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vendredi 30 septembre 2011

Le fantôme du béhaviorisme



Aujourd’hui, les détracteurs de l’enseignement explicite, qualifient ce dernier de béhaviorisme. Ce mot, brandi comme un épouvantail destiné à effrayer tous ceux qui seraient tentés par une méthode pédagogique efficace [1], est pour eux synonyme d’abêtissement, de dressage, d’abrutissement, de conditionnement, de lavage de cerveau. Présenté ainsi, qui pourrait y être favorable ?

Certes, l’enseignement explicite est mal connu ou connu très superficiellement. On se plaît à n’en retenir que la pratique (guidée puis autonome), conduisant au surapprentissage. Mais il y a aussi le rapport aux sciences expérimentales. En effet, l’enseignement explicite est né de l’observation des enseignants efficaces (dont les élèves avaient de bons résultats scolaires y compris dans les populations défavorisées), cela suffit pour en conclure qu’il s’agit de conditionnement.

Il est peut-être grand temps de préciser que le béhaviorisme est aujourd’hui dépassé dans les modèles éducatifs et que l’enseignement explicite s’appuie surtout sur les sciences cognitives. Cela ne consolera pas les phobiques du béhaviorisme car ils sont également fort hostiles aux sciences cognitives, qu’ils soient pédagogistes ou anti-pédagogistes. Notons au passage l’étrangeté qu’il y a à vouloir ignorer les sciences qui s’intéressent au cerveau lors des apprentissages. Avec quoi apprenons-nous donc ? Le meilleur exemple français reste les travaux de S. Dehaene sur la lecture qui sont quasiment restés lettre morte, du moins qui n’ont eu aucun impact en matière d’enseignement de la lecture. Et ce, malgré la notoriété internationale du chercheur.

Un reproche collatéral fait à cet enseignement supposé béhavioriste consiste à dire qu’il émane d’une école utilitaire, destinée à produire des techniciens et fournir des employés qui seront aptes à faire un certain nombre de tâches techniques. Procès d’intention doublé d'un non-sens : une telle école serait définie par le contenu des programmes qu’elle imposerait, non par une méthode d’enseignement de ces programmes. Une fois de plus, mais c’est maintenant une habitude dans les questions éducatives, on confond la fin et les moyens. Non seulement, l’enseignement explicite n’est pas béhavioriste, mais il ne se penche pas sur les contenus, il n’a pas vocation à réfléchir sur les programmes. Il propose simplement une méthode d’enseignement efficace quels que soient les contenus à transmettre. Ainsi, à l’heure actuelle, les enseignants explicites français transmettent les contenus des programmes de 2008.

La pratique, pierre angulaire de la mémorisation
Puisque c’est la pratique qui est à l’origine des peurs et autres phobies, voyons d’un peu plus près ce qu’il en est.La pratique est un passage obligé pour quiconque désire des apprentissages solides, c’est-à-dire ancrés en mémoire à long terme. En effet, à quoi sert d’apprendre si quelques semaines après ou l’année suivante, il n’en reste plus rien ? Cette attitude de rejet, nouvelle chez nous en France, a déjà quelques années d’existence outre Atlantique, où les progressivistes ont depuis longtemps fait croire que la pratique nuisait fortement à l’épanouissement des élèves et à leur pensée critique.

Pourquoi une pratique soutenue et régulière est-elle nécessaire à l’école ? La recherche sur la question repose sur les sciences cognitives. Pour n’en citer que quelques-uns, on retiendra les travaux de Sweller, mais aussi ceux de Geary, de Willingham, de De Groot et de Weisberg.

