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lundi 12 octobre 2015

Une vraie fausse innovation ?



Voici que l’on apprend la naissance d’une nouvelle école pédagogique : L’école des savoirs essentiels, « pensée et créée » par une conseillère pédagogique en EPS. Elle a l’imprimatur du ministère de l’Éducation Nationale, qui n’hésite pas à la qualifier d’innovante; son site est hébergé par la plate-forme académique de Nancy et, comble de la consécration, le journal Le Monde, à qui l’on ne peut reprocher aucune connivence avec l’Enseignement Explicite ni avec aucune forme d’enseignement direct, lui consacre un article bienveillant, voire mièvre, et n’hésite pas à associer la notion de répétition à celle de miracle pédagogique !  Où sont donc passés les bon vieux sarcasmes sur le drill and kill ? 

Il n’en fallait pas plus pour attirer ma curiosité. D’autant que le site académique présente cette innovation comme une « démarche très explicite ».Y aurait-il donc une parenté entre cette miraculeuse innovation et l’Enseignement Explicite ?  Hélas, toutes les informations disponibles sont très floues et je suis fort surprise que le côté explicite de la démarche ne se retrouve pas dans les références scientifiques. Il est simplement spécifié que l’expérimentation s’appuie sur toutes les recherches scientifiques ou pédagogiques. Malgré tout, l’inventrice va tout de même jusqu’à faire sien le célèbre slogan de Z.Engelman  « If the learner hasn’t learned, then the teacher hasn’t taught » que l’on cite depuis les années 60 dans la mouvance explicite.

La problématique initiale, selon le descriptif officiel est une interrogation sur l’efficacité des enseignements, sur l’hétérogénéité dans les classes et la « difficulté à faire la part entre les savoirs de base et les savoirs plus complexe ».
Parmi les suggestions, «  Proposer des repères structurés pour apprendre et pour enseigner. Rechercher des procédés pour mieux apprendre. S’appuyer sur les recherches pédagogiques et scientifiques sur le fonctionnement du cerveau dans l’apprentissage. Cibler les savoirs de base et trouver des procédés pour les consolider, les stabiliser, leur donner du sens. Développer l’autonomie de l’élève dans les apprentissages. »

Voilà un questionnement vaste, à défaut d’être précis. On suppose qu’il s’agit de pratiques pédagogiques et de contenus. Si les expérimentateurs s’appuient effectivement sur les nombreux travaux relatifs aux pratiques efficaces déjà réalisés depuis plusieurs décennies, qu’ils soient pédagogiques, neuro scientifiques, expérimentaux, alors nul doute  qu’ils aboutiront aux principes de l’Enseignement Explicite. Parmi les noms des chercheurs mentionnés, je n’ai trouvé que celui de S.Dehaene. Certes ses conclusions sont très intéressantes et utiles, mais elles ne suffisent pas à décrire dans leur totalité les pratiques reconnues comme efficaces. Ce n’était d’ailleurs pas le but de Dehaene. Dans une démarche dite « très explicite » et questionnant l’efficacité, comment ignorer les noms de Engelman, Carnine, Rosenshine, Gauthier, Bissonnette, Richard, John Hattie, Willingham, Kirschner, Clarks  pour ne citer que les plus connus ?
Passons donc aux actions issues des principes de base :
·       « Construire des repères spatiaux, temporels, méthodologiques, relationnels.
·       Préparer des séances en accord avec  les processus mentaux  (notamment la mémorisation). Respecter les temps, les stratégies, les durées de concentration de l’élève.
·       Définir les savoir-être, les savoir-faire, les savoirs disciplinaires essentiels à acquérir à l’école primaire et leur donner du sens.
·       Mettre en place des méthodes, des procédés et des trames de travail pour l’enseignant et pour l’élève. »
Cela n’est rien d’autre qu’une liste de louables intentions mais ne permettant pas d’imaginer, en l’état actuel des choses, à quoi ressemble dans les actes cette nouvelle méthode pédagogique ; apparemment, la mémorisation y a toute son importance ainsi qu’une certaine forme de métacognition. L’article du Monde évoque des séances courtes ainsi que le fait d’enseigner une seule chose à la fois. Trop peu d’éléments permettent de l’apparenter à l’Enseignement Explicite. L’intitulé de cette démarche, l’École des savoirs essentiels, met l’accent plus sur les contenus que sur l’efficacité des pratiques pédagogiques. Or de cet aspect-là, rien ne nous est dit.

Au vu de ce grand flou, et même si le tout est paré de nobles intentions et de liens étroits avec le fonctionnement du cerveau, rien ne permet d’affirmer que cette nouveauté pédagogique relève d’un Enseignement Explicite, ni d’une méthode reconnue comme efficace. Parler de mémorisation ou de séances courtes n’y suffit pas. 

Les principes de base des méthodes pédagogiques efficaces sont maintenant connus, même si, en France, ils sont ignorés et laissés de côté. La véritable innovation en la matière serait de faire entrer ses principes ainsi que les données probantes dans la culture pédagogique générale. Ce serait aussi de former les futurs enseignants à ces méthodes-là. Des méthodes pédagogiques efficaces  existent, elles ont été mises au point, peaufinées et passées au crible de l’expérience. Alors à quoi bon faire comme si tout cela n’existait pas ?Les tentatives de récupération ou d’hybridation de l’Enseignement Explicite sont maintenant monnaie courante ; ce phénomène  est sans doute le signe qu’il suscite les convoitises, mais pas au point de vouloir l’utiliser pleinement. Certains l’utilisent pour redorer le blason d’une pédagogie magistrale et traditionnelle, d’autres le mêlent à la sauce de découverte dans un syncrétisme contre-productif…

Innover ne doit pas consister à réinventer gauchement l’Enseignement Explicite ou à en picorer quelques éléments sympathiques, mais à former des enseignants à cette pratique déjà éprouvée, à créer des écoles explicites et à faire entrer les données probantes dans les Sciences de l’éducation. Mais il est clair qu’une telle révolution n’attirerait peut-être pas l’intérêt des journalistes du Monde ou de Vosges Matin.



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