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mercredi 25 octobre 2017

Entretien avec John Sweller par Oliver Lovell 8 / Peut-on enseigner la collaboration ?

Entretien avec John Sweller, suite. Ci-dessous le billet 8.

Billets précédents

5 / La motivation : quel rapport avec la théorie de lacharge cognitive ? 
6 / L'échec productif 
7 /Comment mesure-t-on la charge cognitive ? 



8 / Peut-on enseigner la collaboration ?

OL: Okay, la dernière question de Raj est : « Dans votre ouvrage de 2011, avec Paul Ayres et Slava Kalyuga, vous présentez les preuves préliminaires pour l’effet de mémoire de travail collective.  Comment s’est développée la recherche sur cet effet depuis ? Que nous suggère cet effet en matière de design pédagogique pour le travail de groupe ?

JS: Oui, l’un de nos anciens doctorants à Paul Ayre et moi, Endah Retnowati, qui est maintenant une universitaire en Indonésie, son pays d’origine, a fait son doctorat sur cet effet. C’est intéressant parce que ce travail avait été commencé par nos collègues néerlandais ; elle a trouvé des résultats intéressants qui viennent de sortir dans le Journal of Education Psychology.
Plus généralement, l’engagement collaboratif intervient dans un environnement où vous rassemblez des personnes avec des arrière-plans culturels différents. Donc, dans le monde des affaires, vous pouvez avoir par exemple, un ingénieur et un économiste ayant besoin de travailler ensemble sur un projet particulier. L’un a des connaissances en ingénierie, l’autre en économie, ils savent ce qu’ils peuvent mettre en commun, ils ne peuvent faire le travail l’un sans l’autre, par conséquent, ils sont obligés de collaborer. Cela se produit moins souvent en classe. En classe, on peut supposer que tous les élèves ont en gros le même niveau de connaissances, donc la collaboration ne fonctionne pas de la même façon. Nous avons trouvé, par exemple, que si les gens résolvent des problèmes, la collaboration peut fonctionner parce qu’une personne peut être capable d’en aider une autre.  Mais, si elles sont toutes en train d’étudier un exemple résolu, cela a un effet négatif.  Il vaut mieux que chacune d’elle étudie toute seule un exemple résolu. Chaque personne tire de l’exemple résolu l’information nécessaire. Dans la résolution de problème, vous avez peut-être besoin de l’information, et la seule façon de l’obtenir est d’un autre. Voilà le genre de complexité que l’on rencontre.

OL: Ce n’est pas une distinction à laquelle j’ai beaucoup réfléchi par le passé. Parce qu’aujourd’hui, il y a une idée largement partagée selon laquelle « nous devons enseigner comment devenir des solutionneurs de problèmes collaboratifs ». Mais vous suggérez que, si nous voulons parler de ce qui arrive dans le vrai monde, il y a pour cela différents experts venus de différents domaines. C’est très intéressant à considérer. 

JS:  Oui, c’est une autre conséquence liée à l’importance de la distinction entre connaissances biologiquement primaires et connaissances biologiquement secondaires. Je ne suis pas sûr dans quelle mesure vous pouvez enseigner à quelqu’un le travail collaboratif, parce que les humains ont évolué pour devenir des animaux sociaux. Nous travaillons collaborativement. Nous savons comment faire. Dans un sens, ce que nous faisons ici, vous et moi, est du travail collaboratif. Personne n’est venu nous dire : « Ok, quand vous entreprenez une telle collaboration, voici ce que vous devez faire, et voilà comment vous devez le faire. » Personne n’a fait ceci, il n’y avait pas besoin de le faire.

OL: Mais il y a des choses que vous et moi avons probablement apprises au fil du temps, qui ont permis cette collaboration et lui ont permis d’être plus riche. Comme par exemple, je savais que si je vous rencontrais après avoir beaucoup réfléchi au sujet, avec des questions préparées à l’avance, et si je demandais au préalable leurs avis à d’autres personnes, alors, je serais capable d’émailler la discussion de questions de meilleure qualité.