La mémoire de travail, ou mémoire à court terme, est aussi appelée goulot de l’esprit en raison de sa capacité limitée en contenance. Pour faire simple, c’est l’endroit où se produit la pensée. En raison de sa limitation quantitative, elle ne peut tout traiter et si l’on veut de l’efficacité, il faut avoir en mémoire à long terme les informations nécessaires. Il y a donc nécessité d’automatiser le recours à ces informations afin d’alléger la mémoire de travail qui pourra se consacrer au raisonnement ou au sens. Sans une pratique soutenue et régulière, l’automatisation ne se fait pas.

Pour parvenir au point de l’automatisation, on parle de surapprentissage, c’est-à-dire d’une pratique allant au-delà du point de maîtrise. Autrement dit, il s’agit de continuer à pratiquer même quand on croit savoir, même quand l’évaluation est passée. Ainsi, en lecture, il faut automatiser le déchiffrage, afin que la mémoire de travail se consacre au sens. L’enfant qui ânonne avec difficulté ne peut pas en même temps comprendre le texte, il est en surcharge cognitive. Il en est ainsi d’autres habiletés comme les faits mathématiques. Comment résoudre un problème si on ne connaît pas les algorithmes des diverses opérations ?

Bien que la pratique prenne des aspects différents concernant la mémoire à long terme, elle n’en est pas moins importante. Les études montrent que si un sujet est étudié pendant un semestre sur une année, il sera retenu correctement pendant environ une année après la dernière pratique, mais sera en général oublié après 3 ou 4  années en absence de pratique supplémentaire. L’oubli intervient pendant les 5 premières années. Les chercheurs ont examiné un grand nombre de variables pouvant potentiellement avoir une importance dans l’oubli ou la rétention, ils ont conclu que la variable clé dans la mémoire à très long terme était là aussi la pratique.

L’automatisation est vitale en enseignement parce qu’elle nous permet d’être plus habiles dans les tâches mentales. Un écrivain efficace connaît les règles de grammaire et d’usage au point de l’automatisation, il sait comment commencer un paragraphe, inclure des détails pertinents. Le mathématicien efficace se réfère à des faits mathématiques importants ainsi qu’à des procédures. Dans toute discipline, certaines procédures sont utilisées incessamment. Elles doivent êtres apprises au point de l’automatisation afin de libérer de l’espace en mémoire de travail. Seulement à ce moment, l’élève sera capable de franchir le goulot imposé par la mémoire de travail et atteindre des niveaux supérieurs de compétence.

Le développement de l’automatisation pour des habiletés générales dépend d’un niveau élevé de pratique. Il n’y a pas d’autre chemin. Fournir une pratique consistante et soutenue est la façon la plus sûre de s’assurer que qu’un élève deviendra un lecteur efficace, un écrivain, un scientifique. Comprendre un argumentaire écrit complexe, écrire un texte, tenir un raisonnement scientifique sont toutes des habiletés réussies grâce à une automatisation des disciplines de base.

D. Willingham parle de pratique soutenue et nourrie : une pratique régulière, des révisions fréquentes, une réutilisation fréquente des connaissances déjà acquises. Ce type de pratique après la maîtrise est nécessaire pour atteindre les trois buts importants de l’enseignement : acquérir des faits et connaissances, apprendre des habiletés, ou devenir un expert.

D’autres travaux portant sur l’expertise et la créativité [2] ont abouti aux mêmes conclusions : la nécessité d’une pratique abondante.

On constate donc que, loin d’être liée à un abêtissement voulu des élèves, la pratique, soutenue et régulière, est le passage obligé pour des apprentissages durables. Les habiletés et connaissances de base supposées être acquises à l’école élémentaire (les fondamentaux) ne font pas exception à la règle. Elles seront intégrées durablement par la pratique car les élèves ne se souviennent que de ce qu’ils ont pratiqué intensément, quelle que soit la discipline. Sans elles aucune possibilité de raisonnement, de pensée critique, de pensée scientifique, contrairement à ce que soutiennent les partisans de l’apprentissage sans effort et sans pratique.

