Le malaise des enseignants est
très répandu dans la profession. L’ampleur de la crise de recrutement ne peut
plus être passée sous silence. Je ne m’étendrai pas sur les sempiternelles solutions suggérées face à une réalité qui
nous rattrape toujours. Seule l’institution pourrait avoir les clés de
résolution du problème, si seulement elle en avait la volonté profonde.
Depuis la salle de classe, voici quelques-unes
des raisons à ce malaise.
Ce que beaucoup ignorent, c’est
qu’il ne vient pas des élèves. Bien sûr, ceux-ci nécessitent une énergie
considérable, en particulier quand ils présentent des problèmes de
comportement, ce qui est fréquent aujourd’hui.
Le contact avec les élèves et leur enseignement est sans aucun doute la
raison principale du choix de ce métier.
Une fois écartés les élèves, la
liste est longue des éléments qui, additionnés les uns aux autres, conduisent au
dégoût, au stress, à l’indifférence parfois, ou au burnout.
·
La « surbureaucratie »
envahissante depuis quelques années. L’enseignant doit remplir des tonnes de
formulaires justifiant ses actions pédagogiques, au détriment bien souvent des
actions elles-mêmes, car ce qui compte dans cet univers, c’est la lettre plus
que l’esprit. Il doit se tenir informé des dernières nouveautés en matière de
paperasses. Dois-je mettre en place un PPS, un PAI, un PAE, un PPRE ou alors un
PAP tout simplement ? Oui, mais cette année, les conditions ont changé, ce
qui relevait du PAE relève maintenant d’un autre document. Que faire ?
Vent de panique. Sans parler des livrets d’évaluation ou autres livrets de
compétence qui vont hanter ses fins de période, tant ils sont chronophages.
L’enseignant va cocher, colorier, entourer des cases jusqu’à l’écœurement,
oubliant ce qu’il évalue, évaluant parfois au pif, surévaluant, sous évaluant,
peu importe, si les cases sont cochées, c’est tout bon.
·
La culpabilisation
induite par la hiérarchie ou même les collègues des équipes éducatives :
l’enseignant, quoi qu’il fasse n’en fait jamais assez. Un enfant en difficulté
dans la classe, l’enseignant ne sait pas s’y prendre, sa méthode n’est pas
bonne, il n’individualise pas assez, il en demande trop ou pas assez. Si les élèves
se comportent mal, c’est parce que l’enseignant ne sait pas les motiver, les
intéresser, parler leur langue, partir de leur vécu. Bref, il manque de bienveillance…
·
L’École comme
solution à tous les problèmes. Il s’agit de tout ce que l’on demande à
l’École en général, mais à l’enseignant en particulier : résoudre les problèmes sociaux tels que
par exemple, lutter contre l’obésité,
contre les addictions, contre le racisme, contre l’homophobie, contre l’anti-sémitisme,
contre la perte des valeurs morales, éduquer au développement durable, à la
citoyenneté (terme qui, au passage, est depuis peu supplanté par celui de valeurs républicaines), à la prévention
routière, aux premiers secours…Une fois qu’il a fait tout cela et qu’il a coché
les cases prouvant qu’il l’a fait, il doit enseigner les fondamentaux dont les
textes officiels disent qu’ils sont le « socle commun de connaissances, de
compétences et de culture. » Comment dans ces conditions, ne pas avoir le
sentiment de ne pas pouvoir y parvenir ?
·
L’isolement
en particulier pour les débutants qui, face à des difficultés bien réelles
se voient répondre un discours plus idéologique que pragmatique et des
suggestions qui ne font qu’aggraver leur situation. Comme ce conseiller
pédagogique qui suggérait à une débutante incapable de prendre sa classe en
main, de « faire du Freinet ». Et bien souvent, lorsque malgré toute
sa bonne volonté et des heures de préparation inutiles, l’enseignant n’y
parvient toujours pas, on lui fait comprendre qu’il en est seul responsable.
·
La
formation initiale n’est absolument pas professionnalisante. En sortant de
l’IFE Bac + 5 (anciennement IUFM, anciennement Écoles Normales d’instituteurs)
vous n’êtes pas armés pour conduire une classe avec succès. Il vous faudra
attendre plusieurs années selon votre volonté personnelle, votre endurance
physique et nerveuse, votre anti-conformisme, bref votre personnalité, pour
commencer à y parvenir. Ne crierait-on pas au scandale si, dans le domaine
médical de telles pratiques étaient courantes ?
