Une fois de plus la formule magique est lâchée, celle à laquelle on ne peut rétorquer, celle qui excuse tout, qui permet tout. La
morale interdit de critiquer tout ce qui est brandi au nom de l’intérêt des
enfants. Sinon, vous passez pour le
croquemitaine de service.
Pour commencer, on remarquera qu’on parle d’enfants et non
d’élèves, ce qui n’est absolument pas la même chose. L’enseignant a devant lui
des élèves, c’est-à-dire des enfants qui se trouvent en sa présence dans le but
d’apprendre quelque chose. Que les parents parlent d’enfants est normal, mais
que le ministère et les textes officiels le fassent aussi pose la question du
véritable rôle qui est attribué à l’enseignant et plus largement celui de l’école.
Il n’en reste pas moins que cette formule choc, brandie
depuis des décennies, permet de justifier tout et son contraire. Ainsi :
Dans l’intérêt des enfants, la semaine de 4 jours, la semaine
de 4 jours et demi, les méthodes de découverte, l’intégration et l’inclusion
des handicapés, la suppression du redoublement,
la territorialisation de l’enseignement, les cycles à l’école, les études
dirigées, les projets d’école, les parents dans l’école, l’ORL, les évaluations
nationales, la méthode syllabique en lecture, la méthode semi-globale, la
suppression des notes … Ce fourre-tout n’est pas exhaustif, loin de là ;
chacun y rajoutera à sa guise ce qui manque.
D’une manière générale, si l’on met un bémol sur ce
prétendu intérêt de l’enfant, on se fait traiter de corporatiste, voire
d’ennemi de l’Enfant. L’enseignement serait bien le seul métier dans lequel il
serait indécent d’être corporatiste. Dans ce cas, ce n’est plus un métier mais une vocation, comme celle de
religieux par exemple, ou de bénévole associatif. Il est complètement tabou d’oser évoquer
l’intérêt de l’enseignant, ou son bien-être, ou son estime de soi. Car on le
met tout de suite en opposition avec celui de l’élève. Cette incohérence révèle
une méconnaissance complète et gravissime de ce métier ; prenons un pays
imaginaire dans lequel l’enseignant exercerait un métier estimé, reconnu, aurait les moyens matériels de le faire efficacement,
gagnerait correctement sa vie, serait autonome dans sa pratique. Ce bien-être et
cette estime de soi professionnels ne rejailliraient-ils pas positivement sur
les élèves ? Un enseignant bien dans son métier, arrivant en classe le
matin avec dans sa tête tout ce qu’il va pouvoir enseigner à ses élèves passe
une bonne journée et ses élèves aussi. Mais il n’en est rien dans la vraie vie :
l’enseignant qui arrive en classe en pensant : que va-t-il m’arriver aujourd’hui ? (parent hargneux,
hiérarchie tatillonne, méthode pédagogique ne me convenant pas mais que je suis
obligé d’utiliser, élèves difficiles et moi incapable de m’en sortir …).
De plus en plus d’entreprises privées ont compris cela et ont
remarqué que les employés étaient plus efficaces s’ils se sentaient bien dans
leurs jobs. L’Éducation Nationale ne l’a toujours pas compris et notre ministre
actuel, ne fait pas exception, lui qui se dit guidé par le seul intérêt des
enfants. Pourtant, n’est-ce pas lui qui, il y a quelques mois affirmait vouloir
raccourcir les grandes vacances dans le seul intérêt des enfants ? Il a
pourtant suffi que le puissant le lobby touristique se signale à lui et soudain
c’était à nouveau l’intérêt des enfants de garder les grandes vacances en
l’état …
Ce que j’aimerais, au moins une fois dans ma vie, c’est un
décideur qui aurait le courage de ses choix et dirait par exemple : le
redoublement coûte trop cher, on le supprime, les élèves ont de mauvais
résultats, on casse les thermomètres, les hôteliers râlent, on maintient les
grandes vacances, etc.
En juin 2012, Vincent Peillon, dans sa lettre aux personnels
de l’Éducation Nationale écrivait : « … nous souhaitons manifester à tous les personnels de l'éducation
nationale l'estime et la confiance que nous vous portons… ».
Effectivement, tout ce qui se profile témoigne bien de l’estime en laquelle il
tient les enseignants. Il faudrait peut-être revoir la définition du mot estime…
Enfin, pour terminer, je voudrais claironner moi aussi ce que
je souhaiterais dans l’intérêt des élèves. J’aimerais qu’ils bénéficient de
méthodes pédagogiques efficaces qui les conduiraient à : mieux apprendre,
apprendre plus, y prendre plaisir et regagner ainsi l’estime de soi qu’ils ont
perdue en raison d’années de réformes éducatives inefficaces, toutes au nom de « l’intérêt
des enfants ». Ce n’est pas incompatible avec l’intérêt des enseignants,
bien au contraire, car un enseignant qui réussit avec ses élèves fait un grand
pas vers le mieux - être.