La pratique soutenue et régulière permet d’intégrer toutes les disciplines, qu’elles relèvent des activités physiques, cérébrales, artistiques. L’associer à une école dite “utilitaire”, qui aurait pour but de fabriquer des employés techniciens un peu décérébrés, relève de la contre-vérité. La pratique soutenue est un moyen pour parvenir à plus d’efficacité en enseignement et ce, quels que soient les programmes enseignés. De la même manière que le talent inné sans la pratique est improductif, les compétences de raisonnement, d’esprit critique et de pensée ne peuvent s’acquérir sans un certain nombre d’éléments de base installés durablement en mémoire à long terme. Cette acquisition préalable se fait par une pratique soutenue et nourrie. Les buts sociaux, politiques ou idéologiques que l’on attribue à l’école relèvent d’un tout autre débat.




[1] L’efficacité est aussi devenue une menace. Voir :



[2] Voir :



mardi 27 septembre 2011

L'efficacité en éducation: bannissement immédiat




L’IFÉ publie un dossier sur les pratiques efficaces. Cela mérite d’être annoncé à grand son de trompe. Pour mémoire, les recherches sur la question ont commencé dans les années 60 et elles sont légion. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. À la lecture du dossier constitué par Annie Feyfant, il semblerait que la véritable question qui se pose, l’introduction (ou non) des données probantes dans le champ éducatif, soit de fait sous-tendue par celle qui est livrée en conclusion : « L’efficacité est-elle une finalité légitime en éducation ? » (Marie Verhoeven). À elle seule, cette question est tout un programme.

Faut-il à nouveau rappeler que, pour le commun des mortels, l’efficacité est le rapport entre les buts que l’on s’est fixés et les résultats obtenus.  Pourquoi donc  la notion d’efficacité devrait-elle être écartée du champ éducatif, sauf à penser que l’école est une espèce d’entité sans but ni objectif spécifique. Quels que soient les buts qui lui sont assignés – et c’est là  la pierre d’achoppement des divers courants éducatifs – il y a toujours un rapport d’efficacité entre ce à quoi l’on tend (pour les uns des apprentissages scolaires réussis, pour les autres une bonne estime de soi, pour d’autres le bien-être personnel,  ou la justice sociale, ou encore la création de liens sociaux…) et les résultats obtenus par les moyens que l’on a choisis. Alors, avant de contester les conclusions sur les pratiques efficaces et de nier l’idée que toutes les pratiques ne se valent pas, peut-être faudrait-il honnêtement réfléchir sur les buts et les missions de l’école ainsi que sur les moyens les plus appropriés pour les atteindre.

Prenons un exemple. Une grande majorité de personnes s’accordent pour confier à l’école la mission de former le citoyen éclairé de demain. Mais les moyens pour ce faire varient fortement d’un courant à un autre. Ainsi aux États-Unis, dans les  années 70, on s’est imaginé qu’une bonne estime de soi était suffisante ; on a alors vu apparaître un grand nombre de méthodes supposées l’inculquer. Avec une efficacité toute relative, comme l’ont bien montré les travaux de Jean Twenge (Generation Me: Why Today’s Young Americans Are More Confident, Assertive, Entitled – and More Miserable Than Ever Before, 2007).

À l’heure actuelle, ce dossier de l’IFE en est la preuve, les recherches sur les pratiques efficaces sont de plus en plus connues. Au même moment, apparaît un discours partagé à la fois par les “pédagogistes” et les “anti-pédagogistes”, consistant à diaboliser l’efficacité à l’école au prétexte que cela réveille de vieux démons comme productivité, technicité, bref tout ce que le capitalisme a de plus horrible, inhumain et abêtissant. Il est facile de brandir de tels épouvantails en prédisant une abominable école destinée à former des techniciens serviles et incapables de penser par eux-mêmes. Mais on comprend aussi que ceux-là redoutent les conclusions des données probantes en matière d’efficacité : en effet, elles montrent que l’efficacité est liée à des méthodes bien éloignées des méthodes par découverte comme des méthodes traditionnelles.

