Il
est une constante dans l’Éducation depuis plusieurs décennies. Quand tout va
mal, quand les élèves n’apprennent plus, on ressort la bonne vieille morale et
que l’on vend comme une nouvelle panacée, à des journalistes peu
informés et peu curieux. Ça s’appelle «
l’innovation à la française». Vincent Peillon, dans la lignée de ses
prédécesseurs, a annoncé [1] à grand son de trompe médiatique
qu’il allait introduire la morale dans les programmes, laissant à croire à tout
un chacun que c’était une véritable originalité.
Et
pourtant, cela est bel et bien un non-événement. Pourquoi ? Car cette discipline, que l’on ne sait jamais
trop comment nommer, tantôt morale,
tantôt éducation civique, tantôt instruction civique, tantôt éducation citoyenne, n’a jamais déserté
les programmes ni les instructions officielles. J’en veux pour preuve le rapide
recensement que j’ai fait sur la question (les liens renvoient aux textes pour
ceux qui désirent approfondir) ; il montre que depuis 1975 elle est bien
présente, cela fait donc 38 ans.
Ministre :
René Haby« Elle (l’Ecole) assure conjointement avec la famille l'éducation morale et l'éducation civique.»
4 pages y sont consacrées « Relevant des activités d'éveil, l'éducation morale et civique mérite, en raison de son importance et de son caractère, que lui soit réservé un texte particulier. »
« En particulier : la capacité de discerner la signification morale de situations et de conduites, celles des autres et les siennes (accès au monde des valeurs), de prendre conscience de la part des contraintes de divers ordres mais aussi de la marge d'autonomie en fonction desquelles peuvent se déterminer ses actions (apprentissage de la liberté), de s'interroger sur les conséquences de ses actes (sens de la responsabilité) et aussi de mobiliser les ressources nécessaires pour vaincre ou surmonter - celles qui peuvent l'être - des difficultés et des résistances qui, notamment de son fait, font obstacle à la prise de décision comme à l'accomplissement des actions décidées (diverses formes de volonté et de courage) »
2 pages d’instructions détaillées y sont consacrées appliquant les objectifs de 1977.
Ministre : Christian Beullac
« L'éducation morale et civique, qui fait l'objet d'un chapitre spécial, volontairement placé à la fin de ces instructions, pour en souligner la prééminence, doit imprégner la totalité de la formation »
« Éducation morale et éducation civique sont indissociables. Il n'est point d'éducation civique qui ne s'insère dans une éducation morale. Mais il n'est point d'éducation morale qui puisse s'abstraire d'un contexte social, civique et politique : toute femme est citoyenne, tout homme est citoyen, de droit et d'obligation. »
Le mot est mentionné 29 fois. Un chapitre de
7 pages y est consacré.
Ministre :
Jean-Pierre Chevènement« Éminemment morale, l'éducation civique développe l'honnêteté, le courage, le refus des racismes, l'amour de la République. »
« L'éducation civique qui fournit aux jeunes les repères qui leur manquent est réintroduite dans toutes les classes. Elle ne traite pas seulement des institutions, mais aussi des droits et des devoirs du citoyen, en matière de vie sociale et personnelle, de santé, d'environnement. Elle est fondée sur la morale de la responsabilité."
- Lettre à tous ceux qui aiment l’école. Pour expliquer les réformes en cours. Luc Ferry (avec X.Darcos et C.Haigneré).Mars 2003. Ce n’est pas un texte officiel mais ce texte apporte des informations sur la politique éducative.
