Centre d'analyse stratégique
Auteur : Pierre-Yves Cusset
La note d'analyse - Questions sociales, n° 232
07.2011
07.2011
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Que
le Centre d’analyse stratégique consacre l’une de ses notes à
l’effet-enseignant est en soi un événement. En effet, depuis que de
nombreux chercheurs américains l’ont mis en exergue et exploité à partir
des années 60, il était grand temps que cette instance d’expertise,
supposée aider à la décision auprès du cabinet du Premier Ministre,
fasse connaître les résultats de ces nombreux travaux. Mais comme le dit
le proverbe, mieux vaut tard que jamais. La vidéo de présentation
accompagnant cette note la présente comme le bilan des études existantes.
Ce
texte, qui se veut donc une synthèse de la recherche, admet l’existence
de l’effet-enseignant. Comment pourrait-il en être autrement, au vu des
données probantes accumulées depuis presque 50 ans ? La note convient
aussi que l’effet-enseignant est plus significatif que l’effet-classe,
qu’il est très significatif, surtout à court terme, et que la majeure
partie de l’effet-classe est attribuable à l’effet-enseignant.
Néanmoins, il présente des zones d’ombre, des lacunes, comme s’il
occultait un certain nombre de conséquences résultant des études sur cet
effet. Par exemple, il n’est pas dit ouvertement qu’un enseignant
efficace utilise une méthode pédagogique efficace. Cela laisse à penser
que l’efficacité est une chose aléatoire, impalpable qui, au final,
dépendrait plus de la personnalité du maître ou d’une inexplicable
alchimie qui se produirait lorsque celui-ci se trouve au contact de sa
classe.
L’historique des recherches laisse apparaître un grand nombre
d’absents et non des moindres. Comment peut-on omettre d’évoquer Barak
Rosenshine dans un sujet qui traite de l’effet-enseignant ? Et prétendre
présenter le bilan des études existantes ? Les travaux
de Rosenshine sur la question font date et lui ont permis de donner une
exacte description des actions pédagogiques de l’enseignant efficace ;
elles sont la base de l’enseignement explicite (Rosenshine, Brophy &
Good, 1986 ; Rosenshine & Stevens, 1986). Ces études expérimentales
ont été résumées par Gage et Needles en 1989. On a d’ailleurs
l’habitude d’appeler cette période (entre 1955 et 1980) “L’ère de l’effet-enseignant”
: elle fut une course aux recherches cumulatives. Plus de 100 études
interactives et expérimentales furent conduites, toutes sur un modèle
commun et avec des instruments d’observation différents. Cumulatives car
les chercheurs construisaient à partir des découvertes des autres. Mais
de cela, nulle mention dans cette note qui se veut le
bilan. Par contre, on apprend que l’IREDU se serait intéressé à la
question en 1980 ; ce fut apparemment un travail très confidentiel et
qui n’a eu aucune répercussion ni dans les formations, ni dans les
pratiques de classe.
Le paragraphe prometteur intitulé Les caractéristiques d’un « bon enseignant »
aurait pu décrire les actions pédagogiques de cet enseignant efficace.
Après avoir indiqué que la formation initiale et l’ancienneté (même si
les deux jouent un rôle, surtout dans les premières années) n’expliquent
pas les différences d’efficacité, il énumère un certain nombre de
spécificités telles que :
- Le temps consacré à l’enseignement des
matières évaluées ; il doit être suffisant pour aborder tout le
programme. Ce qui, en France, n’est pas le cas dans toutes les classes.
- Un niveau d’attente élevé. L’enseignant doit avoir de hautes ambitions pour ses élèves.
-
Le feedback ou correction : il doit être formulé de manière neutre ; il
faut laisser le temps aux élèves de reformuler la réponse après
correction. La description du feedback est très incomplète dans ce
document : si la façon de le formuler (de manière neutre) est
importante, elle n’est pas suffisante en soi. Il a été démontré [1]
que celui-ci doit se faire de manière instantanée, dès que l’erreur est
commise. On ne doit jamais laisser aucune erreur non corrigée, le
maître efficace corrige toutes les erreurs afin d’éviter le
développement de connaissances erronées. S’il le juge nécessaire, il
n’hésite pas à reprendre l’explication. Le feedback indique à l’élève
l’erreur et présente le raisonnement qui conduit à la bonne réponse.