En résumé, le rapport à l’efficacité des méthodes pédagogiques, mis en exergue par les données probantes, dérange trop de personnes dans le paysage éducatif français pour qu’il ait la place qu’il mérite dans les « sciences dites de l’éducation ». Alors plutôt que de les étudier attentivement et d’essayer d’en retirer quelque amélioration, on fait ce que l’on fait toujours dans cette situation, on jette l’anathème, on polémique sur les données statistiques, sur les indicateurs et autres détails techniques. Et quand, à bout d’arguments fallacieux, on n’a plus rien à dire, alors on brandit à la population le spectre d’une école utilitaire… avant de remettre en cause la notion même d’efficacité à l’école. La pirouette est éculée : plus d’efficacité, plus de thermomètre, plus de maladie. Malheureusement, combien se sont déjà laissés berner par ce type de discours, et combien le seront encore ?


samedi 17 septembre 2011

L'efficacité en enseignement: tare ou vertu ?



Pour beaucoup [1], l’efficacité en enseignement est devenu un gros mot, au prétexte puéril qu’il évoque des notions comme rentabilité, productivité, technicité et autres abominations liées à ce que le monde capitaliste a de plus horrible et de plus inhumain. Le raccourci est assez inquiétant surtout quand il émane de personnes supposées réfléchir plus intensément que le commun des mortels. Ce qui, dans les autres domaines, est une vertu devient une tare dans l’enseignement. Qui aurait l’idée par exemple, de reprocher son efficacité au chirurgien qui vous a opéré avec succès ? Et pourtant, son geste n’est autre que pure technique. Ou bien de reprocher à l’écrivain l’efficacité de son style et de son imagination, qui pourtant vous ont transporté.

Qu’est-ce que l’efficacité ? C’est le fait d’atteindre les objectifs que l’on s’est fixés. Par exemple, pour revenir dans le domaine éducatif, le courant d’enseignement explicite se donne pour but de transmettre un certain nombre de connaissances et habiletés aux élèves ; il est appelé aussi enseignement efficace car les procédures de transmission qu’il utilise permettent aux élèves, y compris aux élèves en difficultés, de parvenir à ces apprentissages. Et cela n’est pas un effet d’annonce, les études expérimentales à grande échelle l’ayant montré amplement, n’en déplaise à beaucoup.

L’efficacité est donc à mettre en rapport avec l’objectif à atteindre. Pour y parvenir, il faut être capable d’imaginer des moyens adéquats. Or, dans les débats actuels, on constate  une joyeuse  confusion entre fins et moyens, comme l’avait justement analysé Clermont Gauthier il y a déjà de cela plusieurs années. Mais on persiste. C’est peut-être une spécificité française que de faire semblant d’être d’accord sur les fins et de se disputer sur les moyens. Il n’est pas étonnant que le débat n’aboutisse pas et dure depuis si longtemps.

Par exemple, si l’on considère que le but de l’école est de développer le bien-être immédiat des élèves, leur estime de soi  et l’inculcation de valeurs spécifiques,  il est normal que les moyens envisagés ne soient pas identiques à ceux proposés pour transmettre des connaissances. Dans ce contexte-là, oui aux activités ludiques à l’école, oui aux sorties scolaires, oui aux activités de découverte, oui au coaching sur l’estime de soi [2], oui à l’école comme lieu de délice et d’assouvissement des besoins immédiats.

Mais encore faudrait-il avoir le courage de ses opinions et dire les choses clairement, plutôt que de laisser croire que les enfants apprennent mieux en jouant ou en allant se promener. D’autant plus qu’à l’heure actuelle, les recherches en sciences cognitives ont montré de manière unanime que les apprentissages scolaires (que l’on nomme biologiquement secondaires) se font par des procédures explicites, structurées et directes, et non par des méthodes naturelles [3]. Il est curieux de remarquer que cette découverte a du mal à pénétrer la sphère éducative… Tant que l’on n’aura pas débattu honnêtement de cette question, les discussions ne feront que s’enliser sans jamais faire avancer les choses ; au mieux elles créent le trouble dans l’opinion et contribuent à décrédibiliser toute question éducative.

