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vendredi 30 septembre 2011

Le fantôme du béhaviorisme



Aujourd’hui, les détracteurs de l’enseignement explicite, qualifient ce dernier de béhaviorisme. Ce mot, brandi comme un épouvantail destiné à effrayer tous ceux qui seraient tentés par une méthode pédagogique efficace [1], est pour eux synonyme d’abêtissement, de dressage, d’abrutissement, de conditionnement, de lavage de cerveau. Présenté ainsi, qui pourrait y être favorable ?

Certes, l’enseignement explicite est mal connu ou connu très superficiellement. On se plaît à n’en retenir que la pratique (guidée puis autonome), conduisant au surapprentissage. Mais il y a aussi le rapport aux sciences expérimentales. En effet, l’enseignement explicite est né de l’observation des enseignants efficaces (dont les élèves avaient de bons résultats scolaires y compris dans les populations défavorisées), cela suffit pour en conclure qu’il s’agit de conditionnement.

Il est peut-être grand temps de préciser que le béhaviorisme est aujourd’hui dépassé dans les modèles éducatifs et que l’enseignement explicite s’appuie surtout sur les sciences cognitives. Cela ne consolera pas les phobiques du béhaviorisme car ils sont également fort hostiles aux sciences cognitives, qu’ils soient pédagogistes ou anti-pédagogistes. Notons au passage l’étrangeté qu’il y a à vouloir ignorer les sciences qui s’intéressent au cerveau lors des apprentissages. Avec quoi apprenons-nous donc ? Le meilleur exemple français reste les travaux de S. Dehaene sur la lecture qui sont quasiment restés lettre morte, du moins qui n’ont eu aucun impact en matière d’enseignement de la lecture. Et ce, malgré la notoriété internationale du chercheur.

Un reproche collatéral fait à cet enseignement supposé béhavioriste consiste à dire qu’il émane d’une école utilitaire, destinée à produire des techniciens et fournir des employés qui seront aptes à faire un certain nombre de tâches techniques. Procès d’intention doublé d'un non-sens : une telle école serait définie par le contenu des programmes qu’elle imposerait, non par une méthode d’enseignement de ces programmes. Une fois de plus, mais c’est maintenant une habitude dans les questions éducatives, on confond la fin et les moyens. Non seulement, l’enseignement explicite n’est pas béhavioriste, mais il ne se penche pas sur les contenus, il n’a pas vocation à réfléchir sur les programmes. Il propose simplement une méthode d’enseignement efficace quels que soient les contenus à transmettre. Ainsi, à l’heure actuelle, les enseignants explicites français transmettent les contenus des programmes de 2008.

La pratique, pierre angulaire de la mémorisation
Puisque c’est la pratique qui est à l’origine des peurs et autres phobies, voyons d’un peu plus près ce qu’il en est.La pratique est un passage obligé pour quiconque désire des apprentissages solides, c’est-à-dire ancrés en mémoire à long terme. En effet, à quoi sert d’apprendre si quelques semaines après ou l’année suivante, il n’en reste plus rien ? Cette attitude de rejet, nouvelle chez nous en France, a déjà quelques années d’existence outre Atlantique, où les progressivistes ont depuis longtemps fait croire que la pratique nuisait fortement à l’épanouissement des élèves et à leur pensée critique.

Pourquoi une pratique soutenue et régulière est-elle nécessaire à l’école ? La recherche sur la question repose sur les sciences cognitives. Pour n’en citer que quelques-uns, on retiendra les travaux de Sweller, mais aussi ceux de Geary, de Willingham, de De Groot et de Weisberg.

La mémoire de travail, ou mémoire à court terme, est aussi appelée goulot de l’esprit en raison de sa capacité limitée en contenance. Pour faire simple, c’est l’endroit où se produit la pensée. En raison de sa limitation quantitative, elle ne peut tout traiter et si l’on veut de l’efficacité, il faut avoir en mémoire à long terme les informations nécessaires. Il y a donc nécessité d’automatiser le recours à ces informations afin d’alléger la mémoire de travail qui pourra se consacrer au raisonnement ou au sens. Sans une pratique soutenue et régulière, l’automatisation ne se fait pas.