·
La
formation continue, normalement, devrait permettre aux enseignants en poste
de se tenir informés des dernières issues de la recherche en éducation afin
d’améliorer leurs pratiques quotidiennes.
Et bien non, chez nous, il n’en
est pas ainsi. Par exemple, je n’ai jamais vu de formation continue portant sur
l’Enseignement Explicite, ou sur les apports des sciences cognitives en
éducation. Ni les écrits de Clermont Gauthier, pourtant en français, ni ceux de
Stanislas Dehaene ne font jamais l’objet d’une information. La formation
continue veille à garder les enseignants dans le dogme constructiviste, elle
les tient écartés de tout ce qui pourrait les conduire vers l’utilisation de
méthodes efficaces. Parfois, elle demande aux enseignants de poser des
questions et de trouver en eux-mêmes les réponses (Phrase mémorable entendue
dans la bouche d’un formateur : « Posez
toutes les questions que vous voulez, mais nous ne sommes pas là pour y
répondre »). En cela, la formation est en harmonie avec ses principes,
elle utilise le constructivisme, avec ceux qu’elle y forme. On connaît le
résultat.
·
L’injustice
de traitement. La réforme Jospin a laissé croire aux enseignants du
primaire qu’ils seraient désormais alignés sur ceux du secondaire. Nous l’avons
tous cru, un bref instant. Il n’en est rien : salaire, temps de travail,
primes etc… Il est à remarquer que la France, parmi les
pays de l’OCDE est celui où les différences entre le statut des enseignants
du primaire et celui des enseignants du secondaire sont les plus importantes. Le
salaire de l’enseignant de primaire est 17% inférieur à la moyenne des pays de
l’OCDE alors que celui des enseignants du secondaire n’est que de 3% inférieur.
·
Le
salaire. Il est de notoriété publique que les enseignants français du primaire
sont sous-payés. Non seulement, leur traitement brut est bas, l’un des plus
bas des pays de l’OCDE http://www.lemonde.fr/ecole-primaire-et-secondaire/article/2014/09/09/en-france-un-professeur-est-mieux-paye-au-lycee-qu-a-l-ecole_4484274_1473688.html
, mais ils ne perçoivent pas de primes et n’ont pas accès aux heures
supplémentaires, comme leurs « homologues » du secondaire.
L’instituteur français gagne 54% de moins que son collègue allemand. Compte tenu du niveau d’études nécessaire,
l’instituteur français est perdant : il gagne 72% du salaire qu’il
toucherait s’il travaillait en dehors de l’EN, à qualification égale.
·
La reconnaissance
sociale. Les enseignants souffrent d’un manque de reconnaissance sociale, fruit
de la dégradation générale des conditions d’exercice, du piètre salaire et de
la perte d’autorité professionnelle.
·
La perte
d’autorité. La dégradation de la reconnaissance sociale émousse l’autorité
de l’enseignant. Tout comme la perte d’autorité influe sur la reconnaissance
sociale. À cela s’ajoute la perte de l’autorité
purement professionnelle, ses prises de décision pédagogiques pouvant être
remises en cause par des non experts dont les opinions ont autant de poids que
celle des enseignants.
·
L’ingérence
des parents d’élèves, avocats de leurs enfants dans la pratique
enseignante. Critique des méthodes, contestation
systématique, manque de confiance, aggressivité verbale et parfois physique.
Cela contribue à ne plus se sentir libre d’exercer son métier et à le faire
avec crainte souvent, en essayant d’anticiper les éventuelles conséquences pouvant découler de telle ou telle action
pédagogique.
·
La
multiplicité des réformes ou autres « refondations ». Les
enseignants en ont la nausée. Non parce qu’ils sont d’abominables réactionnaires passéistes. Mais
parce que les réformes successives, et cela depuis les années 60, ne font
qu’aggraver leur situation et leurs conditions d’exercice sans jamais apporter
aucun bénéfice aux élèves. A tel point
qu’à chaque réforme annoncée, et ce quel qu’en soit l’auteur, nous savons tous
qu’au mieux cela ne changera rien et au pire, cela alourdira nos tâches, déjà
bien lourdes, sans jamais par contre améliorer les résultats chez les élèves. Cela
est maintenant devenu une loi universelle.
Nombre de personnes n’ayant
jamais fréquenté de près le monde enseignant, se font une idée fausse de la
profession et en restent à des clichés savamment entretenus par tous les
phobiques de la fonction publique, selon lesquels les enseignants seraient des
privilégiés toujours mécontents. Il serait temps que l’on sache qu’il n’en est
rien. La situation est aussi grave pour le corps enseignant que pour les élèves
entraînés inexorablement dans cette détérioration. Quand un état traite son corps enseignant de
la sorte, cela en dit long sur ses ambitions pour la société de demain.
tout à fait d'accord avec toi..... mais quand il faut bouger, personne n'est là.