Aujourd’hui, si vous écoutez les uns et les autres [4], tous sont d’accord pour dire que l’école doit produire des citoyens éclairés ; tous s’emparent de la Culture comme moyen d’émancipation [5].

Oui, mais les moyens envisagés ne sont pas identiques. Les uns, dits “républicains”, bravant les anachronismes, chouinent sur la défunte école de Jules Ferry [6] et rêvent de la rétablir en l’état faisant fi des récentes découvertes pédagogiques et de leur rapport à l’efficacité. Les autres, qualifiés de “pédagogistes” [7] se revendiquant des “sciences de l’éducation” ont décrété – sans jamais le prouver – que les moyens pour devenir un citoyen éclairé se résumaient à une bonne estime de soi et à la découverte des savoirs par soi-même et par les autres.  Les “pédagogistes” ont confisqué l’idée de pédagogie en l’assimilant au constructivisme. Les “républicains” accordent peu d’intérêt, voire aucun, à la manière dont les connaissances seront transmises et méprisent l’idée même de pédagogie, préférant se concentrer sur les contenus. Néanmoins,  tous sont d’accord pour :

Refuser que les sciences cognitives pénètrent le champ éducatif, ce qui est assez extraordinaire quand on pense que le cerveau est tout de même un organe essentiel dans les apprentissages. Imaginerait-on d’exclure l’étude de l’atome dans l’industrie nucléaire ? Ou l’étude du code civil dans un tribunal ? La loi de la gravité pour la conquête spatiale ? Les exemples sont pléthore...

Dénigrer et donc redouter, la notion d’efficacité en enseignement, au prétexte que celle-ci exclut de son champ toute approche culturelle et humaine en s’inscrivant dans une conception techniciste et utilitaire mondiale de l’éducation.

Force est de constater que la recherche d’efficacité en enseignement fait peur. Elle serait la conséquence des standards d’évaluation internationaux qui n’ont d’autre objectif que le rendement des systèmes scolaires, du point de vue économique. Ce qui par suite jette le discrédit sur toute autre forme d’efficacité. Par contre, de plus en plus d’enseignants sur le terrain, formés à des méthodes inefficaces, qui elles aussi font fi de toute dimension culturelle et humaine, vont chercher à droite et à gauche des solutions pour enfin parvenir à mieux faire leur métier. La prolifération de sites Internet destinés à échanger des “recettes” en atteste.  La demande est bien là, même si les solutions ne sont que du raccommodage.

Être efficace en classe signifie atteindre les objectifs indiqués par les programmes du ministère. Être efficace passe par l’utilisation d’une méthode pédagogique d’enseignement ayant fait ses preuves. Les méthodes efficaces en classe permettent aux élèves d’avoir en mémoire les connaissances et habiletés indispensables, les stratégies cognitives nécessaires à ces acquisitions, toutes choses qui sont les fondements culturels sur lesquels pourront se développer aptitude au raisonnement et à l’esprit critique.

L’enseignement explicite, que je connais bien, peut revendiquer haut et fort  l’efficacité et peut prouver que celle-ci n’est pas incompatible avec la Culture ni avec l’Humanité. Pour mémoire, le projet FollowThrough, a montré avec brio que les méthodes pédagogiques de transmission directe et explicite (Direct Instruction en particulier) étaient beaucoup plus efficaces sur les résultats scolaires mais aussi dans la dimension affective, et en particulier sur l’estime de soi. Par conséquent, comment ne pas bondir quand on associe efficacité et inhumanité, efficacité et absence de culture ?