Pour parvenir au point de l’automatisation, on parle de surapprentissage, c’est-à-dire d’une pratique allant au-delà du point de maîtrise. Autrement dit, il s’agit de continuer à pratiquer même quand on croit savoir, même quand l’évaluation est passée. Ainsi, en lecture, il faut automatiser le déchiffrage, afin que la mémoire de travail se consacre au sens. L’enfant qui ânonne avec difficulté ne peut pas en même temps comprendre le texte, il est en surcharge cognitive. Il en est ainsi d’autres habiletés comme les faits mathématiques. Comment résoudre un problème si on ne connaît pas les algorithmes des diverses opérations ?

Bien que la pratique prenne des aspects différents concernant la mémoire à long terme, elle n’en est pas moins importante. Les études montrent que si un sujet est étudié pendant un semestre sur une année, il sera retenu correctement pendant environ une année après la dernière pratique, mais sera en général oublié après 3 ou 4  années en absence de pratique supplémentaire. L’oubli intervient pendant les 5 premières années. Les chercheurs ont examiné un grand nombre de variables pouvant potentiellement avoir une importance dans l’oubli ou la rétention, ils ont conclu que la variable clé dans la mémoire à très long terme était là aussi la pratique.

L’automatisation est vitale en enseignement parce qu’elle nous permet d’être plus habiles dans les tâches mentales. Un écrivain efficace connaît les règles de grammaire et d’usage au point de l’automatisation, il sait comment commencer un paragraphe, inclure des détails pertinents. Le mathématicien efficace se réfère à des faits mathématiques importants ainsi qu’à des procédures. Dans toute discipline, certaines procédures sont utilisées incessamment. Elles doivent êtres apprises au point de l’automatisation afin de libérer de l’espace en mémoire de travail. Seulement à ce moment, l’élève sera capable de franchir le goulot imposé par la mémoire de travail et atteindre des niveaux supérieurs de compétence.

Le développement de l’automatisation pour des habiletés générales dépend d’un niveau élevé de pratique. Il n’y a pas d’autre chemin. Fournir une pratique consistante et soutenue est la façon la plus sûre de s’assurer que qu’un élève deviendra un lecteur efficace, un écrivain, un scientifique. Comprendre un argumentaire écrit complexe, écrire un texte, tenir un raisonnement scientifique sont toutes des habiletés réussies grâce à une automatisation des disciplines de base.

D. Willingham parle de pratique soutenue et nourrie : une pratique régulière, des révisions fréquentes, une réutilisation fréquente des connaissances déjà acquises. Ce type de pratique après la maîtrise est nécessaire pour atteindre les trois buts importants de l’enseignement : acquérir des faits et connaissances, apprendre des habiletés, ou devenir un expert.

D’autres travaux portant sur l’expertise et la créativité [2] ont abouti aux mêmes conclusions : la nécessité d’une pratique abondante.

On constate donc que, loin d’être liée à un abêtissement voulu des élèves, la pratique, soutenue et régulière, est le passage obligé pour des apprentissages durables. Les habiletés et connaissances de base supposées être acquises à l’école élémentaire (les fondamentaux) ne font pas exception à la règle. Elles seront intégrées durablement par la pratique car les élèves ne se souviennent que de ce qu’ils ont pratiqué intensément, quelle que soit la discipline. Sans elles aucune possibilité de raisonnement, de pensée critique, de pensée scientifique, contrairement à ce que soutiennent les partisans de l’apprentissage sans effort et sans pratique.

La pratique soutenue et régulière permet d’intégrer toutes les disciplines, qu’elles relèvent des activités physiques, cérébrales, artistiques. L’associer à une école dite “utilitaire”, qui aurait pour but de fabriquer des employés techniciens un peu décérébrés, relève de la contre-vérité. La pratique soutenue est un moyen pour parvenir à plus d’efficacité en enseignement et ce, quels que soient les programmes enseignés. De la même manière que le talent inné sans la pratique est improductif, les compétences de raisonnement, d’esprit critique et de pensée ne peuvent s’acquérir sans un certain nombre d’éléments de base installés durablement en mémoire à long terme. Cette acquisition préalable se fait par une pratique soutenue et nourrie. Les buts sociaux, politiques ou idéologiques que l’on attribue à l’école relèvent d’un tout autre débat.




[1] L’efficacité est aussi devenue une menace. Voir :



[2] Voir :



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