Puis, sous le titre Structuration des activités pédagogiques,
sont très succinctement énumérés les éléments suivants : nécessité de
donner un cours structuré, annonce des objectifs, pratique d’exercices
et résumés. Voilà, condensés en deux lignes, les travaux relatifs aux
actions pédagogiques reconnues comme efficaces par la recherche menée
depuis plus de quatre décennies sur les milliers d’élèves ! Rosenshine
et beaucoup d’autres à sa suite, sont parvenus à définir avec grande
précision les actions pédagogiques (il a ainsi décrit 6 fonctions
pédagogiques essentielles) ainsi que les interactions avec les élèves
utilisés par les enseignants efficaces. Cet ensemble a formé les bases
de l’Enseignement Explicite. Comment peut-on prétendre parler de l’effet
enseignant et omettre la description un peu plus fournie d’une méthode
pédagogique qui en est issue et dont l’efficacité a maintenant été
reconnue ? Je trouve regrettable que cette note n’ose pas dire ce qui
est l’essence de l’effet-enseignant : l’enseignant efficace est celui
qui utilise une méthode pédagogique efficace. L’une d’elle,
l’Enseignement Explicite a été définie par les recherches et ses
techniques ne se résument pas aux deux lignes reproduites ci-dessus,
loin de là.
Ce flou quant aux caractéristiques proprement
pédagogiques de l’effet-enseignant n’empêche pas l’auteur de suggérer en
guise de conclusion trois pistes pour une éventuelle amélioration.
Celle-ci pourrait passer par un feedback donnée aux enseignants sur
leurs propres pratiques par le biais des inspections, de questionnaires
remplis par les élèves, de coaching grâce au visionnage de vidéos. Mais
les auteurs de ces propositions oublient un élément essentiel : comment
les inspecteurs, les formateurs pourraient-ils aider à améliorer
l’effet-enseignant, alors qu’aucune description précise n’a été donnée
des moyens à mettre en œuvre pour ce faire ? Alors que nulle part dans
cet article, il n’est question d’utiliser une méthode pédagogique
reconnue comme efficace. Alors que l’immense majorité des IEN et des
formateurs n’ont jamais entendu parler d’Enseignement Explicite ?
Puisqu’il était question dans la présentation de faire le
bilan des recherches sur le sujet, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout
dans une synthèse honnête et enfin admettre ce que révèlent toutes les
données probantes depuis plusieurs décennies : toutes les méthodes ne se
valent pas, certaines sont plus efficaces que d’autres. Leur
utilisation est en lien direct avec l’effet-enseignant. La
reconnaissance de ces méthodes dans le paysage pédagogique permettrait
enfin qu’elles soient enseignées aux futurs enseignants ; ceux-ci
pourraient ainsi avoir l’occasion de jouir d’une véritable liberté
pédagogique.
C’est un grand pas que l’idée de l’effet-enseignant
pénètre dans un cabinet ministériel. Néanmoins, si la question est
traitée de manière aussi fragmentaire, en omettant des aspects cruciaux,
alors l’efficacité se fera encore attendre. Il faut espérer que la
prochaine note, prévue pour le mois d’octobre, saura y remédier.
Post-scriptum :
Le lendemain de la
parution de ce commentaire, nous mettions en ligne une thèse de doctorat
portant sur cette question particulière. Il s’agit du travail de
Mireille Castonguay, intitulé Efficacité, Enseignement et Formation à l’enseignement.
Cette thèse vient à point nommé. Espérons que les experts de
l’Éducation nationale française en auront connaissance et sauront en
utiliser les conclusions à bon escient.
En résumé :
« Depuis
trente ans, de nombreux travaux indiquent que ce que fait l’enseignant
influence fortement les apprentissages des élèves. Or, si l’enseignant
représente un élément fondamental pour favoriser la réussite scolaire,
alors il importe de le préparer du mieux possible à exercer sa
profession. Mais comment offrir la meilleure formation possible aux
personnes se destinant à l’enseignement ? Quels seraient les éléments à
prendre en compte dans l’élaboration d’un programme de formation à
l’enseignement efficace ? (...) Nos résultats indiquent que les
stratégies pédagogiques efficaces identifiées par les études menées
dans le domaine de l’efficacité de l’enseignement ne sont pas proposées
au sein des programmes de formation à l’enseignement. L’enseignement de
type structuré et explicite, qui aide davantage les élèves à apprendre,
est dévalué au sein des programmes de formation à l’enseignement au
profit de stratégies de type constructiviste, moins efficaces pour
favoriser les apprentissages scolaires, mais perçues comme favorables
par les formateurs de maîtres. Nous concluons que les éléments à prendre
en compte dans l’élaboration d’un programme de formation à
l’enseignement efficace devraient correspondre aux stratégies
identifiées par les recherches empiriques comme favorisant les
apprentissages des élèves, à savoir des approches de type structuré et
explicite. »
[1] Par les études qui ne sont pas citées dans cette note. Notamment voir tous les travaux de Rosenshine.
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