Les techniques pédagogiques efficaces peuvent tout enseigner y compris la Culture, depuis la maternelle jusqu’à l’université. Les détracteurs de l’efficacité devraient donc peut-être reporter leurs diatribes sur les programmes plutôt que sur les méthodes.
ö

[1] Toutes tendances pédagogiques confondues (aussi bien constructivistes que traditionalistes).

[2] À une  nuance près tout de même : la recherche a montré que l’estime de soi à l’école est le fruit de la réussite et des efforts récompensés et non pas d’un formatage des esprits consistant à inculquer à l’enfant qu’il est un être spécial. Voir les travaux de Jean Twenge.

[3] Voir les travaux de Sweller.

[4] Les deux courants pédagogiques ayant pignon sur rue : républicains et pédagogistes.


[6] Dits les “républicains”, en référence à l’École de la République (la IIIe).

[7] Expression péjorative désignant les partisans d’une pédagogie de découverte. Ce mot, malheureusement, discrédite complètement la pédagogie, la réduisant à sa forme constructiviste.


samedi 3 septembre 2011

Réinventer l'école avec les vieilles lunes. Meirieu/Gauchet


Meirieu / Gauchet : Réinventer l'école avec les vieilles lunes


Ce débat, faute d’être constructif, est assez démoralisant. Les personnes sollicitées pour donner leurs avis sur l’école mêlent la langue de bois à un certain nombre de poncifs éculés révélant leur méconnaissance profonde du sujet mais en même temps leur désir tout aussi profond d’être entendus en ces temps électoraux.

Comme souvent dans le débat éducatif, on excelle dans le constat, l’analyse, la critique, que cela prenne la forme de pamphlets, de récits satiriques ou même d’uchronies.

Marcel Gauchet évoque avec justesse la société actuelle, l’évolution de ses valeurs tout comme Philippe Meirieu décrit notre société de consommation et les bouleversements qu’elle a créés dans notre système scolaire.

La question de l’autorité de l’enseignant est elle aussi décrite avec justesse ;  mais faut-il être grand clerc pour remarquer que l’enseignant a pour seule autorité celle qui émane de sa propre personne, son autorité de statut lui ayant été retirée par l’institution et par la société qui ne fait plus confiance aux enseignants ?

Marcel Gauchet, tout comme Philippe Meirieu, donne pour but à l’école d’enseigner la pensée. Puis il définit en creux l’acte d’apprendre, en affirmant que nous ne savons pas grand-chose à son sujet ; néanmoins, il exclut de son champ de réflexion l’approche par compétences jugée trop utilitaire, mais aussi l’approche cognitive, pour des raisons inconnues. Ce rejet des sciences cognitives est un point commun au courant constructiviste (les conclusions en effet en décrédibilisent les résultats) et au courant traditionaliste qui privilégie une approche artisanale de l’enseignement.

Il n’est pas certain que Marcel Gauchet soit la personne la mieux placée pour analyser les causes de l’échec en lecture, en particulier lorsqu'il déclare que nous ne savons presque rien sur la façon dont s’opèrent les complexes opérations qu’elle implique. S’il avait lu Stanislas Dehaene, pour citer un chercheur français, il en saurait certainement un peu plus, mais apparemment les points de vue neuro-scientifiques ne l’intéressent guère. Non, nous ne sommes pas démunis sur tous ces sujets. Nous le serions si nous ignorions les mécanismes impliqués dans la lecture, si nous ignorions ce qu'il faut faire pour susciter un bon déchiffrage et une meilleure compréhension. Les études expérimentales et cognitives sur la question sont nombreuses et elles prônent toutes un apprentissage du code par méthode phono-alphabétique ainsi qu’un travail sur la langue et la culture pour une meilleure compréhension, laquelle peut aussi s’enrichir par l’enseignement explicite de stratégies spécifiques. Marcel Gauchet s’imagine donc que les difficultés de nos élèves en lecture renvoient à une méconnaissance de la question. Non, des solutions existent et ont prouvé leur efficacité mais elles ne sont absolument pas diffusées aux enseignants. Peut-être faudrait-il pousser plus avant l’analyse et se poser la véritable question : quels sont les freins qui empêchent les recherches sur l’efficacité dans l’enseignement de pénétrer les sciences de l’éducation ?