JS: Absolument, ce que vous dites est très important. Laissez-moi développer. Quand nous parlons de connaissances biologiquement primaires, je ne suggère pas que nous n’apprenons pas ces connaissances. Nous le faisons bien évidemment, et vous avez dû apprendre ce que vous avez décrit. Mais il n’a pas été obligatoire que vous l’ayez appris en classe. Vous n’avez pas eu besoin que l’on vous dise : « Aujourd’hui, nous allons apprendre comment collaborer ». Par contre, c’est ce que l’on doit faire quand on enseigne des connaissances biologiquement secondaires : « Vous avez une équation (a+b)/c=d à résoudre ; ce qu’il faut faire en premier est de multiplier le dénominateur. On doit vous le dire. Vous pouvez éventuellement le trouver tout seul mais c’est un processus long et lent. Ce que vous avez décrit des choses que vous avez apprises, je suppose que vous les avez apprises rapidement, sans enseignement explicite ; c’est ce que je veux dire quand je parle de biologiquement primaire. Vous savez que si vous préparez une discussion avec quelqu’un sur un sujet complexe, il faut s’y préparer auparavant, et il peut être utile que quelqu’un vous rappelle occasionnellement : « Bien, tu as besoin de te préparer à cela. Si vous vous rendez à un entretien d’embauche, il ne s’agit pas de s’y présenter les mains dans les poches, il faut s’y préparer. » On doit rappeler ce genre de choses aux gens, régulièrement. On n’a pas besoin vraiment de vous expliquer comment vous préparer. Assurez-vous que vous connaissez le sujet suffisamment pour être capable d’en parler. Assurez-vous de réfléchir à ceci : Qu’est-ce-que sait la personne à qui je vais m’adresser, comment cela est-il lié à ce que je sais personnellement, et comment tout cela peut affecter la conversation que nous allons avoir ? Mais vous faites tout cela automatiquement. Il n’y a jamais eu en classe de module sur la question, et si jamais il y en avait un jour, (« voilà comment on collabore en classe ») cela serait une pure perte de temps. 

OL: Est-il envisageable que pour certaines personnes, cela soit davantage biologiquement primaire que pour d’autres ? 

JS: Oh, absolument!
Ce n’est pas vraiment plus biologiquement primaire, mais disons plutôt que, pour toutes les habiletés biologiquement primaires, et probablement aussi les secondaires, il y a une répartition normale. Il y a des gens qui, pour des raisons génétiques, sont très peu habiles dans certains domaines. Ce sont des personnes dont on sait qu’elles sont susceptibles d’avoir des problèmes sociétaux. D’autres, au contraire,  y parviennent rapidement. Et vous pouvez dire cela de n’importe quelle habileté biologiquement primaire. Cela varie. Le fait qu’il s’agisse d’une connaissance biologiquement primaire ne signifie pas que nous la possédons tous de la même manière. Ni que nous la possédons tous. Certaines personnes ne la possèdent pas, ce qui complique leur vie. 

OL: Donc de la même façon, on constate que certaines personnes acquièrent la langue parlée tardivement, et pour les aider, elles peuvent  consulter un pathologiste de la langue, par exemple. Pourrait-on argumenter qu’on peut aider ceux qui ne réussissent pas aussi bien, (quelle que soit l’habileté en question -travail en collaboration- conduite d’une discussion), par un enseignement explicite sur la manière d’avoir des relations aux autres ?

JS:  Oui c’est tout-à-fait vrai. Si je prends un cas extrême, les enfants autistes. Ces enfants ont de gros problèmes dans leurs relations aux autres. La plupart des personnes non autistes, apprennent cela automatiquement. Les enfants autistes, non. Peuvent-ils le faire ? Oui, ils peuvent apprendre à le faire, via le système secondaire.  C’est une manière lente et un peu malhabile de le faire, mais c’est le seul moyen à leur disposition. Il y a des autistes d’un haut niveau, mais vous ne remarquez rien parce qu’ils ont passé des années à apprendre comment faire :  “Oh, voici ce que je dois faire dans cette situation sociale. D’accord ! » Ils ont besoin qu’on leur dise explicitement : « Ne dis pas ceci dans telle situation ; fais cela dans telle autre situation. » Pour eux, tout cela est nouveau.

