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vendredi 21 juin 2013

La boîte à outils


Mon attention a récemment été attirée par cette phrase, lue dans le rapport de l’IGEN des inspecteurs généraux Bouysse et Pétreault, relatif à l’arrêt des expérimentations PARLER et ROLL.

 « Les outils ne font pas une pratique, à eux seuls »

La place des outils en pédagogie est une question très importante, à laquelle j’ai eu l’occasion de réfléchir, en partie en m’appuyant sur mes propres expériences et sur celles d’autres enseignants par la voie associative.

L’outil, y compris en pédagogie, est un instrument au service d’une pratique. Ce principe est d’une grande logique et d’une imparable simplicité. Pour utiliser l’outil convenablement, on doit savoir quel est son usage, ce à quoi il est le mieux adapté, puis on doit en apprendre le maniement.

Pour utiliser au mieux une pratique pédagogique, il faut en connaître les tenants et les aboutissants. Ainsi, les outils qui lui sont associés seront optimisés, l’enseignant gagnera en autonomie et pourra consacrer son énergie à inter réagir au mieux avec les élèves. Par exemple, si je sais que la mémoire de travail est limitée en temps et en contenu, je saurai pourquoi, en enseignement explicite par exemple, on veille à ne pas introduire beaucoup de notions nouvelles en même temps. De la même manière, on évitera de proposer des activités à forte charge cognitive inutile (surcharge produite lorsque l’on utilise des ressources cognitives sans rapport direct avec l’objectif d’apprentissage). Les exemples sont légion.

L’outil, c’est-à-dire dans le cas qui nous occupe, la procédure, ne doit pas être un carcan, quelque chose que l’on utiliserait à la lettre sans trop savoir pourquoi, mais le moyen d’aboutir à une pratique plus fluide et entièrement raisonnée. L’outil doit libérer l’enseignant et non l’enchaîner.

Cela étant, la question de l’outil en pédagogie, au sens d’une procédure décrite avec précision, pose un problème à la fois de crédibilité mais aussi d’attentes excessives.

La culture pédagogique française, de nature constructiviste, croit que l’enfant doit construire lui-même ses propres savoirs par le biais de situations de découverte ; néanmoins elle ne donne à l’enseignant aucun outil pour ce faire. J’ai encore ces paroles en tête lors d’une animation pédagogique : « Posez toutes les questions que vous voulez, mais nous ne sommes pas là pour apporter des réponses ».  Tout ce qui relève de procédures pédagogiques structurées, décrites avec précision est censé abêtir les élèves, en faire des automates serviles, contribuant ainsi à la fameuse mécanisation des savoirs. Croyance qui vaut aussi pour la critique de la pratique(le drill and kill des anglo-saxons), de la mémorisation etc. Par conséquent on comprendra mieux que lorsque l’on propose des outils, et des procédures précises, cela soit discrédité. Les constructivistes appliquent à l’enseignement leur théorie : l’enseignant doit lui-même élaborer ses propres savoirs pédagogiques et ses propres outils. Preuve en est le discrédit porté à l’utilisation des manuels pour ne donner qu’un exemple.

D’un autre côté, dans la réalité du terrain, il y a la masse des enseignants dont les plus jeunes (et les moins jeunes également) se retrouvent complètement démunis. Eux sont demandeurs de procédures. Il n’est pour s’en persuader qu’à se promener sur Internet qui regorge de sites d’enseignants en recherche de solutions et de recettes.  Il y a là un véritable et profond besoin d’information. Et il est regrettable que toutes ces personnes en soient réduites à chercher par leurs propres moyens, à échanger des recettes et autres astuces plus ou moins expérimentées dans les classes. Tout cela car la formation aussi bien initiale que continue ne leur a pas fourni les outils.  C’est alors que se pose véritablement la question : peut-on entrer dans une méthode par la pratique ?

Ayant en mémoire l’enseignement explicite que je connais bien, je ne suis pas sûre que l’enseignant qui le choisit sans connaître le pourquoi et le comment de la méthode, soit capable de l’appliquer au mieux. Pourra-t-il inter agir avec les élèves de manière appropriée ? [1]L’expérience m’a montré que nombre d’enseignants sont dans l’urgence et veulent des procédures qui marchent tout de suite et se soucient peu de la raison de leur efficacité. A leur décharge, ils ont été saturés de discours théoriques sans aucune prise avec la réalité lors de leur formation initiale et font une allergie à tout type de discours un peu abstrait. La plupart des enseignants sont rétifs à cette approche.  

Certes, on peut entrer dans une pratique par les outils même si ce n’est pas la façon la plus rationnelle et il faut dans ce cas faire preuve de curiosité et avoir une véritable envie d’approfondir la question. Seuls les plus motivés feront ce cheminement d’auto formation. Plus généralement nous voici une fois de plus confrontés à la question de la formation initiale telle qu’elle est définie aujourd’hui (et aucun changement ne se profile à l’horizon) : un seul modèle pédagogique est proposé et il ne permet pas aux enseignants d’être efficaces. Cela renvoie également à la professionnalisation du métier. Pendant combien de temps encore les enseignants, supposés être des professionnels, seront-ils obligés de chercher tout seuls, de s’auto former  et de se bricoler des boîtes à outils plus ou moins performantes ?





[1]  Par exemple, quelle sorte de pratique sera celle de cette enseignante qui voulait adapter les situations de découverte à l’enseignement explicite ? Ou de telle autre qui considérait  que la Main à la pâte relevait de l’enseignement explicite ?

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