Concernant les solutions envisagées pour améliorer l’école, Marcel Gauchet rejoint la pensée dominante en affirmant qu’elle ne « pourra pas se réinventer toute seule » et qu’elle est une entité dépendante de la vie publique. Par la même occasion, il récuse le rôle que les experts pourraient y jouer au profit de tous les acteurs de la vie publique. Aucune piste concrète, aucun élément tangible nous permettant d’imaginer dans quelle direction pourrait aller cette refondation de l’école.

Quant à Philippe Meirieu, à la première lecture, il risque d’en déboussoler quelques-uns par sa critique de l’approche par compétences. Qui aurait cru qu’il puisse un jour dire à propos des livrets de compétence : « Que peut bien signifier alors "l'élève a 60 % des compétences requises" ? » ou, plus loin « Ces référentiels atomisent la notion même de culture », argument même de tous ceux qui se sont opposés à l’évaluation par compétence. Qui aurait cru qu’il ferait un jour l’apologie des lycées napoléoniens, « entre casernes et couvents » ? Ou qu’il puisse, en évoquant la place de l’enfant dans notre société et la façon dont il est élevé, expliquer  : « L’enfant est devenu notre maître ». Aldo Naouri n’aurait pas dit mieux ! Enfin, comment ne pas être d’accord sur la question de l’autorité défunte de l’enseignant, qui n’est plus garantie par l’institution. Une solution : ré-institutionnaliser l’école. Comment fait-on ? Mystère ! Comme disait l’un de mes formateurs constructivistes : « Nous ne sommes pas là pour vous apporter les réponses. C’est à vous de les trouver. »

Mais que les disciples se rassurent, Philippe Meirieu n’a pas viré sa cuti, il reste fidèle à ses idées. Simplement, il travaille sa communication et essaie de redorer le blason bien écorné du courant pédagogique qu’il représente.

S’il est vrai que le savoir ne se réduit pas à la somme des connaissances qui le composent, il n’en reste pas moins que les connaissances de base sont un passage obligé. Mais Philippe Meirieu n’en dit rien et quelques éléments de son discours permettent de comprendre qu'il n’a pas foncièrement changé ses positions.

Il semble très fier d’avoir récemment fait classe dans un CM2 ; les mauvaises langues diront que c’est une stratégie médiatique mais il faut tout de même reconnaître que rares sont les formateurs qui acceptent de se livrer à ce genre d’exercice. La description de la classe qu'il donne touchera sans doute beaucoup d’enseignants. En effet, il décrit exactement ce qui se passe, l’attitude des élèves et les défis que doit relever l’enseignant pour capter leur attention. Mais, honnêtement, lui a-t-il fallu cette expérience pour se rendre compte que « le professeur doit passer son temps à tenter de construire ou de rétablir un cadre structurant », qu’il « est souvent acculé à pratiquer une "pédagogie de garçon de café", courant de l'un à l'autre pour répéter individuellement une consigne pourtant donnée collectivement, calmant les uns, remettant les autres au travail » ?

À la question du réexamen critique des méthodes en place, il répond vaguement, rejetant la faute sur la société qui a créé des enfants ne voulant plus apprendre, préférant l’assouvissement immédiat de leurs désirs et besoins. Il rejette aussi la faute sur la culture française supposée osciller entre encyclopédisme classique et béhaviorisme. En tout cas, rien sur les méthodes pédagogiques responsables de cet échec massif. Rien de nouveau sous le soleil : c’est la faute de la société, changeons donc la société mais surtout conservons nos méthodes.