« Je souhaite donc renforcer l’enseignement de l’éducation civique en mettant l’accent, tout au long d’un « parcours civique…[qui] permettra de mettre les programmes d’éducation civique des différents niveaux en cohérence entre eux et de les relier avec la vie scolaire au sein de l’établissement. »
« L’école ne peut se contenter de transmettre des savoirs, elle doit aussi enseigner les règles et les valeurs de la vie dans notre société. Prévention de la violence, éducation à la santé et à la sexualité, apprentissage de comportements responsables, par exemple autour du thème de la sécurité routière, sont autant de facettes d’une même ambition : contribuer à former de futurs adultes et des citoyens responsables. Cet objectif ne peut être atteint qu’en transmettant à nos jeunes la dimension essentielle du respect et de la connaissance de soi-même et d’autrui, fondements de la vie sociale. »
« Il s’agit de mettre en place un véritable parcours civique de l’élève, constitué de valeurs, de savoirs, de pratiques et de comportements dont le but est de favoriser une participation efficace et constructive à la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa liberté en pleine conscience des droits d’autrui, de refuser la violence. Pour cela, les élèves devront apprendre à établir la différence entre les principes universels (les droits de l’homme), les règles de l’État de droit (la loi) et les usages sociaux (la civilité). »
Un
chapitre de 3 pages y est consacré
Ministre :
Gilles de Robien« Deux grands axes structurent l'enseignement primaire, la maîtrise du langage et de la langue française, l'éducation civique. L’éducation civique implique, outre des connaissances simples et précises, des comportements et des attitudes. »L’éducation civique représente 1 heure d’enseignement par semaine répartie dans tous les champs disciplinaires avec 0 h 30 pour le débat hebdomadaire (cycle des approfondissements).
Cette lettre contient 4 fois le mot morale.
«…l’éducation doit aussi éveiller des consciences civiques, former des citoyens. »
« En parlant de l’école je ne pense pas seulement à l’instruction civique dont l’enseignement doit retrouver une place de premier plan à l’école primaire, au collège et au lycée. »
« Vivre ensemble : apprendre les règles de civilité et les principes d’un comportement conforme à la morale.»
« L’instruction civique et l’enseignement de la morale permettent à chaque élève de mieux s’intégrer à la collectivité de la classe et de l’école au moment où son caractère et son indépendance s’affirment. Elle le conduit à réfléchir sur les problèmes concrets posés par sa vie d’écolier et, par là-même, de prendre conscience de manière plus explicite des fondements même de la morale : les liens qui existent entre la liberté personnelle et les contraintes de la vie sociale, la responsabilité de ses actes ou de son comportement, le respect de valeurs partagées, l’importance de la politesse et du respect d’autrui. »
Ministre : Luc Chatel
« L'instruction civique et morale constitue un enseignement à part entière, comme le prévoient les programmes de l'école primaire (arrêté du 9 juin 2008, Bulletin officiel de l'Éducation nationale hors-série n° 3 du 19 juin 2008). »
« Il s'agit avant tout d'aider chaque élève à édifier et renforcer sa conscience morale dans des situations concrètes et en référence aux valeurs communes à tout « honnête homme». Ainsi se met en place un ensemble de principes, de maximes et de règles qui guident et doivent guider l'action de chacun. »
Ce
programme se compose de 5 pages.
Cet
inventaire, associé à l’annonce du ministre, a de quoi inquiéter sur l’avenir
de l’école. Alors que le niveau baisse encore et encore, les véritables
questions de l’efficacité des méthodes pédagogiques ne sont toujours pas
posées. On fait d’abord croire à l’opinion qu’il va y avoir un allègement des
rythmes scolaires, ce qui est faux et ensuite que l’on va introduire la morale
à l’école, alors qu’elle fait déjà partie des programmes depuis des lustres. Tout cela sous couvert
d’une « refondation de l’Ecole ». Et si les enseignants et les parents
d’élèves n’étaient plus ni dupes ni amnésiques ?
[1] « La morale laïque
est un ensemble de connaissances et de réflexions sur les valeurs, les
principes et les règles qui permettent, dans la République, de vivre ensemble
selon notre idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité. Cela doit
aussi être une mise en pratique de ces valeurs et de ces règles. » À lire dans Le Monde.