Je poursuis aujourd’hui le
précédent billet en évoquant la croyance selon laquelle « il vaut mieux
une tête bien faite qu’une tête bien pleine », souvent associée au thème
de l’enfant cruche, qu’un enseignement transmissif voudrait remplir
d’informations non maîtrisées. Souvent,
les raisonnements binaires sont l’apanage d’une pensée réduite à sa plus simple
expression. C’est bien le cas dans cet anathème. Mais le cerveau est une
affaire bien plus compliquée.
Cet adage oppose la forme et le
fond. Comme si la maîtrise des procédures telles que le raisonnement, la pensée
critique, à elles seules suffisaient, et pouvaient se passer de contenus (les
informations en mémoire à long terme). Cela est un non-sens sur le plan
cognitif. C’est ce que E.D. Hirsch appelle le formalisme.
En réalité, une tête bien faite
est une tête en bon état de marche, c’est-à-dire capable de raisonner. Chaque
enseignant doit avoir pour but de contribuer à un tel développement chez ses
élèves. Nous savons maintenant qu’une tête, pour bien fonctionner, doit être
correctement nourrie. Il est vain de prétendre enseigner à raisonner et à avoir
l’esprit critique si le cerveau ne possède aucune information sur laquelle
exercer ces aptitudes. D.Willingham,
entre autres, l’a parfaitement montré. Pour construire un raisonnement, il faut
avoir intégré un certain nombre de procédés et de matériaux. Prétendre enseigner à penser sans fournir les
connaissances nécessaires s’appelle du bourrage de crâne et n’a rien à envier
au “parler” des perroquets.
Le maintien en mémoire des
informations est indispensable dans toutes les disciplines car il fournira le
matériau nécessaire pour travailler sur les faits, les mettre en pratique, les questionner,
les discuter, les connecter entre eux, les analyser, les vérifier, les réfuter,
les utiliser pour d’autres tâches. S’il n’y a rien en mémoire, tout cela sera
impossible, le travail d’élaboration de la pensée critique ne se fera pas. Au
mieux, les élèves seront capables de répéter des idées toutes faites dont ils
ne maîtriseront ni les tenants, ni les aboutissants.
La
compréhension consiste donc à aller chercher des informations pour les mettre
en relation avec d’autres ou avec les nouveautés. C’est le procédé qui préside
à la résolution de problèmes. Par conséquent, il est indispensable qu’une
partie de l’enseignement soit consacré à acquérir ces informations. Cela passe
par la mémorisation. Souvent, elle est assimilée au seul apprentissage par
cœur, tant honni, au prétexte fallacieux qu’il empêcherait la compréhension.
Mais encore faut-il savoir en quoi consiste l’apprentissage par cœur. D.Willingham l’a très bien
expliqué, et a montré que les situations d’apprentissage par cœur (mémorisation
sans tenir aucun compte du sens) sont de fait très rares dans les classes. Il
n’en reste pas moins que la mémorisation des faits est indispensable, elle suit
les explications et doit se faire de
manière systématique, par une pratique abondante, par des révisions fréquentes.
La compréhension et la mémorisation sont intimement liées. Les cruches ne sont
pas réputées pour leur engagement actif, c’est bien connu ; un
enseignement transmettant des contenus serait supposé rendre les élèves passifs. Je ferai dans un prochain
billet une synthèse sur l’idée de passivité à l’école et montrerai en quoi l’Enseignement Explicite ne
peut pas en être à l’origine.
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