De la même
façon qu’on choisit un outil ou un instrument en fonction de ce que l’on veut
faire, le choix pédagogique devrait être lié aux résultats que l’on veut
obtenir. La question pédagogique devrait être aussi simple que cela. Rien d’autre
ne devrait venir polluer les débats. Or, il n’en est rien. Les instructions
pédagogiques données aux enseignants en formation initiale et continue ainsi
que les réformes successives prétendant révolutionner l’enseignement reviennent
à obliger les enseignants à utiliser une fourchette pour scier une planche.
Comment a-t-on pu en arriver là ?
Dès 1975,
l’instruction est supplantée par l’éducation supposée « favoriser l'épanouissement de l'enfant, lui permettre d'acquérir une
culture, le préparer à la vie professionnelle et à l'exercice de ses
responsabilités d'homme et
de citoyen. » En 1989,
l’école, devenue en conséquence le lieu de l’éducation, devient priorité nationale, tout au moins dans
les mots. On insiste sur l’égalité des chances ; l’école doit, dans l’ordre,
contribuer au développement de la personnalité, à l’élévation du niveau de
formation, à l’insertion dans la vie sociale et professionnelle, à l’exercice
citoyen. En 1990, on écarte officiellement l’école de Jules Ferry jugée trop
sélective, mais en même temps trop minimaliste, et n’étant plus en phase avec la
société. En 1998, on parle désormais d’école
de la République porteuse d’égalité
des chances et accordant une place très importante à la citoyenneté et à la
laïcité ; à nouveau elle se démarque de l’héritage de Jules Ferry et dit l’importance des savoirs
fondamentaux dans un monde devenu complexe. En 2002, on parle toujours d’école républicaine et d’égalité des
chances, l’école primaire devient le socle.
En 2003, le ministère de l’Éducation Nationale annonce vouloir « relever le défi du savoir et de
l’intelligence. » En 2005, les missions premières sont « la transmission des connaissances et, au
même plan, le partage des valeurs de la
République. » En 2007, il s’agit
de transmettre des valeurs, de former des
intelligences, d’élever les esprits, de préparer à la vie adulte et professionnelle :
l’école est le pilier de l’égalité des
chances. En 2008, il s’agit de donner à chaque enfant les clés du savoir et
les repères dans la société, l’école primaire doit transmettre et faire
acquérir à chaque élève les connaissances et compétences fondamentales.
Une chose est
commune à ces ministères successifs, c’est le rejet revendiqué de l’école de Jules Ferry, le remplacement de
l’instruction par l’éducation, l’école comme vecteur de valeurs et comme lieu
d’épanouissement personnel de l’enfant.
L’école insiste sur sa mission de former un citoyen apte à la vie en
société, doté d’esprit critique, épanoui et imprégné de valeurs républicaines
ou citoyennes. Cela justifie que l’instruction à proprement parler (des savoirs
et habiletés) occupe une place moindre, elle doit partager la scène avec
d’autres aspects éducatifs supposés appropriés. En filigrane, on perçoit que
l’idée de liberté pédagogique s’efface peu à peu. En 1990, il est clairement
dit que les modèles pédagogiques d’antan ne doivent plus être suivis, non pas par leur manque
d’efficacité, mais parce que trop normatifs. Ce pour laisser place à un système
dans lequel l’enfant serait la référence centrale dans « sa réalité physiologique, psychologique et sociale ».
Plus de 40
années se sont écoulées, au cours desquelles on a ressassé l’importance de
l’école primaire et l’ambition de donner à tous une formation et des valeurs
républicaines. Résultat : la plupart des élèves entrant au collège aujourd’hui
(en ce sens l’idée d’égalité fut un succès)ont un niveau lamentable, ne maîtrisent
pas les connaissances de base, possèdent
une culture d’une pauvreté extrême. Quant aux valeurs républicaines, au vu des
comportements dans les classes et aux incivilités qui sont le lot quotidien, il
semblerait bien que là aussi, les résultats soient inversement proportionnels
aux intentions annoncées.
Voyons d’un
peu plus près ce qu’ont proposé les ministères successifs pour atteindre ces
nobles ambitions ? Elles sont « centrées
sur l’enfant », le statut de l’erreur est revu. Le constructivisme,
même s’il cache son nom dans les textes officiels, a fait son entrée dans l’Éducation
nationale. Il y est toujours indéboulonnable. Dès lors, année après année, les injonctions
pédagogiques iront dans ce sens. On note au passage que jamais, dans aucun
texte n’est mentionnée l’idée d’efficacité. Le mot est banni. Les ambitions de
l’école étant des principes humanistes d’égalité, de développement personnel,
on s’est imaginé que les moyens devaient être à cette image, selon un
présupposé non vérifié mais tellement agréable à croire. Les enfants étant tous différents, tant
culturellement que socialement, économiquement, l’école va devoir, le temps
d’une scolarité, gommer ces différences ; niveler par le bas, supprimer
les notes, minorer l’importance des savoirs au profit des savoir être etc...
