La communication sur Internet suscite des attitudes désinhibées et agressives : on s’y permet des excès de langage que l’on n’oserait jamais de vive voix. Cette métamorphose transforme le tranquille et affable citoyen lambda en pire des malotrus sur la toile, protégé par un anonymat libérateur. Ou le pouvoir des pseudos. C’est après avoir passé un long moment à inventorier des sites d’enseignants que la question de l’anonymat m’est apparue.
En
effet, il existe sur la toile des centaines de sites ou blogs d’enseignants, de
qualité inégale certes, mais qui sont là pour partager des ressources. J’ai
bien été incapable de les recenser tous mais une chose est sûre : on
compte sur les doigts d’une seule main ceux qui ne publient pas sous X. Les
auteurs avancent masqués. Cela pose un certain nombre de problèmes. On est en
droit de se demander pour quelle raison les auteurs se cachent et si leurs
intentions sont louables. Leur viendrait-il à l’idée d’organiser une réunion
pédagogique dans laquelle ils viendraient masqués ? Et quel crédit
accorder à quelqu’un qui ne dit pas son nom ?
Je
comprendrais l’anonymat si les thèmes étaient par essence sensibles et que les
auteurs redoutent les conséquences de leurs opinions dans la vie réelle. Mais
ce n’est pas le cas : les auteurs de la Classe des Bisounours ou de Maîtresse
Cancoillotte, de toute évidence, ne courent aucun risque : ils
proposent gratuitement des outils pour aider les enseignants et ne véhiculent
aucune espèce d’idée non conforme en matière pédagogique. Sur ces mêmes
espaces, la grande majorité des commentateurs également écrivent sous pseudo. Ce
qui, dès que le sujet devient « sensible » (et le seuil est vite
atteint en pédagogie), libère les pires instincts.
À
côté de ces sites ou blogs, il y a les espaces dédiés à la discussion. En ces
lieux aussi, l’anonymat des commentateurs est majoritaire[1]. Là, il s’explique
mieux : il donne du courage au
timide, lui permettant d’écrire ce que jamais il n’oserait dire à haute
voix. Pour lui c’est sans doute bénéfique, il libère sa parole sans en avoir le
retour de manivelle. Enfin, en principe, car les propos diffamatoires, même
sous x, sont susceptibles de poursuites. Bien évidemment, cela contamine
durement les échanges (voir loi de Godwin et reductio ad hitlerum) et ces
espaces deviennent des cibles idéales pour les trolls et autres
« flameurs ». Pour avoir en d’autres temps fréquenté ces espaces, je
sais maintenant que rien de positif ni de constructif n’en sort jamais. Par
contre, ils répandent volontiers des rumeurs, se complaisent dans l’insulte, le
dénigrement ad hominem et autres joyeusetés.
Internet
peut être un outil extraordinaire. Il est important de comprendre que dès lors, que les intentions ne sont pas
nuisibles mais constructives, il n’est pas nécessaire de se cacher ; la
cause de l’enseignement a tout à y gagner. Quant aux anonymes qui injurient et
diffament publiquement sur des espaces de discussion, sous le prétexte fallacieux
de liberté d’expression, il faut je crois, les tenir pour ce qu’ils sont, des
pleutres malfaisants.
Pour
la petite (très petite) histoire, si l’anonymat est très répandu sur la toile,
il existe aussi dans la vraie vie : j’ai été surprise de constater que la Librairie
des écoles édite des manuels écrits par une « réunion de professeurs et
d’orthophonistes ». Je comprends que d’aucuns n’aient pas envie de voir
leurs noms associés à cet éditeur dont on connaît les accointances avec SOS
Éducation, mais il eut été plus élégant dans ce cas d’utiliser un pseudo
collectif !
Internet
est une pépinière de paradoxes. Les mêmes qui s’y cachent ont aussi plaisir à
s’y exhiber. Anonymat dans les blogs et mise en scène de sa propre personne sur
les réseaux sociaux dans une représentation qu’ils espèrent porteuse de «
célébrité ». L’anonymat sur Internet fait couler beaucoup d’encre ; il est
difficile de trancher en faveur ou contre, en particulier en raison des
questions de respect de la vie privée, et de fichage, mais il ne faut pas non
plus développer une phobie aveugle. La généralisation de l’anonymat est bien
souvent excessive. Une astuce pour rester serein en communicant sous son nom
sur la toile : n’écrire que ce que l’on serait capable de dire de vive
voix aux personnes concernées.
[1] . Selon
la thèse de Frank Mungeam, sur une base de 500 commentaires, seulement 4%
sont signés du patronyme réel de leur auteur.
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