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samedi 3 septembre 2011

Réinventer l'école avec les vieilles lunes. Meirieu/Gauchet


Meirieu / Gauchet : Réinventer l'école avec les vieilles lunes


Ce débat, faute d’être constructif, est assez démoralisant. Les personnes sollicitées pour donner leurs avis sur l’école mêlent la langue de bois à un certain nombre de poncifs éculés révélant leur méconnaissance profonde du sujet mais en même temps leur désir tout aussi profond d’être entendus en ces temps électoraux.

Comme souvent dans le débat éducatif, on excelle dans le constat, l’analyse, la critique, que cela prenne la forme de pamphlets, de récits satiriques ou même d’uchronies.

Marcel Gauchet évoque avec justesse la société actuelle, l’évolution de ses valeurs tout comme Philippe Meirieu décrit notre société de consommation et les bouleversements qu’elle a créés dans notre système scolaire.

La question de l’autorité de l’enseignant est elle aussi décrite avec justesse ;  mais faut-il être grand clerc pour remarquer que l’enseignant a pour seule autorité celle qui émane de sa propre personne, son autorité de statut lui ayant été retirée par l’institution et par la société qui ne fait plus confiance aux enseignants ?

Marcel Gauchet, tout comme Philippe Meirieu, donne pour but à l’école d’enseigner la pensée. Puis il définit en creux l’acte d’apprendre, en affirmant que nous ne savons pas grand-chose à son sujet ; néanmoins, il exclut de son champ de réflexion l’approche par compétences jugée trop utilitaire, mais aussi l’approche cognitive, pour des raisons inconnues. Ce rejet des sciences cognitives est un point commun au courant constructiviste (les conclusions en effet en décrédibilisent les résultats) et au courant traditionaliste qui privilégie une approche artisanale de l’enseignement.

Il n’est pas certain que Marcel Gauchet soit la personne la mieux placée pour analyser les causes de l’échec en lecture, en particulier lorsqu'il déclare que nous ne savons presque rien sur la façon dont s’opèrent les complexes opérations qu’elle implique. S’il avait lu Stanislas Dehaene, pour citer un chercheur français, il en saurait certainement un peu plus, mais apparemment les points de vue neuro-scientifiques ne l’intéressent guère. Non, nous ne sommes pas démunis sur tous ces sujets. Nous le serions si nous ignorions les mécanismes impliqués dans la lecture, si nous ignorions ce qu'il faut faire pour susciter un bon déchiffrage et une meilleure compréhension. Les études expérimentales et cognitives sur la question sont nombreuses et elles prônent toutes un apprentissage du code par méthode phono-alphabétique ainsi qu’un travail sur la langue et la culture pour une meilleure compréhension, laquelle peut aussi s’enrichir par l’enseignement explicite de stratégies spécifiques. Marcel Gauchet s’imagine donc que les difficultés de nos élèves en lecture renvoient à une méconnaissance de la question. Non, des solutions existent et ont prouvé leur efficacité mais elles ne sont absolument pas diffusées aux enseignants. Peut-être faudrait-il pousser plus avant l’analyse et se poser la véritable question : quels sont les freins qui empêchent les recherches sur l’efficacité dans l’enseignement de pénétrer les sciences de l’éducation ?

Concernant les solutions envisagées pour améliorer l’école, Marcel Gauchet rejoint la pensée dominante en affirmant qu’elle ne « pourra pas se réinventer toute seule » et qu’elle est une entité dépendante de la vie publique. Par la même occasion, il récuse le rôle que les experts pourraient y jouer au profit de tous les acteurs de la vie publique. Aucune piste concrète, aucun élément tangible nous permettant d’imaginer dans quelle direction pourrait aller cette refondation de l’école.

Quant à Philippe Meirieu, à la première lecture, il risque d’en déboussoler quelques-uns par sa critique de l’approche par compétences. Qui aurait cru qu’il puisse un jour dire à propos des livrets de compétence : « Que peut bien signifier alors "l'élève a 60 % des compétences requises" ? » ou, plus loin « Ces référentiels atomisent la notion même de culture », argument même de tous ceux qui se sont opposés à l’évaluation par compétence. Qui aurait cru qu’il ferait un jour l’apologie des lycées napoléoniens, « entre casernes et couvents » ? Ou qu’il puisse, en évoquant la place de l’enfant dans notre société et la façon dont il est élevé, expliquer  : « L’enfant est devenu notre maître ». Aldo Naouri n’aurait pas dit mieux ! Enfin, comment ne pas être d’accord sur la question de l’autorité défunte de l’enseignant, qui n’est plus garantie par l’institution. Une solution : ré-institutionnaliser l’école. Comment fait-on ? Mystère ! Comme disait l’un de mes formateurs constructivistes : « Nous ne sommes pas là pour vous apporter les réponses. C’est à vous de les trouver. »

Mais que les disciples se rassurent, Philippe Meirieu n’a pas viré sa cuti, il reste fidèle à ses idées. Simplement, il travaille sa communication et essaie de redorer le blason bien écorné du courant pédagogique qu’il représente.

S’il est vrai que le savoir ne se réduit pas à la somme des connaissances qui le composent, il n’en reste pas moins que les connaissances de base sont un passage obligé. Mais Philippe Meirieu n’en dit rien et quelques éléments de son discours permettent de comprendre qu'il n’a pas foncièrement changé ses positions.

