Le malaise des enseignants est
très répandu dans la profession. L’ampleur de la crise de recrutement ne peut
plus être passée sous silence. Je ne m’étendrai pas sur les sempiternelles solutions suggérées face à une réalité qui
nous rattrape toujours. Seule l’institution pourrait avoir les clés de
résolution du problème, si seulement elle en avait la volonté profonde.
Depuis la salle de classe, voici quelques-unes
des raisons à ce malaise.
Ce que beaucoup ignorent, c’est
qu’il ne vient pas des élèves. Bien sûr, ceux-ci nécessitent une énergie
considérable, en particulier quand ils présentent des problèmes de
comportement, ce qui est fréquent aujourd’hui.
Le contact avec les élèves et leur enseignement est sans aucun doute la
raison principale du choix de ce métier.
Une fois écartés les élèves, la
liste est longue des éléments qui, additionnés les uns aux autres, conduisent au
dégoût, au stress, à l’indifférence parfois, ou au burnout.
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La « surbureaucratie »
envahissante depuis quelques années. L’enseignant doit remplir des tonnes de
formulaires justifiant ses actions pédagogiques, au détriment bien souvent des
actions elles-mêmes, car ce qui compte dans cet univers, c’est la lettre plus
que l’esprit. Il doit se tenir informé des dernières nouveautés en matière de
paperasses. Dois-je mettre en place un PPS, un PAI, un PAE, un PPRE ou alors un
PAP tout simplement ? Oui, mais cette année, les conditions ont changé, ce
qui relevait du PAE relève maintenant d’un autre document. Que faire ?
Vent de panique. Sans parler des livrets d’évaluation ou autres livrets de
compétence qui vont hanter ses fins de période, tant ils sont chronophages.
L’enseignant va cocher, colorier, entourer des cases jusqu’à l’écœurement,
oubliant ce qu’il évalue, évaluant parfois au pif, surévaluant, sous évaluant,
peu importe, si les cases sont cochées, c’est tout bon.
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La culpabilisation
induite par la hiérarchie ou même les collègues des équipes éducatives :
l’enseignant, quoi qu’il fasse n’en fait jamais assez. Un enfant en difficulté
dans la classe, l’enseignant ne sait pas s’y prendre, sa méthode n’est pas
bonne, il n’individualise pas assez, il en demande trop ou pas assez. Si les élèves
se comportent mal, c’est parce que l’enseignant ne sait pas les motiver, les
intéresser, parler leur langue, partir de leur vécu. Bref, il manque de bienveillance…
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L’École comme
solution à tous les problèmes. Il s’agit de tout ce que l’on demande à
l’École en général, mais à l’enseignant en particulier : résoudre les problèmes sociaux tels que
par exemple, lutter contre l’obésité,
contre les addictions, contre le racisme, contre l’homophobie, contre l’anti-sémitisme,
contre la perte des valeurs morales, éduquer au développement durable, à la
citoyenneté (terme qui, au passage, est depuis peu supplanté par celui de valeurs républicaines), à la prévention
routière, aux premiers secours…Une fois qu’il a fait tout cela et qu’il a coché
les cases prouvant qu’il l’a fait, il doit enseigner les fondamentaux dont les
textes officiels disent qu’ils sont le « socle commun de connaissances, de
compétences et de culture. » Comment dans ces conditions, ne pas avoir le
sentiment de ne pas pouvoir y parvenir ?
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L’isolement
en particulier pour les débutants qui, face à des difficultés bien réelles
se voient répondre un discours plus idéologique que pragmatique et des
suggestions qui ne font qu’aggraver leur situation. Comme ce conseiller
pédagogique qui suggérait à une débutante incapable de prendre sa classe en
main, de « faire du Freinet ». Et bien souvent, lorsque malgré toute
sa bonne volonté et des heures de préparation inutiles, l’enseignant n’y
parvient toujours pas, on lui fait comprendre qu’il en est seul responsable.
·
La
formation initiale n’est absolument pas professionnalisante. En sortant de
l’IFE Bac + 5 (anciennement IUFM, anciennement Écoles Normales d’instituteurs)
vous n’êtes pas armés pour conduire une classe avec succès. Il vous faudra
attendre plusieurs années selon votre volonté personnelle, votre endurance
physique et nerveuse, votre anti-conformisme, bref votre personnalité, pour
commencer à y parvenir. Ne crierait-on pas au scandale si, dans le domaine
médical de telles pratiques étaient courantes ?
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La
formation continue, normalement, devrait permettre aux enseignants en poste
de se tenir informés des dernières issues de la recherche en éducation afin
d’améliorer leurs pratiques quotidiennes.