RépondreSupprimerSébastien
Merci pour ce bel article ^^
RépondreSupprimerIl ne manque plus que la maltraitance des enseignants (problèmes des mutations, non remplacement, situation des compléments de temps partiels et remplaçants gérée de façon peu raisonnable...) et tout est dit !
RépondreSupprimerBravo et merci pour cet article !
Dramatiquement vrai et juste. Si seulement cela pouvait être compris et entendu ...
RépondreSupprimerJe découvre votre blog. Félicitations pour cet article qui liste bien les raisons de notre malaise.
RépondreSupprimerje n'ai jamais autant été stressée par mon job ..... pourtant je prends ma retraite à la fin de cette année... j'ai même eu droit à une inspection, si, si, ..... et dans le rapport on me conseille de remédier à l'avenir à ce qui ne va pas ou n'est pas "conforme" ..... hallucinant !!!! Je ne peux que souhaiter un énorme courage aux collègues qui ont encore du temps à faire .....
RépondreSupprimerMerci pour vos commentaires. Espérons que nous serons de plus en plus nombreux à dire ou à écrire les choses, je compte beaucoup sur les vertus de la répétition ! Bon courage à vous.
RépondreSupprimerEt la pression quant à la surcharge des programmes on en parle?
RépondreSupprimerLa pression pour les profs, certainement, mais pour les élèves aussi auxquels on demande de savoir de plus en plus de chose, de plus en plus tôt, sans tenir compte aucunement de leur développement neurologique...
SupprimerBravo pour cet article. C'est intéressant, en tant que parent d'élève, d'avoir ce point de vue posé, même si je suis souvent la première, je l'avoue, à râler contre vos grèves, votre mécontentement qui apparaît souvent comme un mécontentement chronique et systématique. Cependant, moi aussi, en tant que parent, je suis effarée de voir où vont notre école, nos collèges et nos lycées. Et je me pose souvent la question, en entendant les réformettes de nos ministres successifs, plus aberrantes et déconnectées de la réalité les unes que les autres : quand vous et nous, parents et enseignants, descendrons-nous ENSEMBLE dans la rue pour dire STOP ?
RépondreSupprimerTriste réalité pour nos enfants qui finalement sont les premières victimes de tout cela... Mais effectivement les parents d'élèves en difficultés ne pourront pas dire dans quelques années à l'Educ Nat "vous n'avez rien fait pour nos enfants" car grâce à tous nos papiers inutiles l'administration pourra justifier de PPRE, PPTSA (euh non PAP maintenant), PAI, APC stages RAN etc..... mis en place pour leur enfant. Vraiment c'est inquiétant pour nos enfants qui ne sont pour l'administration qu'un papier et un numéro dans base élève.
RépondreSupprimerExcellente analyse, on voit bien sur le vécu.
RépondreSupprimerMais la plupart des enseignants agit en brave petit soldat la plupart du temps : il faut faire ça alors on le fait meme si on n est pas d accord, meme si c est inutile, meme si ...et on n a rien en retour car le systeme est de plus en plus pourri. Nous sommes ecoutes par bien peu de monde, certains nous jalousent, certains nous maudissent,... certains nous agressent, ...et que dire des belles paroles de nos ministres successifs. Et si TOUS les enseignants allaient dans la rue un jour ?
C'est un bel article et tristement vrai. Mais tant que nos colères resteront à l'état d'article ou de blog les choses ne changeront pas. Cela fait du bien le temps de l'écrire ou de le lire, et après on fait quoi ?
RépondreSupprimerBravo, j'ai lu avec attention cet article. Après 20 ans au sein de l éducation nationale, en primaire, j'ai choisi de démissionner il y a 3 mois. Ce métier était ma passion mais le mammouth m'a "tuer"... je suis sortie de la épuisée totalement mais j'ai eu la force d'en partir avant de devenir aigrie. Quelle tristesse. ..
RépondreSupprimerQuel courage, j espere que vous arriverez à rebondir...
