C’est
sans grand enthousiasme que j’ai abordé la lecture du rapport Villani. Un
rapport de plus, me suis-je dit. J’ai succombé à la curiosité lorsque j’ai
appris qu’il y était question d’enseignement explicite. Je vous livre donc, à
chaud, mes réactions sur la question des méthodes pédagogiques, pour ce qui
concerne l’enseignement en Primaire.
Tout
d’abord, le rapport prend un certain nombre de précautions quant à l’épineuse
question des méthodes. Il est écrit : « Il est bien connu qu’une
méthode vaut ce que vaut celui qui l’enseigne. Il ne suffit donc pas d’avoir
une bonne méthode, il faut aussi se l’être appropriée et y croire. » Bien
entendu, une méthode mise en place par quelqu’un qui ne l’aurait pas comprise a
moins de chance d’aboutir, cela coule sous le sens. Par contre, je ne vois pas
ce que vient faire la croyance. S’il suffisait d’y croire, nous n’en serions
pas là dans les évaluations internationales. Le rapport veut sans doute rassurer
les enseignants qui redouteraient de perdre leur liberté pédagogique en
précisant qu’elle n’est pas remise en question.
Le terme explicite est abondamment utilisé (22
occurrences), sous forme d’adjectif (qualifiant les programmes, les passerelles,
le cadre, les apprentissages, le guidage, la demande), de verbe, d’adverbe.
Depuis quelques années, on assiste à un phénomène nouveau dans les écrits
pédagogiques : la promotion du terme explicite ;
contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cela ne signifie pas, loin de
là, que l’on promeut l’Enseignement Explicite ; à ce titre, le rapport
Villani est un bon exemple. À tel point, qu’il va jusqu’à utiliser le verbe expliciter en lieu et place du verbe expliquer ; ainsi, on parle « d’expliciter
les énoncés, d’expliciter les instructions, les contenus et les méthodes »,
les enseignants doivent « expliciter leurs attentes ». Quand on
explicite, cela signifie qu’on énonce clairement ce qui était implicite. Une
instruction, un contenu, par définition, ne doivent pas être implicites. On
doit plutôt les expliquer, c’est-à-dire les faire comprendre. Cette remarque pourrait
passer pour de l’ergotage malveillant, mais il n’en est rien ; simplement,
cette prolifération du terme explicite laisse croire au lecteur lambda que l’on
parle d’Enseignement Explicite.
La question qui se pose alors est : est-il vraiment
question, d’Enseignement Explicite [1], cette pratique
pédagogique efficace, définie précisément par Barak Rosenshine et étudiée par
beaucoup d’autres ? Le texte évoque
des « méthodes explicites », la « pédagogie explicite et
systématique mais non dirigiste », « des méthodes dites explicites ».
À aucun endroit du rapport n’est défini ce que le rédacteur entend par ces
termes. Le terme est employé au pluriel, on aurait souhaité avoir, si ce n’est
un bref descriptif, tout au moins une bibliographie ou sitographie relative à
toutes ces pratiques. Dans la sitographie, section Pédagogie, ne figure aucun
lien propre à décrire l’Enseignement Explicite. Rosenshine y est mentionné par son
texte Principles of instruction -
Research-based strategies that all teachers should know, 2012, le lien
renvoie à la version originale, en anglais, alors que le texte est très
aisément disponible en français. Les quelques éléments
épars sur la mise en mémoire, l’acquisition d’automatismes, qui existent en Enseignement
Explicite, sont noyés dans quantité d’autres recommandations et en aucune
manière associés à cette pratique pédagogique. Au total, il n’est pas vraiment
question d’Enseignement Explicite. Les mystérieuses « méthodes explicites
non dirigistes » dont il est question, peuvent sans difficulté côtoyer ou
même pourquoi pas, se mêler, aux méthodes intuitives, dont on vante les vertus,
l’intuition étant déclarée à la suite de Ferdinand Buisson, comme approche
efficace dans la construction du nombre.
Mises à
part les références théoriques et philosophiques à Ferdinand Buisson, il est très difficile
d’imaginer à quoi ressemble la pédagogie intuitive dans une classe, comment se
déroule une leçon type, sur quels principes cognitifs elle s’appuie, quelles
données probantes, analyses, expérimentations à grande échelle ont montré son
efficacité. On notera tout de même que les partisans de cette forme pédagogique
étaient présents à la fois dans la commission et parmi les personnes
auditionnées. En corollaire, on notera aussi l’absence à la fois dans la
commission et parmi les personnes auditionnées de représentants de
l’Enseignement Explicite. Je respecte ce choix qui doit avoir ses raisons, mais
cela me conforte dans l’idée que toutes les mentions du terme explicite ne font donc pas allusion à
cette pratique bien connue des chercheurs aujourd’hui.
Pour
résumer, nous avons donc une suggestion pédagogique concernant l’utilisation de
« méthodes explicites non dirigistes » dont on ne sait rien. Essayez
de taper cela dans un moteur de recherche et vous verrez. On évoque leur
efficacité, mais avec tout de même l’ombre d’un doute, puisque selon la mesure
n° 3, « La mission recommande une évaluation sur le cycle 2, sur un
échantillon de 200 écoles (environ 1 000 classes), des méthodes dites
explicites et intuitives. » Voici donc un nouvel indice laissant à penser qu’il
ne peut pas s’agir d’Enseignement Explicite. En effet, des centaines de données
récentes existent sur l’Enseignement Explicite : expérimentations, études,
analyses et méta-analyses. Toutes en montrent l’efficacité, à grande échelle et
pour tous les élèves ; le ministère n’irait pas s’engager dans une
coûteuse et difficile expérimentation dont on sait déjà que les résultats
corroboreraient ceux qui existent déjà.
Par contre, j’applaudis des deux mains pour cette même initiative
concernant les méthodes intuitives car il n’y a rien sur la question, sinon, en
creux, les généralités relatives à la non-efficacité des méthodes de découverte
et autres pratiques faiblement guidées.
Si cette expérimentation voit le jour, si elle est réalisée par un
organisme indépendant, je doute fort que les résultats aillent dans le sens
escompté.
Au total,
les recommandations relatives aux méthodes pédagogiques me font l’effet d’un
pâté d’arêtes dans lequel finalement, tout semble se valoir, même s’il est précisé
que tout ne se vaut pas. C’est comme si l’on n’osait pas dire les choses
clairement, comme si l’on avait peur de heurter les courants pédagogiques consultés.
C’est dans ce contexte que l’expression les « méthodes explicites et
intuitives » prend tout son sens. Puisqu’il n’en est donné aucune
description, libre à chacun d’imaginer. Une pincée de Montessori, une pincée de
Freinet, une grande pincée de Buisson, une pincée d’enseignement traditionnel, une
pincée de non dirigisme, le tout enveloppé dans un emballage explicite (sans
majuscule) pour donner un peu de crédibilité sur le plan de l’efficacité.
Voir aussi: http://explicitementvotre.blogspot.fr/2016/01/enseignement-explicite-attention-aux.html
http://explicitementvotre.blogspot.fr/2016/05/enseignement-explicite-ou-enseignement.html
[1] Les
majuscules sont là pour désigner cette pratique spécifique et indiquer que
l’adjectif explicite n’est pas
utilisé au sens commun.