur une méthode
pédagogique efficace, procédant de manière progressive, allant du simple vers
le complexe, sollicitant les élèves sans cesse, leur apportant une pratique
abondante et un feedback fréquent,
partant des besoins réels de chacun tout en ayant de hautes ambitions pour
tous. Cet enseignement repose aussi sur une bonne gestion de classe installant
un climat de confiance propice à l’apprentissage ainsi que sur une gestion du
temps efficace [3].
La formation
« C'est pourquoi la suppression
de facto de toute formation pédagogique des enseignants dans le cadre de la
réforme des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) est une
catastrophe. Privés de cette formation essentielle à l'exercice de leur
autorité, les professeurs qui débarquent aujourd'hui dans les classes n'ont le
choix qu'entre la dépression et la répression. » (…) « Il faut des “unités pédagogiques” à taille
humaine où les adultes puissent, solidairement, incarner une institution, ses
finalités et ses promesses ainsi que les contraintes nécessaires à son
fonctionnement. »
On ne peut qu'être d’accord avec
l’idée que la non-formation (car c’est bien de cela qu’il s’agit) est encore
pire que la formation, aussi défaillante qu'elle ait été. La formation initiale
devrait enseigner toutes les pratiques pédagogiques, aussi diverses
soient-elles, en relation avec leurs efficacités respectives, basées sur les
données probantes et non sur une idéologie. La formation doit créer de
véritables professionnels et ceux dès la première année d’enseignement. On ne
doit pas être obligé d’avoir un grand nombre d’années de pratique du métier
pour enfin être performant : on doit l’être dès la première année, on ne peut
pas se permettre de sacrifier des générations d’élèves au prétexte que
l’enseignant débute. Les données probantes devraient faire partie de la
formation, car il serait enfin grand temps que toute injonction pédagogique
s’appuie sur des faits avérés, sur une efficacité démontrée. Il serait grand
temps de ne proposer sur le marché pédagogique que des produits ayant fait
leurs preuves auprès de vrais élèves, et auprès d’un grand nombre d’élèves. Il
serait grand temps que les jeunes maîtres aient connaissance de ce qui se passe
dans le cerveau de leurs élèves lors des apprentissages : les sciences
cognitives doivent enfin entrer dans le champ éducatif et à ce titre faire
partie de la formation initiale, mais aussi continue. C’est par une formation
de ce type que l’on réussira à former de vrais professionnels. Mais encore
faudra-t-il que l’autorité de compétence qu'ils auront ainsi acquise ne soit
pas remise en question par une ingérence, de la part des parents d’élèves par
exemple.
Retour en arrière
« Car, quand l'édifice s'écroule,
on peut effectivement se contenter de nettoyer les abords et regarder les
ruines avec la nostalgie d'un passé révolu... Ou l'on peut tenter de
reconstruire une cohérence interne qui permettra à l'édifice d'accueillir plus et
mieux, de garantir la qualité des activités qui s'y déroulent ainsi que la
réussite de chacune et de chacun... C'est la situation de notre École
aujourd'hui : "musée privé" ou "service public", elle est à
la croisée des chemins. »
En effet, la tentation est grande
quand tout va mal, de se réfugier dans une douce nostalgie et de vouloir à tout
prix ressusciter le bon vieux temps. Le bon vieux temps des blouses grises, des
coups de règle et de l’encre violette. Cela évite de réfléchir, de se remettre
en question. La plus grande erreur en matière éducative est de se tenir hors de
la réalité, c’est-à-dire hors des données probantes. Avec les myriades d’études
à notre disposition aujourd’hui, les avancées des sciences cognitives, les
études expérimentales à grande échelle, les avancées technologiques, nous avons
les moyens de mettre en œuvre une école efficace. Par conséquent, il
serait dépassé et nocif de vouloir
construire une école sur des principes idéologiques ou sur une tradition, sans
qu’ils aient été passés au crible de l’expérience et des données probantes. Ce
sont des pratiques d’une époque maintenant révolue.
[1] Entre guillemets et en
italique, les citations de Philippe Meirieu.
[2] Personnellement, le mot
comprendre me semble plus approprié que l’expression « faire du sens».
[3] Il est question ici
d’Enseignement Explicite.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Les commentaires sont modérés. Ne seront retenus que ceux qui sont en rapport avec le sujet, clairement énoncés, courtois, et non injurieux.