SupprimerCet article devrait être remis à tous les parents qui ne comprennent pas votre colère et votre souffrance, vous n'êtes pas enseignants pour la paperasse ni pour éduquer les enfants mais pour enseigner, pourquoi être moins payés que vos collègues, vous ne faîtes pas le même travail? Distribuer cet article, expliquer aux parents qui ne savent pas, ne baissez pas les bras, rassemblez et battez vous, IL FAUT DESCENDRE DANS LA RUE. Courage
SupprimerEn effet, il en faut du courage pour démissionner: il faut expliquer à son entourage qui, bien souvent, ne comprend pas que l'on puisse quitter un travail aussi "planqué", il faut trouver le courage de trouver autre chose, de faire valoir ses compétences, il faut aussi ne pas avoir peur d'être dans une certaine insécurité niveau emploi et donc, niveau financier, etc.
SupprimerQue faites-vous maintenant? Je pense que beaucoup aimeraient savoir ce que deviennent les professeurs qui démissionnent.
Etes-vous dorénavant plus épanoui? Avez-vous trouver un équilibre de vie?
En espérant vous lire.
En effet il faut beaucoup de courage pour cela mais après tout, c’est la chose à faire quand un métier vous tue à petits (ou grands) feux. À titre informatif, il existe un site très intéressant pour ceux qui y songent, il est bourré de conseils et témoignages.
SupprimerBonne continuation, loin du mammouth !
C'est tout le service public qui part à vau-l'eau... et l'Education Nationale n'en est qu'un pan.
RépondreSupprimerArticle explicite
RépondreSupprimerMerci pour cet article que je vais, avec votre accord, copier et mettre dans mon cahier journal de "maîtresse" de cycle II...
RépondreSupprimerVous pouvez en disposer comme bon vous semble. Bonne continuation
SupprimerTout ceci est certainement assez juste, la souffrance que vous décrivez certainement réelle, mais doit-on comprendre que dans le malaise des enseignants et avec lui celui de l'école, et au final aussi celui de nos écoliers, rien, rien n'a de rapport ou de lien avec les enseignants eux-mêmes ?
RépondreSupprimerLa responsabilité est toujours extérieure aux enseignants eux-mêmes, à leurs positions, à leurs syndicats ?
Bonjour, votre remarque est très pertinente et reflète, je pense, une idée assez répandue. Mon billet n’a pas pour but d’exonérer les enseignants de toute responsabilité mais d’expliquer les conditions de leur exercice.
SupprimerLes enseignants ne sont ni pires ni meilleurs que ne le sont les membres d’autres professions. Si certains manquent de professionnalisme, c’est simplement parce que leur formation a été défaillante ou leur recrutement inadéquat. Récemment, je voyais à la télévision un enseignant ironisant sur ses collègues qui maîtrisent mal l’orthographe. Bien sûr, je trouve cela choquant. Mais il ne faut pas se tromper de cible et plutôt se demander : pourquoi recrute-t-on des personnes ne maîtrisant pas l’orthographe ?
Par ailleurs, j’appartiens personnellement à un courant pédagogique qui aime à dire que « si l’élève n’a pas appris, alors le maître n’a pas enseigné » (Engelmann, voir billet précédent). Je suis la première à assumer cette responsabilité pédagogique. Pour être plus précise, voici comment s’enchaînent les choses : un apprentissage réussi s’appuie sur une action pédagogique également réussie, ce qui induit une méthode pédagogique efficace (toutes ne le sont pas). Mais encore faut-il que l’enseignant ait été formé à ces méthodes efficaces. Ce n’est pas le cas actuellement. À cela s’ajoutent les conditions matérielles d’exercice décrites dans mon billet (non exhaustives comme l’ont fait remarquer certains commentateurs). On enseigne beaucoup moins efficacement quand on n’est pas serein, car c’est une tâche relationnelle, difficile et nous avons besoin d’être en confiance totale.
Les conditions actuelles sont loin de permettre cette sérénité. L’enseignant public a donc une liberté d’action toute relative qui s’exprime dans le cadre des directives officielles.
Compte tenu de tout cela, je trouve extraordinaire que l’édifice éducatif public ne se soit pas encore complètement écroulé. S’il tient encore debout c’est bien grâce à la détermination, à la persévérance et au bon sens d’une grande majorité d’entre nous qui gardent le cap quand les ministres et les réformes déferlent. Mais de cela le grand public n’a pas conscience.
Cordialement,
Bonjour,
SupprimerEt merci de votre réponse, enseignant spécialisé, je ne me considère pas tout à fait extérieur au monde enseignant. La "société", les pouvoirs publics, le public, le grand public, les parents, interrogent l'école et son fonctionnement. Ils ont raison, c'est ce qui fait la valeur de notre métier, l'enjeu que représente notre fonction, la responsabilité que nous avons de participer à l'avenir d'une personne, d'un groupe et de contribuer à l'évolution de cette même société. On peut, à l'envie, regretter qu'après y avoir été formés, les adultes se plaignent de ce qu'elle est ou de ce qu'elle devient.
