Pour
beaucoup [1], l’efficacité en enseignement est devenu un gros mot, au prétexte
puéril qu’il évoque des notions comme rentabilité, productivité, technicité et
autres abominations liées à ce que le monde capitaliste a de plus horrible et
de plus inhumain. Le raccourci est assez inquiétant surtout quand il émane de
personnes supposées réfléchir plus intensément que le commun des mortels. Ce
qui, dans les autres domaines, est une vertu devient une tare dans
l’enseignement. Qui aurait l’idée par exemple, de reprocher son efficacité au
chirurgien qui vous a opéré avec succès ? Et pourtant, son geste n’est autre
que pure technique. Ou bien de reprocher à l’écrivain l’efficacité de son style
et de son imagination, qui pourtant vous ont transporté.
Qu’est-ce
que l’efficacité ? C’est le fait d’atteindre les objectifs que l’on s’est
fixés. Par exemple, pour revenir dans le domaine éducatif, le courant
d’enseignement explicite se donne pour but de transmettre un certain nombre de
connaissances et habiletés aux élèves ; il est appelé aussi enseignement
efficace car les procédures de transmission qu’il utilise permettent aux
élèves, y compris aux élèves en difficultés, de parvenir à ces apprentissages.
Et cela n’est pas un effet d’annonce, les études expérimentales à grande
échelle l’ayant montré amplement, n’en déplaise à beaucoup.
L’efficacité
est donc à mettre en rapport avec l’objectif à atteindre. Pour y parvenir, il
faut être capable d’imaginer des moyens adéquats. Or, dans les débats actuels,
on constate une joyeuse confusion entre fins et moyens, comme l’avait
justement analysé Clermont Gauthier il y a déjà de cela plusieurs années. Mais
on persiste. C’est peut-être une spécificité française que de faire semblant
d’être d’accord sur les fins et de se disputer sur les moyens. Il n’est pas
étonnant que le débat n’aboutisse pas et dure depuis si longtemps.
Par
exemple, si l’on considère que le but de l’école est de développer le bien-être
immédiat des élèves, leur estime de soi
et l’inculcation de valeurs spécifiques,
il est normal que les moyens envisagés ne soient pas identiques à ceux
proposés pour transmettre des connaissances. Dans ce contexte-là, oui aux
activités ludiques à l’école, oui aux sorties scolaires, oui aux activités de
découverte, oui au coaching sur l’estime de soi [2], oui à l’école comme lieu
de délice et d’assouvissement des besoins immédiats.
Mais
encore faudrait-il avoir le courage de ses opinions et dire les choses
clairement, plutôt que de laisser croire que les enfants apprennent mieux en
jouant ou en allant se promener. D’autant plus qu’à l’heure actuelle, les
recherches en sciences cognitives ont montré de manière unanime que les
apprentissages scolaires (que l’on nomme biologiquement secondaires) se font
par des procédures explicites, structurées et directes, et non par des méthodes
naturelles [3]. Il est curieux de remarquer que cette découverte a du mal à
pénétrer la sphère éducative… Tant que l’on n’aura pas débattu honnêtement de
cette question, les discussions ne feront que s’enliser sans jamais faire
avancer les choses ; au mieux elles créent le trouble dans l’opinion et
contribuent à décrédibiliser toute question éducative.
Aujourd’hui,
si vous écoutez les uns et les autres [4], tous sont d’accord pour dire que l’école
doit produire des citoyens éclairés ; tous s’emparent de la Culture comme moyen
d’émancipation [5].