Tout au long de ce discours apparaît en filigrane une hostilité latente pour l’acquisition de connaissances. Quand il critique, à mots couverts, l'« accumulation de savoir-faire et la pratique d'exercices mécaniques », il confond la fin et les moyens, oubliant que ce ne sont que des moyens destinés à faire passer en mémoire à long terme un certain nombre de connaissances. Une fois ces savoirs installés, ils sont accessibles et utilisables pour faire face aux face aux « situations créatrices de sens », pour susciter créativité et esprit critique.

Selon lui, le travail pédagogique est la « capacité à inventer des situations créatrices de sens » : voilà Philippe Meirieu tel qu'on le connaît, le vrai, l’authentique, souvent imité jamais égalé ! Une fois de plus, il semble ignorer que ces situations ne permettront pas aux élèves d'avancer tant que les connaissances fondamentales ne seront pas acquises.

Quant à son explication relative au clivage politique en matière éducative, elle est assez simpliste : à droite on voudrait transmettre des savoirs techniques pour fabriquer des employés et à gauche on donnerait une vocation culturelle à l’école, on enseignerait la pensée, qui n’est pas la somme des diverses compétences. La culture et la pensée seraient donc le monopole de la gauche mais sans l’intégration de compétences. L’approche par compétences n’est-elle pas une invention de la gauche, sous le ministère Jospin ? N’a-t-il pas remarqué que les gouvernements successifs depuis 1989, de droite ou de gauche, n’y ont jamais renoncé ? Ici il reproche à la culture française son désir d’encyclopédisme classique et là il revendique une vocation culturelle. Comme si l’encyclopédisme classique ne faisait pas partie de la culture. Jusqu'alors on reprochait à la droite une éducation trop élitiste et trop centrée sur la culture au prétexte que cela ne « faisait pas sens » pour les élèves et ne correspondait en rien à leurs préoccupations. Maintenant il semblerait qu'une certaine gauche veuille s’approprier l’idée de culture. C’est à y perdre son latin ! À la même question, Marcel Gauchet répondait que ce clivage était maintenant dépassé, ce qui est tout aussi puéril.

Philippe Meirieu a l’habitude de s’appuyer sur des évidences et d’en tirer des conclusions complètement saugrenues. Exemple : les enfants n’ont plus le désir d'apprendre. En effet, tout le monde l’a constaté. Dans cette question importante, il n’évoque absolument pas les efforts nécessaires aux apprentissages, peut-être n’a-t-il pas observé dans sa classe de CM2 que les enfants rechignaient à tout effort. Rien sur la jouissance issue des efforts récompensés. Rien sur le rôle de l'enseignant dans cet apprentissage. Non, la solution réside dans l’idée de « leur faire comprendre la jouissance issue du plaisir d’apprendre », « reconquérir le plaisir de l’accès à l’œuvre ». Comment ? Par les fameuses situations créatrices de sens. Néanmoins, le plaisir à l’école n’est pas un assouvissement immédiat, il est le fruit de la réussite consécutive à l’effort. Pour beaucoup d’enfants, ce dernier ne vient pas naturellement, c’est donc à l’enseignant de l’y initier. La tâche est d’autant plus difficile que l’éducation des enfants a banni de son vocabulaire le mot "effort" pour le remplacer par "assouvissement immédiat des besoins et des envies". C’est justement car la tâche est difficile qu’il faudrait se concentrer davantage sur les méthodes utilisées et leur rapport à l’efficacité.

Au fond, Philippe Meirieu n’a pas changé ; il donne aujourd’hui dans l’irénisme pédagogique mais ne semble pas convaincu lui-même et ses déclarations laissent un goût de déjà-vu. Au total, un entretien qui ne fait guère avancer le débat et qui dévoile un autre type de consensus, celui de ne jamais aller au fond des choses en matière éducative.