On peut, aussi, et certainement légitimement, regretter l'insécurité qui entoure l'exercice de cette profession, les réformes virevoltantes et l'utilisation de l'actualité comme mode de gouvernance. Subir ces voltes faces permanentes n'aide pas, ni à bien se former, ni à bien enseigner.
Mais on peut aussi faire preuve de réflexion. Chaque réforme annoncée est accueillie par la profession comme une erreur de jugement de personnes qui ne savent pas. Nos syndicats, qui par ailleurs représentent au mieux 1/10ème de la profession, sont vent debout à chaque proposition interrogeant le fonctionnement de l'école. Sans être préhistorique, le corps enseignant n'est pas simple à accompagner, et même sans le vouloir, votre article, comme beaucoup d'autres s'inscrit dans le dualisme habituel : ceux de l'extérieur critiquent le système de l'école, ceux de l'intérieur disent que c'est très difficile.
Il serait certainement temps d'aller un peu plus loin....
Comme vous le dites très bien, et pourtant sans juger de l'efficacité pédagogique des méthodes des uns et des autres, une part essentielle de ce métier repose sur l'engagement des enseignants, leur engagement pour les élèves qui repose aussi sur un engagement militant. Mais, pour aller au bout des choses, quel est aujourd'hui l'état de cet engagement ?
Cordialement,
Bonjour,
SupprimerJe ne rebondirai pas sur l’évocation préhistorique du corps enseignant. J’admets bien volontiers que le mammouth n’est pas réputé pour sa maniabilité.
Il est normal que des critiques internes et externes se fassent mais les choses ne sont pas aussi binaires qu’on pourrait l’imaginer. Par exemple, il y a aussi chez certains parents d’élèves une demande forte pour une école véritablement efficace.
Vous évoquez le militantisme des enseignants. C’est une idée très répandue. Mais c’est aussi hélas le signe que ce métier n’a pas vraiment un statut de professionnel. Comme dirait Clermont Gauthier, voici un métier «qui tarde à se professionnaliser ». La qualité première d’un enseignant ne devrait pas être son militantisme, ni sa vocation, ni ses vertus humaines personnelles, qualités variables d’un individu à un autre. Un enseignant correctement formé devrait être capable d’assumer sa tâche comme un professionnel dès sa première année, sans aller puiser dans des ressources personnelles dont on ne peut a priori juger des effets. Un professionnel devrait être capable de choisir les meilleurs moyens pour favoriser la réussite des élèves, ce qui implique qu’il ait connaissance de tous les moyens possibles mais surtout qu’il ait connaissance de leur rapport à l’efficacité. C’est un critère d’expertise que seule une formation adéquate lui permettra de posséder. Bien sûr, le professionnel utiliser aussi ses qualités personnelles et son engagement mais ceux-ci ne sont pas au centre de son action.
Cordialement,
Voici une discussion bien intéressante, en effet.
SupprimerLa tentation de la "professionnalisation" est une tendance aussi. Elle répond au désir de maîtrise, de rationalisation du métier. Elle a tout son sens, en particulier si on cherche à solutionner un certain nombre de problèmes actuels.
Elle a cependant aussi ses limites, car la formation, pour avoir un sens doit aussi préserver une part de liberté, surtout quand il est très complexe d'évaluer la pertinence réelle des méthodes proposées. L'exemple de la lecture est suffisant pour ouvrir un débat large comme le grand canyon... la confrontation à la réalité des élèves, à leur singularité dans la difficulté quand ils buttent sur cet apprentissage suffit à abattre bien des certitudes sur "la méthode" qu'il faudrait alors proposer.
Et si on ne propose pas une méthode, il faut alors en proposer plusieurs, expliquer que c'est l'obstination de l'enseignant à varier, à panacher, à rechercher, son inexorable engagement à confirmer le postulat d'éducabilité qui permet, un jour, de faire aboutir l'élève dans son projet, son envie d'apprendre à lire...
OUi, mais c'est flou, c'est angoissant, ce n'est pas assez précis, pas assez cadrant... et il en naît souvent un sentiment de manque de maîtrise, de manque de compétence... car la formation n'est pas suffisamment précise, claire... ou parce que c'est plus compliqué que ça.