Aucun élève ne devra donner l’impression d’être meilleur que les autres par sa
réussite scolaire. Tous devront croire qu’ils réussissent également. De la même
manière, on veut développer les valeurs démocratiques, par conséquent on va
faire de la classe une mini démocratie dans laquelle les élèves décident par
exemple des règles de classe, des sanctions etc… Pour l’épanouissement
personnel, on va gommer dans les classes toute cause de frustration, les
mauvaises notes, les exercices trop exigeants, on introduira beaucoup
d’activités ludiques et on éradiquera les efforts répétés. Les exemples
pourraient se multiplier à l’envi. Tout repose sur une confusion entre la fin
et les moyens et sur le déni de voir les réalités en face :les
données probantes, qui de manière claire, indiquent les actions pédagogiques
efficaces et celles qui ne le sont pas sont superbement ignorées. L’école n’est
plus autoritaire, elle s’ouvre au monde, les nouvelles technologies et les
parents y sont entrés, il n’y a plus de compétition, les notes sont en voie de
disparition, les élèves travaillent par projet en fonction de leurs
motivations, les voyages scolaires se multiplient et malgré cette débauche
ultra constructiviste, les résultats ne sont toujours pas à la clé. Face à ce
fiasco que l’on ne peut plus cacher, la seule solution envisagée est encore
plus de constructivisme, on attribue l’échec à ces enseignants réfractaires et crispés
sur des pratiques archaïques. Déni de réalité. C’est un cercle infernal dont il
sera difficile de se sortir un jour, si tant est que quelqu’un en ait la farouche
volonté.
Sur
plus de 40 ans, ce qui représente plusieurs générations, toujours les mêmes
solutions aux mêmes problèmes : c’est bien du déni de réalité. Pour éviter
cela, il aurait fallu que les personnes décisionnaires en matière éducative
recherchent sincèrement l’efficacité. Il aurait fallu prendre conscience que,
pour atteindre les objectifs annoncés, il existait des moyens plus efficaces,
quoique ne découlant pas directement des a priori idéologiques. Donnons
quelques exemples. Acquisition de l’esprit critique : de nombreux travaux
ont montré que la pensée critique repose sur un stock de connaissances
factuelles en mémoire à long terme ; nul ne peut exercer son esprit
critique s’il ne possède un certain nombre de connaissances, dans le cas inverse
il s’agit de formatage des esprits. Par conséquent, réduire la transmission des
connaissances est contre-productif par rapport à l’intention affichée de
développer la pensée
critique . Il en est de même pour la question de la créativité.
Les textes nous disent que désormais l’école favorise la créativité des élèves,
tout en ayant réduit à sa plus simple expression l’acquisition des
connaissances ; c’est ignorer que pour être créatif il faut avoir de
l’expérience et des connaissances, la créativité ne s’exprimant pas sur du
vide. Depuis toutes ces années de pratique du métier, j’ai vu les élèves se
vider de toute expression créative en particulier sur le plan artistique.
Depuis que les programmes et les formations locales ont prétendu former des
enfants créateurs, ceux-ci ne savent que faire d’une feuille blanche et quand
ils le font, c’est d’une pauvreté époustouflante.
Tout cela
commence à se dire, à s’écrire. Les données probantes en matière éducative ont
fait de grandes avancées, la connaissance de l’architecture cognitive par
exemple nous suggère quelles actions
privilégier et quelles actions éviter dans la perspective d’apprentissages
réussis. Pour la gestion des comportements, il en va de même. Mais là aussi, il
y a déni de réalité : les quantités d’enquêtes, méta-analyses,
méga-analyses qui toutes donnent des indications très précises sur la manière
d’être plus efficaces sont ignorées ; c’est exactement comme si cela
n’existait pas. Déni de réalité. Les
« sciences de l’éducation » françaises refusent toujours d’admettre ce type de données probantes et de
recherches mais par contre n’hésitent pas à diffuser leurs injonctions
pédagogiques même si celles-ci ne s’appuient sur rien d’autre que quelques a
priori idéologiques, toujours les mêmes depuis des décennies. Elles n’ont de
sciences que le nom, qui reste un emballage permettant de faire passer à ceux
qui leur font encore confiance, des idées pédagogiques inefficaces, voire
nocives.
Je
laisse la conclusion à Daisy
Christodoulou, qui, dans son récent livre, 7 myths about Education, a fort bien résumé les choses :
« Les idées fondamentales de notre
système éducatif sont erronées. Quand on observe les preuves scientifiques sur
la manière dont le cerveau apprend, et
le design pédagogique de notre système éducatif, on est forcé de
conclure que ce système est un frein à l’enseignement. »
Pour en
savoir plus sur les données probantes qui suggèrent des méthodes efficaces voir
ici et ici.
Pour consulter les textes officiels voir ici.
Ce billet a été traduit en anglais par un enseignant britannique, Anthony Radice. Vous pouvez le consulter ici.
Pour consulter les textes officiels voir ici.
Ce billet a été traduit en anglais par un enseignant britannique, Anthony Radice. Vous pouvez le consulter ici.
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