Et bien non, chez nous, il n’en
est pas ainsi. Par exemple, je n’ai jamais vu de formation continue portant sur
l’Enseignement Explicite, ou sur les apports des sciences cognitives en
éducation. Ni les écrits de Clermont Gauthier, pourtant en français, ni ceux de
Stanislas Dehaene ne font jamais l’objet d’une information. La formation
continue veille à garder les enseignants dans le dogme constructiviste, elle
les tient écartés de tout ce qui pourrait les conduire vers l’utilisation de
méthodes efficaces. Parfois, elle demande aux enseignants de poser des
questions et de trouver en eux-mêmes les réponses (Phrase mémorable entendue
dans la bouche d’un formateur : « Posez
toutes les questions que vous voulez, mais nous ne sommes pas là pour y
répondre »). En cela, la formation est en harmonie avec ses principes,
elle utilise le constructivisme, avec ceux qu’elle y forme. On connaît le
résultat.
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L’injustice
de traitement. La réforme Jospin a laissé croire aux enseignants du
primaire qu’ils seraient désormais alignés sur ceux du secondaire. Nous l’avons
tous cru, un bref instant. Il n’en est rien : salaire, temps de travail,
primes etc… Il est à remarquer que la France, parmi les
pays de l’OCDE est celui où les différences entre le statut des enseignants
du primaire et celui des enseignants du secondaire sont les plus importantes. Le
salaire de l’enseignant de primaire est 17% inférieur à la moyenne des pays de
l’OCDE alors que celui des enseignants du secondaire n’est que de 3% inférieur.
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Le
salaire. Il est de notoriété publique que les enseignants français du primaire
sont sous-payés. Non seulement, leur traitement brut est bas, l’un des plus
bas des pays de l’OCDE http://www.lemonde.fr/ecole-primaire-et-secondaire/article/2014/09/09/en-france-un-professeur-est-mieux-paye-au-lycee-qu-a-l-ecole_4484274_1473688.html
, mais ils ne perçoivent pas de primes et n’ont pas accès aux heures
supplémentaires, comme leurs « homologues » du secondaire.
L’instituteur français gagne 54% de moins que son collègue allemand. Compte tenu du niveau d’études nécessaire,
l’instituteur français est perdant : il gagne 72% du salaire qu’il
toucherait s’il travaillait en dehors de l’EN, à qualification égale.
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La reconnaissance
sociale. Les enseignants souffrent d’un manque de reconnaissance sociale, fruit
de la dégradation générale des conditions d’exercice, du piètre salaire et de
la perte d’autorité professionnelle.
·
La perte
d’autorité. La dégradation de la reconnaissance sociale émousse l’autorité
de l’enseignant. Tout comme la perte d’autorité influe sur la reconnaissance
sociale. À cela s’ajoute la perte de l’autorité
purement professionnelle, ses prises de décision pédagogiques pouvant être
remises en cause par des non experts dont les opinions ont autant de poids que
celle des enseignants.
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L’ingérence
des parents d’élèves, avocats de leurs enfants dans la pratique
enseignante. Critique des méthodes, contestation
systématique, manque de confiance, aggressivité verbale et parfois physique.
Cela contribue à ne plus se sentir libre d’exercer son métier et à le faire
avec crainte souvent, en essayant d’anticiper les éventuelles conséquences pouvant découler de telle ou telle action
pédagogique.
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La
multiplicité des réformes ou autres « refondations ». Les
enseignants en ont la nausée. Non parce qu’ils sont d’abominables réactionnaires passéistes. Mais
parce que les réformes successives, et cela depuis les années 60, ne font
qu’aggraver leur situation et leurs conditions d’exercice sans jamais apporter
aucun bénéfice aux élèves. A tel point
qu’à chaque réforme annoncée, et ce quel qu’en soit l’auteur, nous savons tous
qu’au mieux cela ne changera rien et au pire, cela alourdira nos tâches, déjà
bien lourdes, sans jamais par contre améliorer les résultats chez les élèves. Cela
est maintenant devenu une loi universelle.
Nombre de personnes n’ayant
jamais fréquenté de près le monde enseignant, se font une idée fausse de la
profession et en restent à des clichés savamment entretenus par tous les
phobiques de la fonction publique, selon lesquels les enseignants seraient des
privilégiés toujours mécontents. Il serait temps que l’on sache qu’il n’en est
rien. La situation est aussi grave pour le corps enseignant que pour les élèves
entraînés inexorablement dans cette détérioration. Quand un état traite son corps enseignant de
la sorte, cela en dit long sur ses ambitions pour la société de demain.