Et là, l'engagement joue. Pas obligatoirement celui du néo titulaire, mais celui aussi des autres.
La très intéressante étude de Stéphane Martineau et Annie Presseau sur le sentiment d'incompétence pédagogique des nouveaux enseignants canadiens tend à montrer comment finalement, la formation échoue à impulser de réels changements dans un corps fortement marqué par la pression de conformité.
Cordialement,
Je suis d'accord avec Christophe: un enseignant est un peu plus qu'un "professionnel", c'est un adulte qui se sent proche des enfants (sans en être un :-) ). Bien entendu, il faut de l'expérience avant de mettre au point sa "technique" personnelle et beaucoup d'échanges entre collègues, voire même une expérience professionnelle en dehors du monde de l'Education.
SupprimerJe rejoins le message fondamental du texte proposé par Françoise qui se résume à mon humble avis au mot SERENITE. J'ajouterai immédiatement SALAIRE pour être complet. En lisant le Bilan Social de l'Education nationale, les conditions de vie des hussards incolores sont limpides, voire transparentes. Je suis découragé: il y a trop de docilité et de servilité parmi nous, enseignants du 1er degré, soumis à une pression hiérarchique à qui on ne veut pas déplaire...
Pour répondre brièvement, la professionnalisation bien sentie n’entame en aucune manière la liberté de mouvement de l’enseignant, dès lors qu’il est capable de savoir quelles actions pédagogiques sont efficaces et lesquelles ne le sont pas ou le sont moins. La professionnalisation ne signifie pas que l’enseignant renonce à sa personnalité d’enseignant, ni qu’il devient un simple technicien appliquant des procédures qu’il ne comprendrait qu’à moitié. Je pense qu’au contraire la professionnalisation, c’est-à-dire la maîtrise et la connaissance des savoirs indispensables à l’enseignement, libère l’enseignant, le rassure, lui donne confiance et crée un climat très favorable. Il est plus disponible pour être à l’écoute de ce qui se passe chez les élèves et pour être encore plus interactif.
SupprimerVous évoquez aussi la question de l’évaluation des méthodes. Ce n’est pas un problème quand on admet l’utilisation des données probantes en éducation. Ces données tangibles évaluent les efficacités respectives des différents processus. Mais encore faut-il que l’enseignant en ait connaissance ; cela devrait se faire par la formation initiale et continue.
La pression de conformité, quelle plaie dans notre métier ! Elle est bien là, chez nos formateurs en particulier, et aussi chez nombre d’enseignants qui n’osent pas remettre en parole le dogme proposé. Pour citer un exemple que je connais bien, on est théoriquement libre d’utiliser dans sa classe l’Enseignement Explicite, en vertu de la liberté pédagogique, mais ceux qui le font doivent être capables de résister à cette pression de conformité ; à eux, plus qu’à d’autres, on demandera de justifier et d’argumenter leurs choix, ce qui, soit dit en passant n’est pas très difficile.
Cordialement,
On se rejoint sur la plupart des idées que vous exprimez. Un petit bémol cependant concernant vos comparaisons primaire/secondaire. Vous semblez oublier que les enseignants de collège ont, pour certains (suivant la discipline enseignée) plus de 200 bulletins à remplir par trimestre avec en amont un suivi qui est le même que celui que vous faites mais sur un effectif plus élevé (nous avons aussi les PAI, PPRE, socle commun, et des rdv avec les parents qui ne sont pas rémunérés en heures supplémentaires contrairement à ce que pensent certains collègues du primaire). Je ne pense pas qu'il soit choquant d'établir des primes pour compenser cette différence de temps de travail administratif. Par ailleurs si on veut tout comparer, les collègues de collège qui font passer des épreuves diagnostiques aux élèves en plus de leur enseignement normal n'ont pas de rémunération (aussi faible soit elle) pour le temps consacré à la correction j'ai enseigné en collège pendant 13 ans et je viens d'obtenir un poste en lycée. La charge de travail n'est pas la même et pourtant le salaire est identique. Je suis professeur principal en seconde et le suivi que je fais des élèves me demande un temps encore plus important qu'au collège et l'ISOE n'est pas plus élevée. L'âge des élèves n'étant pas le même entre le primaire et le secondaire, les problèmes ne sont pas non plus les mêmes. La pré-ado et l'adolescence sont des périodes particulièrement difficiles (tous les parents le reconnaissent). La gestion d'élèves de ces âges est donc éprouvante. Sans compter que les effectifs sont plus élevés dans le secondaire que dans le primaire (il faut une énergie considérable pour gérer 35 élèves en lycée et sans doute encore davantage pour canaliser une trentaine d'élèves en 4è ou en 3è). Je ne serai pas choqué qu'il y ait une légère différence de traitement entre le collège et le lycée et une différence entre le primaire et le collège ou encore entre la maternelle et le primaire. Je doute qu'il soit sain et constructif de vouloir opposer le primaire et le secondaire.
