J’ai récemment découvert un blog de langue anglaise consacré à la recherche en éducation :Webs of substance. Harry
Web, l’auteur, y a récemment écrit un post
à propos de l’inflexion éducative prise par le nouveau gouvernement en Australie.
Ce faisant, il évoque les contradictions inhérentes à la pédagogie
constructiviste et les poncifs qui émaillent régulièrement les discussions.
Les
poncifs n’ont pas de frontières. Chez nous, on entend par exemple dans la
bouche des détracteurs de l’instructionnisme: « Il vaut mieux une tête bien faite qu’une tête bien pleine». Ils
parlent aussi de « cruches à remplir ».
Le thème du contenant se décline également sous forme du seau en langue
anglaise. Ainsi, outre-manche, M.Beveridge explique que le Direct
Instruction « essentially views
children as giant buckets, with teachers’ jobs being to impart as much
information as possible to fill this bucket. » Autrement dit :
« D.I. considère les enfants comme
des seaux géants dans lesquels les enseignants doivent déposer le plus
d’informations possible ». L’allégorie du seau serait attribuée, de
manière erronée à W.B.Yeats : « Éduquer
consiste à allumer un feu et non à remplir un seau.[1] » Les partisans des
méthodes transmissives sont donc accusés de considérer les élèves comme de
vulgaires contenants, passifs et dénués d’intelligence. Comme le souligne Harry
Web dans son post, si l’on doit se battre à coup de slogans péjoratifs, alors
pourquoi ne pas rétorquer ainsi : « Le constructivisme considère les enfants comme des rats de laboratoire cherchant
leur chemin dans un labyrinthe complexe, avec des enseignants qui de temps en
temps, les aiguillonnent. »
Mais
au-delà des anathèmes et autres mantras, voyons un peu ce que nous dit la
recherche. Il est question ici de constructivisme en tant que pratique
pédagogique, non en tant que théorie d’apprentissage. Ce sont deux choses bien
différentes. Que les élèves apprennent en construisant eux-mêmes leurs savoirs
n’induit pas forcément que la méthode d’enseignement constructiviste soit
efficace. Aucune recherche n’a montré la validité de ce supposé lien. C’est
d’ailleurs là l’erreur primale de la pédagogie constructiviste.
La
pédagogie constructiviste, ou pédagogie de découverte, n’a aucune donnée probante
sur laquelle s’appuyer. Par contre, il existe des données probantes à charge
comme l’ont bien montré Clark
Kirschner et Sweller. Ces chercheurs ont constaté qu’un enseignement faiblement guidé
est peu efficace alors que les pratiques guidées, structurées et explicites le
sont nettement plus. Ils en expliquent les raisons sur le plan cognitif. Le
remarquable travail de John Hattie dit la même chose (Voir Visible
Learning) à partir d’études portant sur des
milliers d’élèves. Sans parler bien sûr du projet Follow
Through , précurseur dans les années 60 dont les
résultats furent sans ambiguïté aucune.
Mais
alors la question est : pourquoi, depuis des décennies que les preuves
sont là, persiste-t-on à préconiser les méthodes de découverte, alors que la
recherche et les résultats montrent l’inefficacité de ces pratiques ? Question
d’actualité dans tous les pays riches.
Harry
Web, l’auteur mentionné plus haut évoque deux raisons. Tout d’abord, les données
probantes seraient réfutées au prétexte
que les post-tests sont effectués peu de temps après les interventions. Par
conséquent, elles ne seraient pas valables sur le long terme. Le
constructivisme serait supposé efficace sur le long terme bien qu’aucune
donnée ne le confirme. Bref, à des données tangibles, on n’oppose que des
croyances. D’une part, on refuse les preuves à charge, mais on n’en produit
aucune à décharge. L’autre argument, que personnellement je trouve beaucoup
plus répandu, consiste à dire que le constructivisme ne se cantonne pas
seulement à faire découvrir : on nous explique alors qu’il y a d’abord un
temps pour la découverte, suivi d’un temps pour les explications guidées. Voilà
le comble de l’incohérence. Le
constructivisme pédagogique soutient que le meilleur moyen pour des
apprentissages réussis est le biais de la découverte, l’enseignant n’étant
qu’un guide by the side. En
corollaire, il soutient aussi que la transmission explicite n’est pas efficace.