OL: Ainsi, s’il est possible d’améliorer les performances de ceux qui étaient faibles, par un enseignement explicite, alors il est envisageable que l’on puisse  identifier les habiletés et attributs de ceux qui réussissent et qu’on les enseigne explicitement à ceux qui réussissent moyennement afin qu’ils deviennent meilleurs ?  

JS: Les gens qui réussissent moyennement, vous ne pouvez pas les pousser pour devenir meilleurs, cela veut juste dire qu’ils ont appris un peu plus lentement que les autres,  ou qu’ils étaient un peu plus âgés quand ils ont commencé. Mais, ils ont acquis et automatisé ces habiletés, il n’y a rien à faire. Les habiletés sont là, et nous savons par exemple, que quelqu’un qui n’est pas très compétent socialement à l’école primaire, pourra le devenir quand il fréquentera le collège.  Ou bien, il arrive qu’un adolescent ayant des difficultés relationnelles en soit débarrassé à l’âge de 20 ans. D’autres personnes ont des difficultés relationnelles pendant toute leur vie.

OL: Oui et c’est là ma, question. On pourrait dire que la différence entre un mariage qui fonctionne, dans lequel les époux restent ensemble, et vivent une expérience positive, et un mariage florissant par exemple, est un ensemble de quelques actions quotidiennes. Par exemple : exprimer de la gratitude, reconnaître quand l’autre fait une bonne chose, « J’ai remarqué que tu avais passé l’aspirateur, merci ». Ce genre de choses. Et je pense vraiment à des situations de ce type, dans lesquelles un enseignement explicite, qui se transforme en thérapie, pourrait être profitable. 

JS: Vous avez entièrement raison. Ces petites choses, que nous pouvons dire aux gens, et ils se demandent :« Oui mais bien sûr pourquoi n’y ai-je pas pensé ? »

OL: Je suis curieux de savoir, en gardant ceci à l’esprit, pourquoi vous considérez toujours comme une perte de temps d’essayer d’enseigner ces petites choses qui pourraient notablement améliorer la collaboration, parce qu’au fond, les relations sont essentiellement de la collaboration.
 
JS: Vous le pouvez. Mais la quantité qui doit être enseignée et la difficulté pour apprendre tout cela est probablement assez mineure. En d’autres termes, il n’y a aucune charge de la mémoire de travail qui y est associée. Vous dites à quelqu’un : « Tu devrais dire merci plus souvent ». Je me souviens l’une de mes filles, quand elle était jeune, ne souriait jamais à personne. Nous lui avons dit : « Les gens pensent que tu es triste tout le temps. Essaie de sourire un peu plus souvent. » Et cela a suffi. 

OL: Je vois ce que vous dites. Si vous voulez enseigner un cours sur ces habiletés, la moitié des élèves diront : « Oh, c’est la chose la plus évidente que j’ai entendue. » L’autre moitié n’est peut-être pas prête à l’apprendre. Ce genre de leçon doivent intervenir au bon moment pour qu’ils en profitent. C’est mon impression.

JS: Vous avez raison. Nous devons toujours nous souvenir que toutes les habiletés suivent une progression normale et certaines personnes pour des raisons génétiques, mettent plus de temps pour apprendre ; il est mieux pour elles de leur enseigner quelque chose. J’ai une seule préoccupation à cet égard : certains insistent tellement sur ces habiletés, au point de les considérer comme plus importantes que tout le reste qui est enseigné à l’école, pensant que leur maîtrise est indispensable à une vie réussie. Donc ils disent : « Nous devons nous concentrer sur cela. » Je m’inquiète que cela se fasse au détriment de l’enseignement des mathématiques et autres domaines. Oui, ils ont peut-être besoin d’un peu d’aide, mais pas plus. Parfois, le plus souvent, cette aide vient simplement de la famille, mais certains enfants, malheureusement, ont des familles incapables de leur fournir ce genre d’information.


























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