Il semble très fier d’avoir récemment fait classe dans un CM2 ; les mauvaises langues diront que c’est une stratégie médiatique mais il faut tout de même reconnaître que rares sont les formateurs qui acceptent de se livrer à ce genre d’exercice. La description de la classe qu'il donne touchera sans doute beaucoup d’enseignants. En effet, il décrit exactement ce qui se passe, l’attitude des élèves et les défis que doit relever l’enseignant pour capter leur attention. Mais, honnêtement, lui a-t-il fallu cette expérience pour se rendre compte que « le professeur doit passer son temps à tenter de construire ou de rétablir un cadre structurant », qu’il « est souvent acculé à pratiquer une "pédagogie de garçon de café", courant de l'un à l'autre pour répéter individuellement une consigne pourtant donnée collectivement, calmant les uns, remettant les autres au travail » ?

À la question du réexamen critique des méthodes en place, il répond vaguement, rejetant la faute sur la société qui a créé des enfants ne voulant plus apprendre, préférant l’assouvissement immédiat de leurs désirs et besoins. Il rejette aussi la faute sur la culture française supposée osciller entre encyclopédisme classique et béhaviorisme. En tout cas, rien sur les méthodes pédagogiques responsables de cet échec massif. Rien de nouveau sous le soleil : c’est la faute de la société, changeons donc la société mais surtout conservons nos méthodes.

Tout au long de ce discours apparaît en filigrane une hostilité latente pour l’acquisition de connaissances. Quand il critique, à mots couverts, l'« accumulation de savoir-faire et la pratique d'exercices mécaniques », il confond la fin et les moyens, oubliant que ce ne sont que des moyens destinés à faire passer en mémoire à long terme un certain nombre de connaissances. Une fois ces savoirs installés, ils sont accessibles et utilisables pour faire face aux face aux « situations créatrices de sens », pour susciter créativité et esprit critique.

Selon lui, le travail pédagogique est la « capacité à inventer des situations créatrices de sens » : voilà Philippe Meirieu tel qu'on le connaît, le vrai, l’authentique, souvent imité jamais égalé ! Une fois de plus, il semble ignorer que ces situations ne permettront pas aux élèves d'avancer tant que les connaissances fondamentales ne seront pas acquises.

Quant à son explication relative au clivage politique en matière éducative, elle est assez simpliste : à droite on voudrait transmettre des savoirs techniques pour fabriquer des employés et à gauche on donnerait une vocation culturelle à l’école, on enseignerait la pensée, qui n’est pas la somme des diverses compétences. La culture et la pensée seraient donc le monopole de la gauche mais sans l’intégration de compétences. L’approche par compétences n’est-elle pas une invention de la gauche, sous le ministère Jospin ? N’a-t-il pas remarqué que les gouvernements successifs depuis 1989, de droite ou de gauche, n’y ont jamais renoncé ? Ici il reproche à la culture française son désir d’encyclopédisme classique et là il revendique une vocation culturelle. Comme si l’encyclopédisme classique ne faisait pas partie de la culture. Jusqu'alors on reprochait à la droite une éducation trop élitiste et trop centrée sur la culture au prétexte que cela ne « faisait pas sens » pour les élèves et ne correspondait en rien à leurs préoccupations. Maintenant il semblerait qu'une certaine gauche veuille s’approprier l’idée de culture. C’est à y perdre son latin ! À la même question, Marcel Gauchet répondait que ce clivage était maintenant dépassé, ce qui est tout aussi puéril.

Philippe Meirieu a l’habitude de s’appuyer sur des évidences et d’en tirer des conclusions complètement saugrenues. Exemple : les enfants n’ont plus le désir d'apprendre. En effet, tout le monde l’a constaté. Dans cette question importante, il n’évoque absolument pas les efforts nécessaires aux apprentissages, peut-être n’a-t-il pas observé dans sa classe de CM2 que les enfants rechignaient à tout effort. Rien sur la jouissance issue des efforts récompensés. Rien sur le rôle de l'enseignant dans cet apprentissage. Non, la solution réside dans l’idée de « leur faire comprendre la jouissance issue du plaisir d’apprendre », « reconquérir le plaisir de l’accès à l’œuvre ». Comment ? Par les fameuses situations créatrices de sens. Néanmoins, le plaisir à l’école n’est pas un assouvissement immédiat, il est le fruit de la réussite consécutive à l’effort. Pour beaucoup d’enfants, ce dernier ne vient pas naturellement, c’est donc à l’enseignant de l’y initier. La tâche est d’autant plus difficile que l’éducation des enfants a banni de son vocabulaire le mot "effort" pour le remplacer par "assouvissement immédiat des besoins et des envies". C’est justement car la tâche est difficile qu’il faudrait se concentrer davantage sur les méthodes utilisées et leur rapport à l’efficacité.

Au fond, Philippe Meirieu n’a pas changé ; il donne aujourd’hui dans l’irénisme pédagogique mais ne semble pas convaincu lui-même et ses déclarations laissent un goût de déjà-vu. Au total, un entretien qui ne fait guère avancer le débat et qui dévoile un autre type de consensus, celui de ne jamais aller au fond des choses en matière éducative.


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