RépondreSupprimerPour finir, et pour aller dans vitre sens, on peut rajouter le fait qu'une pression de plus en plus importante est exercée par la hiérarchie. De plus en plus de chefs d'établissements (en collège en tout cas) font malheureusement passer leurs intérêts personnels avant l'intérêt des élèves et font tout leur possible pour répondre le plus docilement aux attentes des rectorats et inspections académiques de manière à obtenir les primes les plus élevées possibles ( suppressions de postes au lieu de les maintenir, disparition de certaines options, crédits d'enseignement de plus en plus réduits, arrangements pour correspondre aux taux de reussite fixés à l'avance pour le brevet ou le fameux socle commun...).
Et je ne parle pas des inspecteurs qui rabaissent, critiquent sans bâtir et humilient tout en exigeant dans le même temps toujours plus de bienveillance de la part des enseignants envers les élèves (faites ce que je dis, pas ce que fais).
Bonjour,
SupprimerJe méconnais sans doute beaucoup de choses sur les conditions d’exercice des enseignants du secondaire. Et pour cause ! Merci de les préciser. Le but de mon billet n’est pas de faire une comparaison entre les deux métiers mais d’exprimer le ressenti des collègues du primaire.
Je ne vais pas me livrer à un contre-inventaire des contraintes subies pour déterminer lequel des deux est le plus mal loti, ce serait tomber dans cette malsaine opposition primaire/secondaire que vous déplorez.
Les différences de traitement entre primaire et secondaire qui ne vous choquent pas, sont très mal vécues chez nous en raison du supposé alignement que nous avait fait miroiter la réforme Jospin. Certes, nous appartenons maintenant au corps des « professeurs des écoles »…
L’opposition primaire / secondaire n’est pas à encourager, je suis d’accord avec vous. Ce sont deux métiers différents mais complémentaires. Il n’en reste pas moins qu’elle existe bel et bien sur le terrain. C’est un facteur très ancien qui contribue au mal-être des enseignants du primaire Ce n’est pas la stimuler que de le dire.
Juste pour la remarque, je trouve votre réponse très pertinente. Elle a le mérite de ne pas jeter d'huile sur le feu.
SupprimerMais à tout bien considérer, c'est un peu dommage, car si vous vous interdisez de comparer primaire et secondaire, l'auteur du billet, lui (ou elle) ne se gêne pas pour le faire et légitimer ainsi une hiérarchie de "facilité" de la maternelle au lycée.
Derrière celle-ci se cache très simplement, sous l'apparence de l'évidence, l'ensemble des conceptions sur lesquelles les enseignants devraient bien s'interroger : la primauté du contenu, du "savoir", des "sachants" sur les autres, qui nie aussi quotidiennement les potentialités d'autres élèves, d'autres enfants, adolescents, adultes qui ne rentrent pas dans le moule de ce système de sélection et de tri.
Les enseignants de la maternelle et du primaire sont des enseignants, les enseignants du collège et du lycée aussi. Rien ne légitime en fait une différence de traitement à formation égale. Dans certains pays du Nord de l'Europe, les futurs enseignants sont ainsi formés à l'ensemble des possibles. Ces systèmes ne paraissent pas moins pertinents et efficaces. Et sans faire d'angélisme ou sans idéaliser, une chose du moins doit être mieux. Au final certains sont peut-être moins prétentieux.
Cordialement,
J'ai choisi ce métier à 14 ans, à un âge où les considérations financières ne pèsent pas vraiment dans les projets professionnels. Quand je vois les conditions dans lesquelles on nous demande d'enseigner ( un peu tout et n'importe quoi d'ailleurs) je regrette parfois d'avoir consenti à tant d'efforts pour en arriver là. Quelle déchéance dans l'éducation nationale, quelle frustration de devoir enseigner avec des méthodes dont on sait pertinemment qu'elles seront peu efficaces ou pas pour tous et ce pour des considérations purement comptables! Quel regret aussi de voir que nos parents se sont saignés pour nous permettre de poursuivre de longues études mais pour finalement se rendre compte que le métier ne correspond pas à notre idéal vertueux.