Oui,
mais les moyens envisagés ne sont pas identiques. Les uns, dits “républicains”,
bravant les anachronismes, chouinent sur la défunte école de Jules Ferry [6] et
rêvent de la rétablir en l’état faisant fi des récentes découvertes
pédagogiques et de leur rapport à l’efficacité. Les autres, qualifiés de
“pédagogistes” [7] se revendiquant des “sciences de l’éducation” ont décrété –
sans jamais le prouver – que les moyens pour devenir un citoyen éclairé se
résumaient à une bonne estime de soi et à la découverte des savoirs par
soi-même et par les autres. Les
“pédagogistes” ont confisqué l’idée de pédagogie en l’assimilant au
constructivisme. Les “républicains” accordent peu d’intérêt, voire aucun, à la
manière dont les connaissances seront transmises et méprisent l’idée même de
pédagogie, préférant se concentrer sur les contenus. Néanmoins, tous sont d’accord pour :
Refuser que les sciences cognitives
pénètrent le champ éducatif, ce qui est assez extraordinaire quand on pense que
le cerveau est tout de même un organe essentiel dans les apprentissages.
Imaginerait-on d’exclure l’étude de l’atome dans l’industrie nucléaire ? Ou
l’étude du code civil dans un tribunal ? La loi de la gravité pour la conquête
spatiale ? Les exemples sont pléthore...
Dénigrer et donc redouter, la notion
d’efficacité en enseignement, au prétexte que celle-ci exclut de son champ
toute approche culturelle et humaine en s’inscrivant dans une conception
techniciste et utilitaire mondiale de l’éducation.
Force
est de constater que la recherche d’efficacité en enseignement fait peur. Elle
serait la conséquence des standards d’évaluation internationaux qui n’ont
d’autre objectif que le rendement des systèmes scolaires, du point de vue
économique. Ce qui par suite jette le discrédit sur toute autre forme
d’efficacité. Par contre, de plus en plus d’enseignants sur le terrain, formés
à des méthodes inefficaces, qui elles aussi font fi de toute dimension
culturelle et humaine, vont chercher à droite et à gauche des solutions pour
enfin parvenir à mieux faire leur métier. La prolifération de sites Internet
destinés à échanger des “recettes” en atteste.
La demande est bien là, même si les solutions ne sont que du
raccommodage.
Être
efficace en classe signifie atteindre les objectifs indiqués par les programmes
du ministère. Être efficace passe par l’utilisation d’une méthode pédagogique
d’enseignement ayant fait ses preuves. Les méthodes efficaces en classe
permettent aux élèves d’avoir en mémoire les connaissances et habiletés
indispensables, les stratégies cognitives nécessaires à ces acquisitions,
toutes choses qui sont les fondements culturels sur lesquels pourront se
développer aptitude au raisonnement et à l’esprit critique.
L’enseignement
explicite, que je connais bien, peut revendiquer haut et fort l’efficacité et peut prouver que celle-ci
n’est pas incompatible avec la Culture ni avec l’Humanité. Pour mémoire, le
projet FollowThrough, a montré avec brio que les méthodes pédagogiques de transmission
directe et explicite (Direct Instruction en particulier) étaient beaucoup plus
efficaces sur les résultats scolaires mais aussi dans la dimension affective,
et en particulier sur l’estime de soi. Par conséquent, comment ne pas bondir
quand on associe efficacité et inhumanité, efficacité et absence de culture ?
Les
techniques pédagogiques efficaces peuvent tout enseigner y compris la Culture,
depuis la maternelle jusqu’à l’université. Les détracteurs de l’efficacité
devraient donc peut-être reporter leurs diatribes sur les programmes plutôt que
sur les méthodes.
ö
[1]
Toutes tendances pédagogiques confondues (aussi bien constructivistes que
traditionalistes).
[2]
À une nuance près tout de même : la
recherche a montré que l’estime de soi à l’école est le fruit de la réussite et
des efforts récompensés et non pas d’un formatage des esprits consistant à
inculquer à l’enfant qu’il est un être spécial. Voir les travaux de Jean Twenge.
[3]
Voir les travaux de Sweller.
[4]
Les deux courants pédagogiques ayant pignon sur rue : républicains et
pédagogistes.
[5]
Cf le récent entretien
croisé Gauchet / Meirieu.
[6]
Dits les “républicains”, en référence à l’École de la République (la IIIe).
[7]
Expression péjorative désignant les partisans d’une pédagogie de découverte. Ce
mot, malheureusement, discrédite complètement la pédagogie, la réduisant à sa
forme constructiviste.
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