Alors pourquoi prétendre utiliser les deux méthodes ? Harry Web a cette
amusante comparaison, il écrit : « C’est comme si on disait à quelqu’un : je vais vous couper le
doigt, mais ne vous inquiétez pas, je vous conduirai immédiatement à l’hôpital ».
Ce type d’argument est souvent évoqué par des personnes qui n’osent pas aller
jusqu’au bout de l’une ou de l’autre méthode, et qui pensent naïvement pouvoir
faire un mélange des deux. À titre
anecdotique, j’ai lu un jour dans une discussion sur l’enseignement explicite
cette question : « En enseignement explicite, où se situe la phase de
découverte ? » Comme quoi, il y a encore un travail énorme
d’explication et de diffusion à faire.
Personnellement,
je pense que d’autres éléments sont à prendre en compte. Tout d’abord, la
responsabilité des décideurs dans leur choix constructiviste. Pourquoi ? Car
celui-ci est supposé véhiculer des valeurs humanistes très à la mode et qu’il
correspond à une vision de l’école comme lieu d’épanouissement personnel de
l’enfant dans lequel les apprentissages scolaires ne sont pas centraux. Ceux-ci
sont hostiles à l’utilisation des données probantes en enseignement ;
en effet, elles ne leur sont pas nécessaires étant donné qu’ils placent les croyances
idéologiques au-dessus des preuves tangibles. De plus, cela ne ferait que les desservir.
Quant aux
enseignants, en France, ils jouissent certes de la liberté pédagogique mais ils
ont été formés, ou plutôt formatés, pour des pratiques constructivistes ;
ils en sont prisonniers, parfois à leur insu. Ils n’ont jamais entendu parler
des pratiques efficaces et la formation initiale comme continue n’en propose
aucune, elle n’est pas favorable au pluralisme pédagogique. Et pourtant, certains
d’entre eux sont en quête d’amélioration au vu du manque de résultat dans les
classes. Certains se forment tout seuls, mais après avoir tâtonné longtemps.
Enfin, d’une
manière plus large, il y a l’air du temps, les idées à la mode, le
politiquement correct. Le modèle de l’enfant-roi s’est transformé en élève-roi et
la société toute entière contribue à faire de l’école, une sorte de maison des
enfants, vouée à leur bien-être immédiat, à l’épanouissement de leurs
personnes, sans que les apprentissages soient nécessairement au centre avec
tout ce que cela impliquerait d’éducation à l’effort, à la rigueur, au travail.
Cela est
d’autant plus regrettable que les méthodes efficaces, comme l’enseignement
explicite par exemple, contribuent au développement de l’estime de soi et au
plaisir d’apprendre. Beaucoup des personnes qui critiquent l’instructionnisme
ont en mémoire l’enseignement magistral traditionnel avec ses bonnets d’âne et
son encre violette et s’imaginent que les pratiques efficaces en sont une
copie. Cela est entièrement faux, même si quelques nostalgiques de l'école d'antan
essaient de redorer leur blason en se prétendant de l'école explicite [2]. Voilà qui vient augmenter
le nombre des mythes éducatifs. Le milieu éducatif n’est pas à une
contradiction près:il est capable de vénérer par principe l’innovation
pédagogique, mais quand il s’en présente une, qui porte véritablement ses
fruits, comme les pratiques explicites, alors sa réaction première est la
crainte et l’anathème. À croire que l’efficacité fait peur.
[1]
Education is the lighting of a fire, not the filling of a pail.
[2] À cet
égard, se méfier de l’étiquette explicite
accolée sur certains manuels traditionnels.
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