RépondreSupprimerEt pourtant je continue, parce que malgré tout je reste convaincu que transmettre le goût et les vertus de l'effort est vital dans une société à la dérive et parce que j'ose espérer que je serai tout de même utile à quelques élèves ( heureusement certains nous donne cette satisfaction).
Je ne suis pas sûre que l’imposition, ou tout au moins la « recommandation appuyée » de méthodes inefficaces ait des raisons comptables. Il s’agit plutôt d’idéologie et d’un refus d’utiliser les données probantes pour tenter d’améliorer les choses. Utiliser des méthodes efficaces n’est pas plus coûteux, loin de là.
SupprimerBonne continuation, vous avez raison de focaliser sur les aspects positifs du métier.
Les enseignants du Primaire comme du Secondaire, voire du Supérieur, ont des conditions de travail qui se sont dégradées au fil du temps, et de plus en plus rapidement. Au point d’atteindre aujourd’hui un niveau inacceptable. Que le Secondaire connaisse des problèmes, comme le rappelle le (ou la) collègue qui s’exprimait plus haut, ne fait aucun doute.
RépondreSupprimerPour autant, je rappelle qu’en France, les enseignants du Primaire gagnent 9 % de moins que les enseignants du Secondaire, et il y a peu de pays où cet écart est aussi important. Par ailleurs, les enseignants du Primaire sont face aux élèves 40 % de temps de plus que les enseignants du Secondaire. Enfin, en France, les dépenses par élève du Primaire sont inférieures de 17 % à la moyenne de l’OCDE, alors qu’elles sont plus élevées au Secondaire.
Le Primaire est donc bel et bien le parent pauvre du monde enseignant français. Pour s’en convaincre davantage, je renvoie à cet article de mon blog .
De plus, il ne faut pas croire que l’exercice du métier se complique en montant les niveaux de la scolarité. C’est la faiblesse habituelle exprimée par les collègues du Secondaire, sans doute parce que penser cela est gratifiant pour eux. Il est à remarquer que, sur ce point, les collègues du Supérieur semblent mieux percevoir l’étendue des exigences professionnelles du Primaire même s’ils en sont les plus éloignés.
Ainsi, ayant fait toute ma carrière dans l’Élémentaire, j’ai le plus grand respect pour mes collègues de Maternelle qui parviennent à conduire les petits élèves qui leur sont confiés vers les premiers apprentissages. Et je considère, après quarante années d’exercice, que la classe stratégique pour une scolarité réussie est la classe de Grande Section.
Le Primaire est la base de tout le cursus qui va suivre. Ce qui n’est pas appris avant l’entrée au collège ne se rattrapera plus. Pour preuve, la proportion des élèves en difficulté qui arrivent en 6e est exactement la même en fin de 3e. Les quatre années de collège n’y changent rien : ni aggravation ni amélioration. Voir sur ce sujet cet article .
Le Primaire est donc fondamental et il est toujours bon de le redire.
Les enseignants qui professent dans ces classes jouent donc un rôle essentiel et, par conséquent, ils devraient être salariés dignement : rappelons qu’en France, les enseignants du Primaire touchent 11 % de moins que la moyenne des pays de l’OCDE.
L’intérêt que porte un pays à son avenir se mesure à l’importance qu’il accorde à son École. La France n’a donc pas fini de dégringoler dans les années qui viennent…
Je ne commenterai pas le fond, d'autres l'ont fait avant moi et la critique resterait très positive.
RépondreSupprimerC'est sur la forme que j'interviendrai : 86% d'enseignantes dans le premier degré et je ne vois que des enseignants.
Même si la poussiéreuse Académie et le poids des habitudes nous impose un masculin primant sur tout, des hommes préhistoriques, des conseils des maîtres ou des "il, elle, on" défiant l'ordre alphabétique, je pense qu'il est de notre devoir de rétablir l'équilibre.
Nous les enseignant-e-s devons apprendre que les femmes et les hommes sont égales, même et surtout dans les règles qui régissent notre langue.
Vous verrez, c'est déroutant au début et pas si facile mais il suffit de s'y mettre !
Jérôme
Merci à celles et ceux qui ont participé à la discussion. Les commentaires sont maintenant clos.
RépondreSupprimerA bientôt pour un autre billet.
la crise de recrutement des enseignants diminuera notamment lorsque l’on prendra en compte réellement les risques professionnels du métier : voir » prévention des risques professionnels des enseignants » : http://www.officiel-prevention.com/formation/fiches-metier/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=206&dossid=349
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